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Beaucoup de choses peuvent se passer dans le football en 15 ans. En 2001, le CS Sedan-Ardennes était la petite sensation d’un championnat qu’on appelait encore D1, dont les goleadors s’appelaient Frédéric Née et Gérald Baticle, et le joueur le plus sexy de France était sans aucun doute Eric Carrière.
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Pendant ce temps-là aux Pays-Bas, un jeune attaquant de l’Ajax nommé Zlatan Ibrahimovic s’occupait à écrire les prémices de sa légende dans un des grands clubs de l’histoire du foot européen. Mais il n’était pas le seul grand espoir de l’équipe néerlandaise. L’autre mec, en fait, avait deux ans de moins que Zlatan et marquait deux fois plus de buts que lui. En Zlatan, 20 ans, l’Ajax avait un espoir alléchant. En Ahmed Hossam Hussein Abdelhami – plus connu sous le nom de Mido – l’équipe avait un futur crack.
Enfant prodige, Mido quitte la Belgique à l’âge de 16 ans. Trois ans plus tard, il est l’Egyptien le plus célèbre de la planète. Dans la plus pure tradition des superstars, il n’hésite pas à fréquenter le showbiz pour nourrir son statut : lors de ses années à La Gantoise, son histoire d’amour avec Miss Belgique est l’équivalent du couple David et Victoria Beckham. A 20 ans, son mariage est retransmis en direct à la télé égyptienne, et réalise des audiences exceptionnelles.
« En Egypte, il est traité comme un dieu », raconte à l’époque Ronald Koeman, manager de l’Ajax en ce temps-là, après un match amical joué au Caire. L’attaquant attire les foules où qu’il aille – et en ce temps-là, le statut de Mido était en accord avec ses prouesses. « Tout le monde est impressionné par ce qu’il fait. Les scouts, le staff technique, tous les gens qui l’ont vu jouer disent que c’est un grand talent », explique le directeur technique du club de l’époque, Leo Beenhakker.
Mido et Ibrahimovic jouent tous deux leur première saison à l’Ajax en 2001/2002 et gagnent ensemble les premiers trophées majeurs de leurs carrières en faisant le doublé coupe-championnat. Mais leurs contributions sont différentes. Zlatan connaît une importante baisse de forme en cours de saison et n’inscrira plus qu’un but après la mi-décembre. Mido, de son côté, met dix buts lors des neuf derniers matches de la saison et laisse Ibrahimovic sur le banc. Il permettra à son équipe de remporter le championnat un match avant la fin. Mido gagne alors le surnom de “Roi du Caire” par les supporters de l’Ajax.
De retour en Egypte, son adulation dépasse les limites du raisonnable. « Mido est dans l’esprit de tout le monde dans les rues arabes. Les hommes et les femmes arabes n’ont que le nom de Mido à la bouche. Il est pour les Egyptiens ce que Maradona était pour les Argentins – voire plus », peut-on ainsi lire dans un article de 2003 du Guardian.
Avec l’ailier au talent aléatoire Andy van der Meyde, Mido et Ibrahimovic forment un groupe d’amis un peu voyous : un trio de rebelles encore jeunes prodiges qui a le monde à ses pieds. Le Néerlandais racontera par la suite les histoires des trois compères allant faire des courses illégales dans les environs d’Amsterdam (« Zlatan avait une Mercedes, Mido alternait entre une Ferrari et une BMW Z »). Les deux attaquants semblent bien avoir l’intention de profiter de tous les avantages que leur offre leur profession.
