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Notre génération est-elle vraiment la pire de toute l’Histoire ?

« Réfractaire au travail », « insatisfaite et malheureuse », « incapable de grandir » – une modeste réflexion sur les jeunes d'aujourd'hui et tous les maux qu'on leur impute.

Photo via l'utilisateur Flickr Simbiosc.

Au collège, mon professeur de physique-chimie s'appelait Monsieur Schmidt. C'était un homme particulièrement nerveux qui approchait des 70 ans, et qui se laissait souvent aller à des accès de colère. À la fin de chaque année, il jurait qu'il partirait à la retraite pour ne plus jamais revoir nos têtes de cancres. « C'est la dernière fois que vous me voyez, bande de saletés ! Je suis bien content de partir, vous êtes de loin la pire classe que je n'aie jamais eue ! » Avec Monsieur Schmidt, personne n'était épargné – il détestait tout le monde. Mais en dépit de son exaspération, on le retrouvait assis derrière son bureau à chaque rentrée, et il passait naturellement le reste de l'année à geindre et à nous humilier. Il m'a fallu un certain temps avant de comprendre que mes camarades de classe et moi n'étions pas à l'origine de la frustration de Monsieur Schmidt. C'est pourtant ce qu'il semblait systématiquement revendiquer : « C'est inédit, je n'ai jamais eu une classe aussi bornée ! » Ce type de déclaration ne date pas d'hier – au même titre que celles des personnes estimant que la jeune génération actuelle est clairement la pire de l'Histoire. Tantôt décrite comme réfractaire au travail, « insatisfaite et malheureuse », « incapable de grandir » ou encore « difficile à appréhender », la génération Y se voit fréquemment affublée de termes péjoratifs – et s'il est difficile de prendre ces insultes au sérieux quand elles sont prononcées par une troupe de saltimbanques francophones, il faut bien admettre que nous ne sommes pas exempts de torts.

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Personnellement, j'ai plusieurs fois eu l'impression d'être une source de tracas pour mes prédécesseurs. Mon parcours scolaire est loin d'être sans faille, et chaque année, j'étais dans le collimateur de l'un de mes professeurs. Il faut dire que c'est moi qui les prenais en grippe, avant eux : soit je leur demandais de répéter en me plaignant de leur manque de clarté, soit je criais à l'injustice à tout bout de champ. Ma défiance envers l'autorité n'est pas sortie de nulle part. Très jeune, j'ai eu ma place aux dîners de mes parents avec leurs amis. C'était normal. Les adultes ne m'ont donc jamais intimidée. Je pouvais poser des questions, dire ce que je pensais, tout en étant écoutée. Mais je l'ai payé par la suite – et si mon cas n'est sans doute pas le plus représentatif de ma génération, il n'est pas rare pour autant.

Photo via l'utilisateur Flickr tedd4U.

Au cours de mes premiers stages, je me suis bien entendue avec la plupart des employés. Mais il y avait toujours une personne qui me détestait – ou avait carrément peur de moi, comme si elle me considérait comme un être malfaisant. J'ai finalement tiré de tout ça que ces éclopés détestaient que je les traite comme mes égaux. Étouffant comme stagiaire dans les stocks d'une boutique de luxe, je n'ai pas supporté qu'une vendeuse m'annonce que j'étais la plus arrogante et impolie de toutes les « filles » qu'elle avait vues dans sa vie. Je ne l'ai pas supporté, parce que je l'ai crue. Toutes ces années de préjugés m'ont donné l'impression de payer pour quelque chose dont je n'étais pas encore responsable : ma génération étant née en même temps qu'Internet, nos prédécesseurs ont redouté qu'on les placardise et qu'on les tue.

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Ce qui aggrave notre cas, c'est que nous sommes beaucoup moins frileux à l'idée d'exposer notre vie privée ou de monter une start-up sans la moindre expérience. Nous avons confiance en nous, car à force d'absorber toutes sortes d'informations de manière quasi-permanente, nous oublions nos erreurs et celles des autres. Nous avons la possibilité de nous réinventer constamment. D'ailleurs, nous n'avons pas vraiment le choix.

D'après les Échos Business, trois préjugés sont souvent associés aux générations Y et Z : nous serions zappeurs, narcissiques et individualistes. Il est vrai qu'on nous reproche d'attacher plus d'importance au bonheur qu'à la liberté, alors que les générations précédentes ne voyaient pas l'un sans l'autre. Nous sommes considérés comme de sales opportunistes, simplement parce que nous n'avons pas d'autre choix que de vivre dans le court terme ; il y a plus d'incertitudes sur le futur. Nous serions même responsables du contexte dans lequel nous vivons. Sauf que l'époque est tout aussi blâmable que notre comportement vis-à-vis d'elle – et notre plus grand tort, c'est de nous y adapter.

La question revient, donc : sommes-nous la pire génération ? Ou sommes-nous seulement témoins d'une époque instable ?

