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Société

Excommunication breakdown

L'histoire de Pierre Blanc, le prêtre catholique qui a tout laissé tomber pour vivre avec une femme.

Pierre Blanc est devenu prêtre catholique à l'âge de 26 ans. En 1984, il a juré de se livrer tout entier à Dieu et a tiré une croix définitive sur les plaisirs terrestres, femmes comprises. Jusqu'à ce qu'en 1998, le malheureux Pierre rencontre Christine, alors âgée de 28 ans, dans un cours de catéchisme à la paroisse d'Hauteville. Au fil du temps, leur amitié, « fusionnelle » selon les dires de Pierre Blanc, a muté en un amour secret. C'est ainsi qu'en 2011, à 53 ans, Pierre décida de quitter l'Église pour se marier et vivre avec Christine.

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Évidemment, la hiérarchie catholique ne l'a pas entendu de cette oreille et s'est livrée à une longue et douloureuse bataille psychologique avec Pierre. Dans le même temps, au vu de ses qualifications professionnelles très spécifiques, il a longtemps cherché à se reconvertir, sans succès. Jusqu'à ce qu'il crée lui-même son nouveau job : organisateur de cérémonies de mariage laïques. Alors qu'il vient de publier un livre, J'ai quitté ma paroisse pour l'amour d'une femme, où il revient sur ses nombreux déboires, je lui ai posé quelques questions sur tous les obstacles qu'il a traversés depuis qu'il est tombé amoureux.

Pierre et sa femme Christine, aujourd'hui. Photo : Olivier Dion

VICE : Après vous être dévoué 26 années durant à la cause de Dieu, de quoi l'Église vous prive-t-elle aujourd'hui pour avoir rompu votre vœu de célibat ?
Pierre Blanc : Je n'ai plus droit à aucun sacrement. Ni le mariage religieux, ni la confession, ni la communion pendant la messe. Pour le moment je respecte cet interdit, mais je le franchirai peut-être. C'est injuste et d'autant plus difficile du fait que j'ai toujours encouragé mes paroissiens à communier et recevoir le pardon.

Quelle fut la réaction de votre hiérarchie lorsque vous leur avez annoncé votre désir de quitter votre paroisse d'Hauteville pour une femme ?
La première réaction de l'évêque fut de me dire : « C'est bon signe, ça veut dire que vous êtes un homme. » Puis il m'a demandé de couper les liens avec « cette femme ». Il a essayé de gagner du temps, de m'avoir à l'usure. J'ai d'abord été contraint de le voir tous les quinze jours. À chaque rencontre, il me disait : « Si vous quittez la paroisse, vous serez malheureux ! » Puis il m'a proposé d'officier dans une autre paroisse. Quand il a compris que je n'allais pas lâcher, il est rentré dans une violente colère. Au final, la pression aura duré trois mois.

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Comment vous êtes-vous rencontré avec Christine ?
Je l'ai rencontrée alors qu'elle venait inscrire sa fille aînée au catéchisme. Christine était alors une jeune maman divorcée. Et un soir, où elle allait mal, au lieu d'appeler sa meilleure amie, elle a composé le numéro de téléphone de la paroisse. C'est tombé sur moi. En larmes, elle m'a raconté sa vie de galères. C'est là que tout a commencé.

Entre le moment où vous vous rendez compte que vous êtes amoureux et le moment où vous quittez la paroisse, trois mois se sont écoulés. Comment avez-vous vécu votre liaison amoureuse durant cette période ?
Entre mai et octobre, on a pris un temps de « coupure » avec Christine, sur la demande de l'évêque, mais je n'ai pas pu tenir longtemps sans la voir. Ensuite, à chacune de nos rencontres, on a pris le temps de s'organiser pour la suite : planifier mon départ et notre vie à deux. Mais on n'a pas vécu de vie de couple avant que je ne m'installe chez elle.

Vous expliquez dans votre livre qu'« en France, aucune statistique n'est rendue publique pour savoir combien de prêtres partent chaque année ». Avez-vous le sentiment que l'Église entretient l'omerta sur le sujet ?
En quelque sorte, oui. Pour ma part, je ne devais pas faire de vagues, éviter le scandale. L'évêque m'a demandé de garder le silence et de partir sans que personne ne s'en rende compte. J'ai par exemple dû déménager de nuit ! Il m'a aussi demandé de quitter le département, afin d'aller là où personne ne nous connaîtrait Christine et moi. Mais nous avons tous deux refusé d'obéir sur ce dernier point.

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Comment avez-vous vécu le changement de regard de votre entourage sur votre nouvelle situation ?
Je n'ai pas eu peur de la réaction de mes paroissiens – ils étaient tous assez ouverts –, mais je me suis senti triste de les quitter comme un voleur, sans pouvoir leur dire que j'allais partir. En réalité, c'est à ma famille que j'ai eu peur de le dire. Peur d'être jugé et mis à l'écart, comme un enfant à qui les adultes vont dire : « ce que tu fais est mal. »

Pierre en jeune prêtre à l'église, 1994. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Pierre Blanc

Quitter votre fonction de prêtre, qu'est-ce que cela a signifié, d'un point de vue financier ?
Eh bien, ça veut dire ne plus avoir de revenus du jour au lendemain. C'est un saut dans l'inconnu. Je n'ai reçu aucune aide de la part de l'Église, et n'ayant pas cotisé pour le chômage, je n'ai droit à rien. Heureusement, d'anciens paroissiens se sont mobilisés pour me faire une cagnotte après mon départ. Pour moi, chercher un travail à 53 ans, c'était comme chercher un premier emploi. J'avais travaillé quelque temps avant d'être prêtre, mais ça remontait à 1980 !

Selon vous, qu'est-ce qui pourrait freiner les autres prêtres qui traversent la même expérience que vous ?
La plupart des prêtres n'osent pas quitter le ministère car ils ont peur de l'après. Comme un sportif de haut niveau qui prend sa retraite et perd l'attention des médias, les prêtres peuvent avoir peur de retomber parmi le commun des mortels. Quand on est prêtre, on est mis sur un piédestal par les paroissiens. C'est pourquoi certains préfèrent mener une double vie avec une femme plutôt que de perdre leur statut social.

Aujourd'hui, vous êtes organisateur de cérémonies de mariage laïques. Qu'est-ce que c'est exactement ?
Ça s'adresse aux couples qui se marient à la mairie mais ne vont pas à l'église car ils ne peuvent ou ne veulent pas. Mon travail consiste à préparer avec eux une cérémonie laïque, qui se déroule avant le vin d'honneur, durant laquelle ils s'engagent devant leurs invités. Dans un premier temps, c'est un dialogue avec eux sur leur projet de vie de couple, puis ils lisent des textes, des poèmes d'amour, voire des passages bibliques. Une fois, le père de la mariée m'a même dit que j'organisais une messe laïque ! C'est vrai que ça ressemble beaucoup à ce qui se passe dans une église car je parle d'amour. Sauf que je ne parle pas de Dieu !

Vous êtes fâché avec Dieu ?
Pas du tout ! Même si l'évêque m'a dit que Christine brûlerait en enfer pour avoir détourné un prêtre du droit chemin, je continue à pratiquer ma foi. Mon combat n'est pas contre Dieu, mais contre le fonctionnement de l'Église et plus précisément l'institution.

Merci, M. Blanc.

Le livre de Pierre Blanc, J'ai quitté ma paroisse pour l'amour d'une femme, est édité aux Presses du Châtelet.