La plupart du temps, ils s’entendent merveilleusement bien. Mais quand ça ne va pas, ce n’est pas beau à voir : dans le vestiaire après un match, Mido jette une paire de ciseaux vers son coéquipier de l’attaque, un crime pour lequel il sera rétrogradé en équipe réserve. « Je suis allé lui foutre une mandale, mais on s’est réconcilié dix minutes plus tard, écrit Ibrahimovic dans son autobiographie. Plus tard, j’ai découvert que notre manager avait gardé ces ciseaux en souvenir, pour le montrer à ses enfants. »
Les deux aiment autant foutre le bordel que perpétuer leur propre mythologie, donnant toujours aux journalistes de quoi remplir leurs colonnes le jour suivant. Quand on lui demande comment sa femme se sent en Hollande, Mido répond avec une formule toute zlatanesque : « Bien sûr qu’elle est heureuse. Elle est avec moi. Comment ne pourrait-elle pas être heureuse ? » Les egos s’entendent bien, et ils vont même drifter ensemble sur l’autoroute.
Mais si les deux ont des personnalités assez similaires, leurs milieux d’origine n’auraient pas pu être plus différents. Mido est né dans une famille très aisée du Caire, son père, un homme d’affaires égyptien, ayant payé pour les études de son fils dans des écoles privées. La route vers le succès d’Ibrahimovic a, quant à elle, débuté dans le ghetto du quartier de Rosengard à Malmö. « Canettes de bière, musique yougo, frigos vides et guerre des Balkans, voilà tout ce qu’on avait à la maison », écrira-t-il plus tard.
Un gosse de riche, un gosse pauvre, tous deux super talentueux et défiant l’autorité : pendant un instant, il semblait que le duo allait dominer le football européen pour les années à venir.
Mais si l’un des deux buteurs a réussi à faire cela, réalisant une carrière exceptionnelle grâce à son côté incontrôlable et son estime de soi sans limites, l’autre a eu beaucoup plus de mal, à cause de ces mêmes qualités. La carrière d’Ibrahimovic post-Ajax compte 330 buts, six super clubs européens, et 16 trophées majeurs. Pour Mido, la décennie qui suit comprendra 49 buts, un prêt à Barnsley et un partenaire d’attaque nommé Carlton Cole. Le premier réussit aujourd’hui pleinement ses débuts en Premier League, l’un des championnats les plus difficiles du monde, l’autre vit déjà sa troisième année de retraite.
Mido reste deux saisons à l’Ajax, le coup des ciseaux ayant poussé Ronald Koeman à le virer. Il fera quelques prêts non concluants au Celta Vigo, à l’OM (où il forme un autre duo éphémère avec une autre star en devenir, Didier Drogba), et à la Roma, avant deux saisons et demi à Tottenham, où, sous l’égide de Martin Jol, il n’est pas loin de s’établir enfin comme joueur de haut niveau. Après cela, il s’embarque dans une succession de petits clubs anglais pendant cinq ans, puis il fera deux saisons en Egypte avant de prendre sa retraite, fourbu et pas épargné par les blessures, à l’âge de 30 ans.
Son CV lors de ses dernières années – Middlesbrough, West Ham, Wigan, Barnsley – se lit comme une tournée des stades de moins en moins glamour. Après son départ des Spurs, il ne marquera jamais plus de 4 buts par saison. Des problèmes de forme physique et des rumeurs d’attitude d’enfant gâté le poursuivront partout où il ira. Sa carrière internationale sera marquée par un cycle continuel de disputes, de come-backs presque rédempteurs, puis de nouvelles désillusions.
Ibrahimovic n’est pas étranger aux pétages de câbles envers l’autorité, mais les médailles de ses années Ajax sont désormais enfouies au pied d’une pile de trophées. Alors que Mido ne verra que deux titres s’ajouter à sa collection après avoir quitté les Pays-bas, et à chaque fois, dans des circonstances amères.
En 2006, l’Egypte atteint la finale de la Coupe d’Afrique des nations, tient bon face à la Côte d’Ivoire pendant la séance de tirs au but, et remporte son premier tournoi en huit ans, et à domicile. Cela aurait dû être le point culminant de la carrière de Mido – peut-être que ça l’était – mais lui regarde ce match depuis les tribunes après s’être disputé avec son coach Hassan Shehata sur le banc de touche suite à son remplacement en demi-finale. « Si j’étais resté sur le terrain, j’aurais marqué. Je suis désolé pour les supporters, mais je ne m’excuserai pas auprès de Shehata », déclara-t-il après l’incident. Des excuses un peu plus sincères lui permirent plus tard de rentrer dans le stade, mais pas sur la pelouse.
