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LE NUMÉRO PÉNITENCE ET REPENTANCE

Circuit electric

Le revival gothique est en train de nous tomber sur le coin de la gueule. On a beau dire que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, j’ai l’impression...

La magie noire selon o0o00 et White Ring, les tropiques utopiques de Sun Araw, l’aérobic new wave de Geneva Jacuzzi, l’enfer vert de Roberto Auser et la synthpop sidérale de DMX Krew

Le revival gothique est en train de nous tomber sur le coin de la gueule. On a beau dire que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, j’ai l’impression que ça fait plus de dix ans qu’on bouffe des années 1980 à toutes les sauces. En fouillant bien, on peut malgré tout entrevoir quelques beaux éclairs de lumière noire dans ce bouillon rétrofuturiste de synthétiseurs darkwave nauséeux et de voix éthérées professant l’imminence d’Armageddon. Le groupe le plus imprononçable du monde se nomme oOoOO (à ne pas confondre avec les Japonaises de OOIOO ni avec un certain Ø), et il vient de San Francisco. C’est à se demander si le soleil californien n’a pas eu un étrange effet dépresseur sur la jeunesse locale à l’écoute de cette synthpop de batcaves. Leur single « Seaww » ­procure l’impression bizarre d’entendre des geeks méchamment dans le gaz qui auraient ralenti un vieux single coldwave en l’agrémentant d’une beatbox R’n’B tournant à deux à l’heure. Les fans de Cold Cave ou de Salem s’y sentiront comme des poissons dans le golfe du Mexique, et iront dans la foulée écouter leur mixtape sur le blog de la marque de sapes Actual Pain. Sur l’autre face, on a droit à la chanson « Roses » de White Ring qui sonne comme si les Crystal Castles s’étaient convertis au culte Wicca et avaient sacrifié leurs claviers sur l’autel de la chillwave. Allez hop, un Lexo et au lit. Le dernier Sun Araw, irradiante émanation psyché-tropicale du label Not Not Fun, est nettement plus calorifère : des orgues primitives se sont substituées aux synthés, les congas remplacent la boîte à rythme, des petites touches de dub à la Lee Perry et de riffs quasi funk percent ici et là. Ces entêtantes mélopées tribales et tripées ­donnent envie de danser complètement stone autour d’un feu, bercé par le chant des oiseaux tropicaux et le son de l’océan, sur une île où les candidats de Koh Lanta fourniraient la matière première du ­barbecue. Je ne sais pas quelle dope s’envoie Cameron Stallones, le cerveau enfumé qui se cache derrière Sun Araw, mais je veux bien qu’il me refile l’adresse de son dealer. Fantasmer ces îles tropicales où subsistent des rituels immémoriaux, c’est aussi ce que propose Secret Carnaval du producteur electro hollandais Roberto Auser, fidèle recrue de la confrérie Clone et Intergalactic FM. Localisé à Intercity dans la mystérieuse contrée autarcique d’Ausland, ce « carnaval secret » suinte la chaleur moite d’une jungle post-apocalyptique où ne subsisteraient que quelques cybercannibales et des perroquets mutants aux couleurs acidulées. Quand c’est trop, c’est Tropico. Tout aussi fantasmatique, The March to the Stars signe le retour en grâce de DMX Krew, alias Ed DMX, pionnier du revival electrofunk synthétique dès le début des années 1990. Complaintes pop de vieilles consoles Atari, dark techno minimaliste à la Dopplereffekt, réminiscences régressives de K 2000, braindance excentrique et groove robotique : la recette n’est pas nouvelle mais Ed le solitaire reste le meilleur dans le genre. C’est à se demander s’il ne partage pas des liens génétiques avec le producteur franco-vietnamien Onra, dont le dernier album, Long Distance, tient plutôt bien la route. Fini les mash-up éventés, Onra verse cette fois sans complexe dans le P-funk vocodé et le hip hop synthétique qui dégueule une soul liquoreuse. Pour la techno back to basics qui claque avec classe, on ira chercher du côté de Anthony « Shake » Shakir, l’un des plus ingénieux producteurs de Detroit, et sûrement le plus sous-estimé. Aux côtés de Juan Atkins, Carl Craig ou Derrick May, son rôle fut pourtant déterminant dans la genèse du Motor City Sound. Ce Shake EP, remixé par Osborne et le lisbonnin Photonz, est une véritable bombe à retardement, tout en bounce ghetto et en claps décalés. Un peu de féminité ne saurait faire de mal après de telles poussées d’hormones technoïdes. La L.A. girl Geneva Jacuzzi est un électron libre gravitant autour de la clique d’Ariel Pink (Nite Jewel, Bubonic Plague, Weave!, John Maus, etc.), et si l’on peut trouver beaucoup à redire à ses performances karaoké de poseuse arty en culotte-­bretelles, on sera surpris de découvrir sur son premier album d’héroïques pompages de New Order, Kate Bush et autres Gina X. Loin des paillettes glitter cocaïnées, je ne saurais que trop conseiller d’écouter Je suis parmi les cinq cents personnes que tu préfères au monde d’Opéra Mort pour redonner le goût de la vie aux classes laborieuses victimes de la délocalisation. Le secteur sidérurgique n’a pas dit son dernier mot ! Par un étrange effet d’asymétrie paroxystique, leurs longues plages d’improvisations électroniques crépitantes, vaguement techno sur les bords, parviennent à fédérer noiseux hardcore et lecteurs de The Wire, banger kids et punk rockers assoiffés d’énergie brute. Si tant est que la techno puisse être réinterprétée par des SDF bruxello-messins équipés de vieilles machines branlantes, de pédales d’effets et de Casio modifiés. J’attends avec impatience la We Love Opéra Mort au chantier naval de Saint-Nazaire en mai 2020, avec un show laser à base de lampes de poche et de porte-clés taïwanais. Rien ne pourra atteindre la portée subversive du double LP Popcorn, véritable démonstration de force du label Ultra Eczema. Après avoir flingué la Bamba, le gang de l’artiste-dessinateur-­actionniste belge Dennis Tyfus a invité tous ses amis néo-dada à massacrer en chœur le fameux hit electro-pop de Gershon Kingsley. Le résultat dépasse toutes les espérances : un déluge de n’importe quoi inspiré et jouissivement absurde, allant de la poésie sonore de grabataires flamands en psychiatrie lourde à de véritables envolées de génie outsider qui rivalisent d’inventivité et d’idiotie illuminée. Quoi que puisse laisser entendre la doxa populaire, la musique expérimentale n’est pas invariablement sédative et pédante. EVA REVOX oOoOO/WHITE RING – Emotions 7" (Emotion)
SUN ARAW – On Patrol (NotNotFun)
ROBERTO AUSER – Secret Carnaval (Bear Funk)
DMX KREW – The March to the Stars (Strange Life)
SHAKE SHAKIR – At the Bonnie Brooke (Astrolab Recordings)
GENEVA JACUZZI – Lamaze (Vinyl International)
OPÉRA MORT – Je suis parmi les cinq cents personnes que tu préfères au monde (Tanzprocess/Galerie Pache)
V/A POPCORN (Ultra Eczema)