Dans les quartiers périphériques de Calais

FYI.

This story is over 5 years old.

reportage

Dans les quartiers périphériques de Calais

À quelques kilomètres de la jungle, un aperçu de la vie des habitants des zones prolétaires de la ville du Nord.

Des adolescents en train de s'amuser dans la cité du Fort-Nieulay, à Calais. Toutes les photos sont de l'auteure.

Pour le journal de mon école, nous sommes partis deux jours dans la jungle de Calais. Très vite, j'ai su que je reviendrai. Je voulais comprendre comment les premiers concernés, les Calaisiens, vivaient l'arrivée des migrants. Au mois d'avril, ma décision était prise : avec une amie, nous sommes parties à la rencontre des habitants de la ville. Très vite, on s'est fait connaître dans les quartiers populaires, notamment celui de Fort-Nieulay. On y passait toute la journée.

Publicité

Dès le deuxième jour, les gens venaient spontanément vers nous. Une relation de confiance s'est établie. De cette manière, on a pu discuter de leur vie, parfois rentrer chez eux, échanger à propos de leur vision de leur situation, et de celle des migrants. De manière récurrente, les Calaisiens nous ont remerciées. En effet, ils n'avaient jamais vu de journalistes qui s'intéressaient à leurs difficultés à eux.

Le premier constat que l'on a fait de la ville est plutôt dur : la misère française semble plus inquiétante que la situation des migrants. D'ailleurs, il nous a été plus facile d'échanger, même en « franglais », avec les migrants plutôt qu'avec les Calaisiens eux-mêmes.

Une mère de famille et son enfant en bas âge, au Fort-Nieulay.

La ville de Calais est un endroit où le temps paraît long. On dirait qu'on ne vient jamais par choix dans cette ville. L'immobilisme, notamment celui des jeunes, est très présent. Dans les années 1980, l'association du Fort endosse le rôle de repère dans le quartier du Fort-Nieulay, qui abrite blocs et pavillons HLM. Un village dans la ville de Calais, qui, avec ses écoles, ses quelques commerces et son gymnase, a pourtant du mal à s'en sortir. Le quartier du Fort-Nieulay est en perte de vitesse depuis que les usines n'ont laissé que des ouvriers au chômage.

Car le chômage impose une vie en autarcie. À part les aides de l'État, rien ne sort ni ne rentre au quartier. Tout s'enracine. La méfiance est palpable. Pendant une ballade entre deux tours, en levant la tête vers les fenêtres, toutes cachées de rideaux, on s'est aperçues que les gens nous épiaient. La méfiance et le monde extérieur ont presque l'air trop menaçant pour ces Calaisiens. « On attend que ça passe », m'a dit l'un des habitants. Que passe quoi, en réalité ?

Publicité

Deux enfants et un vélo, dans la cité.

La population du Fort-Nieulay est en majeure partie blanche. L'inaction des habitants du Fort provoque, notamment chez les femmes, des problèmes d'obésité importants. Des cours de cuisines sont donc proposés afin de manger mieux avec presque rien. « Manger cinq fruits et légumes par jour est impossible, elles ne peuvent déjà pas les acheter », raconte la responsable de l'activité cuisine. C'est même insultant pour ces gens qui sont presque tous au régime du RSA. Au Fort, la mixité atteint péniblement les 1 %. Marquées politiquement (comme) très à droite, ces populations « votent mal », comme disent les grands médias. Selon Roselyne, « ils ne sont plus rouges mais tirent vers le bleu marine ». Malgré la victoire du FN aux dernières départementales, pour elle il s'agit d'un vote visant à alarmer les hommes politiques sur l'indifférence dont ils sont victimes, plutôt qu'un geste dirigé à l'encontre des migrants.

Des adolescentes font leurs courses dans un shop vétuste du Fort-Nieulay.

Les quartiers populaires de Calais, contrairement aux cités parisiennes par exemple, ont cette particularité temporelle : le temps s'y est arrêté. J'explique : les jeunes n'ont pas d'ambition, ou disons que la résignation semble trop forte, trop naturelle, trop inscrite pour au moins penser de changer. « Je n'ai juste pas envie d'aller à l'école », m'a répondu Matteo quand je lui ai demandé ce qu'il fait à glander sur un banc plutôt que sur celui de l'école.