D'après France Culture, nous subissons « les résultats des politiques d'austérité menées depuis des années » et nous sommes « la première génération qui est plus pauvre que ses parents ». En décembre 2016, on compte effectivement 2,8 millions de chômeurs en France. Avec bon nombre d'électeurs de François Fillon, beaucoup d'emplois de fonctionnaires sont susceptibles d'être supprimés. Nos diplômes ne constituent plus une garantie d'emploi : plus longtemps dépendants financièrement, nous sommes conduits à faire preuve d'adaptabilité, notamment pour augmenter notre pouvoir d'achat. Le contexte est tel que nous ne voulons pas être salariés dans une boîte merdique pour nous faire virer à l'âge de 50 ans. Nous avons vite la bougeotte, car nous voulons être sûrs de trouver un travail qui puisse répondre à notre volonté de qualité de vie et de construire l'économie de demain.

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Cependant, d'après des informations fournies par le US Bureau of Labor Statistics,la génération Y serait quand même moins « volatile » en entreprise que la génération X.

Comme me l'explique Romain, un ami et dirigeant d'entreprise de 40 ans – issu de la génération X –, la génération précédente a aussi eu le droit à son lot de préjugés. « Quand j'avais 25 ans, la génération X était stigmatisée dans les médias : infidèles envers les employeurs (comprenez au lieu de l'emploi à vie, nous envisagions de changer de boîte après trois ans), génération sacrifiée (chômage de masse et sans perspective de retraite suffisante) allant d'une hausse de la consommation d'alcool et de cannabis affolante au comportement sexuel irresponsable et sans respect de la hiérarchie et des institutions. Je trouvais cette stigmatisation à la fois un peu vraie, et en même temps un peu injuste – c'était simplement le résultat d'un contexte plus difficile. Maintenant, on parle de la génération X comme d'une génération responsable et travailleuse pour l'opposer à la génération Y. J'ai un peu l'impression que le regard qu'on porte sur notre génération change à mesure qu'elle vieillit. En fait, c'est plutôt rassurant pour les générations à venir. »

Mais le domaine du travail n'étant pas le seul indicateur de notre déclin, il paraissait important de questionner les liens sociaux que nous semblons entretenir.

En posant la question à d'autres personnes de mon entourage, je me suis rendu compte que l'utilisation des réseaux sociaux servait principalement à octroyer une image sensationnelle à nos vies respectives. Évidemment, il est plus difficile d'en construire une pour de vrai. Parce qu'il est devenu très lassant de gravir des échelons sociaux non virtuels, nous nous devons d'avoir souvent les yeux rivés sur nos téléphones ; et c'est, par ailleurs, ce que l'on nous reproche le plus. Aussi, aller dans le métro sans téléphone de nos jours revient à se rendre compte que vous avez l'air timbré avec votre regard dans le vide. À l'époque de nos parents, le métro pouvait potentiellement être un lieu de rencontre, comme tous les autres lieux d'ailleurs. Et on n'avait pas besoin de se retrouver à plat ventre sous la table en fin de soirée pour se dire que la vie valait le coup d'être vécue – en s'apercevant le lendemain que ce moment d'abandon se trouve sur toutes les plateformes sociales.

Néanmoins, utilisés à bon escient, ces moyens de communication peuvent bien entendu être intéressants. Twitter serait même devenu un concurrent de Linkedin. D'après Europe 1, 34 % des Français âgés de moins de 30 ans affirment se servir de l'application pour chercher du boulot. « C'est un moyen plutôt malin de trouver un job », me confie une amie fraîchement diplômée, Alexia. « Ça révèle une capacité de démerde et d'énergie chez celui qui se câble partout pour ne pas rater une occasion. » Ainsi, Linkedin regroupe 41 % des demandeurs d'emploi, et Facebook occupe la première place avec ses 56 %.

Les films porno constituent aussi une des grandes angoisses sociologiques de notre temps. Les chercheurs de la Florida Atlantic University ont découvert que la catégorie des millenials était la plus inactive sexuellement depuis la période de la Grande Dépression de 1929. Effectivement, tout est à notre disposition – les jeunes sont très vite exposés à des images pornographiques (vers 12-13 ans en moyenne), bien avant leurs premiers rapports (environ 16 ans) et se rendent compte que la réalité est effroyablement chiante. Du coup, comme cela demande beaucoup d'efforts pour peu de satisfaction, ils baisent moins. Aujourd'hui, le porno réunit plus de téléspectateurs que le nombre d'internautes branchés sur Twitter, Amazon et Netflix par jour, à en croire le documentaire Hot Girls Wanted.

Et tout ça ne risque pas de changer avec la génération Z. Je me suis égarée plusieurs fois aux soirées de ces nouveaux digital natives et je me suis rarement sentie aussi vieille : dès quatorze ans, ils boivent de la vodka pure, s'adonnent à des jeux de jocks d'école de commerce, fument des pétards à la cocaïne et prêtent énormément d'attention à leur apparence. Au fond, il est possible que notre génération soit la pire de l'Histoire – en attendant la prochaine.