En 2010, il vit une autre sorte de triomphe. Après un passage à Middlesbrough peu convaincant, et alors qu’aucun employeur ne se presse au portillon, son ancien coach des Spurs, Martin Jol, démontre une foi inébranlable en son poulain en le faisant revenir à l’Ajax pour un prêt d’une saison. Après plusieurs semaines perturbées par des blessures, il marque deux buts en cinq matches et décroche pour la première fois une place de titulaire. Il marque alors rapidement, mais le résultat nul de cette rencontre face à Nimègue (1-1) mènera à la démission forcée de Martin Jol. Sans son allié de vestiaire, et avec Frank de Boer à la tête de l’Ajax, il dégagera en vitesse.
De Boer réussira à sauver le club et ira jusqu’à lui faire gagner le championnat avec deux points d’avance : soit le nombre de points qu’aura fait gagner Mido au club d’Amsterdam. Mais au moment de faire le tour de la ville sur le bus aux couleurs du club, Mido est déjà bien loin, prêté qu’il est dans le championnat égyptien.
Trois ans plus tard, il prend sa retraite, alors que son vieux pote Ibrahimovic enfile trente buts en Ligue 1 pour faire remporter au PSG son premier titre depuis deux décennies. Et trois ans après, il pourrait faire de même en Premier League. La dernière fois qu’on a vu Mido, il se rasait la tête en direct à la télé égyptienne après avoir perdu un pari sur la victoire de Leicester.
Il serait tentant de voir dans les trajectoires de ces deux joueurs deux faces d’une même pièce : deux anticonformistes talentueux, avec deux histoires qui prouvent, chacune à leur manière, de l’importance de la volonté, du professionnalisme et de la remise en question. Mais ce serait trop simple.
Pour Ibrahimovic, la popularité a été le résultat de ses performances. Il a longtemps été le meilleur footballeur de son pays, mais ce ne fut qu’après bien des années de haut niveau que ce fils d’immigrés des Balkans remporta le Jerring Prize, le prix du sportif le plus populaire de son pays. « J’ai pris ça comme un signe que j’avais été vraiment accepté, pas seulement en tant que footballeur, mais en tant que personne », écrit-il. Mido a connu la gloire à l’adolescence, plutôt à cause de son potentiel qu’à cause de ses performances. Il était déjà un héros à peine sa puberté terminée : il n’a jamais connu de problèmes d’acceptation et d’identité.
Il n’est donc pas si improbable que l’un ait passé sa carrière à essayer de faire mentir le monde entier pendant que l’autre a eu une soif de succès étanchée assez rapidement. Ibrahimovic a maintenu son appétit de guerrier et sa volonté de gagner de trophées tout au long de sa carrière, pendant que Mido a dit au revoir à son physique de sportif il y a bien longtemps. A 33 ans, il semble plutôt mieux parti pour une carrière de consultant TV.
Leurs vies se sont peut-êtres déroulées différemment, mais l’amitié du duo a perduré. « Ibrahimovic est génial, a déclaré Mido quand on lui parlait de son vieux pote en 2014. Pas du tout lunatique, c’est la personne la plus sympa que vous rencontrerez dans votre vie. Je lui ai encore parlé la semaine dernière. »
S’il est facile de voir la carrière de Mido comme celle d’un potentiel qui s’est autodétruit, il n’en reste pas moins le premier footballeur égyptien connu mondialement. Ce n’est pas un petit accomplissement. Sa propre carrière n’a peut-être pas été éclatante pendant longtemps, mais son influence s’est faite sentir. « Il a changé la mentalité des familles ici, disait Mahmoud Gouhary, l’un de ses premiers coachs en 2005. Avant, l’éducation passait avant le football. Désormais les parents disent “Je veux que mon fils soit comme Mido.” »