Publicité

Trois jeunes réparent des scooters, cette fois-ci le père d'un d'entre eux est dans le coin. Tout le monde semble accepter d'un commun accord le fait que l'école soit une option. Ces générations sont conscientes que le relais du travail ne sera de toute façon, pas au rendez-vous.

Deux jeunes hommes et un chien font passer le temps en bas des bâtiments.

« Ils ne veulent pas bouger d'ici et il n'y a rien que des petits boulots à proposer. Ma fille n'a jamais trouvé de stage dans le marketing pour terminer son école. La seule façon pour trouver du travail, c'est de connaître les bonnes personnes », se désole Madeleine, habitante du Fort depuis toujours. Ici, quatre jeunes sur dix sortent du circuit scolaire sans diplôme. Deux sur trois sont au chômage. Avenir verrouillé. La révolte n'habite même pas le cœur des quelques jeunes qui font semblant de jouer au foot en fumant quelques joints. Cette bulle, ce Fort, présente un autre registre de la misère : ancrée, normalisée, oubliée. Banalisée en somme.

Ce qui surprend à Calais, c'est donc la résignation. À titre de comparaison, aux États-Unis, Baltimore a été bousculé par les émeutes. Révoltés, ses habitants ont crié à l'injustice des bavures policières, à l'origine d'un racisme latent. Néanmoins, la ville de l'état du Maryland conserve la chance de trouver dans sa communauté le moyen de se rassembler. Une révolte presque inimaginable à Calais. On dirait que le temps s'est arrêté il y a dix ans là-bas. La misère y est bien plus présente que la violence.

Publicité

Quatre adolescents prennent la pose devant une entrée du « Fort ».

Il y a une jeune fille dont le parcours m'a marquée. Elle s'appelle Beverly, a 15 ans, et a toujours voulu être hôtesse de l'air. Elle m'a expliqué qu'elle ne pourrait pourtant jamais s'envoler. En effet, elle est placée sous cortisone, car atteinte d'une maladie rare qui touche ses chevilles. Celle-ci lui interdit de rester debout trop longtemps. Aussi, son père avait semble-t-il, disparu. « Je ne sais pas où il est. Enfin je ne l'ai pas vu depuis deux ans. S'il me manque ? Oui, c'est normal – c'est mon père », m'a-t-elle dit.

La situation des migrants aspire à plus d'espoirs que celle des Calaisiens. Face à la tragédie de leur parcours, les associations et groupes humanitaires tels que Médecins du Monde ou le Secours Catholique sont présents pour leur venir en aide. « Nous, on ne bénéficie pas des mêmes avantages qu'eux », assure une habitante de la cité Constantine, l'un des blocs du Fort-Nieulay . « Ce n'est pas que je ne les aime pas, je n'ai rien contre eux – mais j'aime ma petite tranquillité. » La paix de leur quartier, c'est ce qu'il leur reste de plus précieux. Les Calaisiens assurent ne pas être racistes, et c'est vrai. Mais force est de constater qu'ils ne sont pas autre chose : « Les partis politiques les ont tous déçus », assure explique Philippe Wannesson, blogueur chez Passeurs d'Hospitalités, un site sur la situation des migrants. « Aucun ne leur apporte des réponses réelles. »

Publicité

La vitrine engageante d'un magasin d'un autre âge, quelque part dans la cité.

À entendre ces témoignages, les migrants de la jungle seraient moins mal lotis qu'eux. Peut-être parce que ces derniers possèdent un espoir, celui de quitter cette zone des Dunes en attendant leur droit d'asile. Il faut dire que Calais est une ville morne, à rendre fou d'ennui. En fin de compte, si tout les divise de prime à bord : l'exclusion, l'expulsion et la solitude sont pourtant des maux que migrants et Calaisiens ne connaissent tous que trop bien.

Devant un pavillon du Fort-Nieulay, Calais.

Un enfant du Fort, souriant.

Du gris, du béton, du ciment : le Fort-Nieulay tel qu'il est.