Un jour de septembre 2013, Gucci a regardé autour de lui dans son studio, The Brick Factory, et s’est rendu compte qu’il possédait plus d’armes à feu que d’amis. À cette époque, il était complètement cramé par la codéine, et à tel point parano que personne ne voulait traîner avec lui – pas même sa fiancée, Keyshia Ka’oir.
« Quitte à retourner en taule, autant aller choper les mecs avec qui j’avais eu des embrouilles » se souvient-il. Il a décidé d’aller régler ses comptes avec certains anciens amis qui l’avaient menacé, même si ça impliquait de les tuer avant qu’ils ne s’en prennent à lui. Ces plans ont pris une tournure différente lorsqu’un flic l’a repéré entrain de péter les plombs dans les environs la Moreland Avenue d’Atlanta, et qu’il a finit par être appréhendé pour port d’arme illégal et refus de coopérer. Un ultime dérapage qui a conduit Gucci en prison pour 3 ans.
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Cette scène, qui pourrait être tirée d’un mauvais thriller criminel sur fond d’abus de drogue, est celle qui ouvre The Autobiography of Gucci Mane. Les mémoires du rappeur, écrites avec l’aide de Neil Martinez-Belkin, passent minutieusement en revue les différentes étapes de son parcours, tous les évènements qui ont fait de lui une des figures les plus controversées du rap actuel. Le livre sortira le 19 septembre aux États-Unis, chez Simon & Chuster.
Le Gucci de ce jour fatidique – qui a ensuite passé presque trois ans en prison avant sa libération en mai 2016 – n’est pas celui avec lequel je discute aujourd’hui. Le rappeur est désormais tel qu’on a pu le voir dans les clips ou sur les photos parus ces dernières années : frais, jovial, à l’aise, bienveillant. Il m’a longuement parlé de ses escapades à Daytona Beach à l’époque des petites magouilles, des longues heures passées à écouter Project Pat dans sa voiture, et de sa rencontre avec Zaytoven, entre autres. « Je t’apprécie, et je te souhaite le meilleur dans tout ce que tu entreprends », m’a dit-il dit en guise d’au-revoir.
Noisey : Nombreux sont les qui ont déclaré avoir utilisé l’ensemble de leur vie, de leurs expériences, pour écrire leur premier album. Ça a été ça pour toi aussi ?
Gucci Mane : Ouais, quand j’ai fait mon premier vrai album, Trap House, c’était complètement ça, dans le sens : voilà qui je suis là, à cet instant, le reste est à venir. Et il se trouve que j’ai fait un truc différent après. Et c’est un peu la même chose avec ce bouquin : je raconte ce que j’ai vécu jusque là, et j’ai envie que les gens en tirent quelque chose et se disent « Hâte qu’il en fasse un autre. » Dans celui-ci, je parle de mes origines, je parle de mes grands-parents… Le moment était venu que je raconte mon histoire.
Depuis sa finalisation, est-ce que tu l’as relu, ou est-ce que c’est le genre d’expérience dans laquelle tu n’as pas envie de te replonger ?
Je l’ai relu quelques fois depuis que je l’ai écrit. Quand il a été relié, notamment – parce que je voulais vivre l’expérience du lecteur lambda qui le découvre pour la première fois. Même quand je le lis aujourd’hui, c’est bizarre ; ça me fait un effet dingue. Ça me file un peu la chair de poule, parce que ça fait flipper. J’ai traversé beaucoup de choses, et à chaque fois que je le relis, je me souviens comment je me sentais. Je me souviens de tout. Ça a vraiment été une épreuve.
À un moment donné dans le livre, tu racontes comment les rappeurs de Memphis t’ont influencé quand tu étais plus jeune, surtout Project Pat. Tu as dit que tu pouvais d’identifier à sa musique sur tous les plans, mais en tant qu’auditeur, on dirait aussi que tu a récupéré quelques trucs stylistiques chez lui. Quand il est apparu pour la première fois, son style aussi était vraiment différent de tout le reste.
Il y a le timing, aussi. À l’époque où je faisais du biz, des magouilles, Project Pat était chaud bouillant. La vie, pour moi, c’est juste des périodes bien définies qui s’enchaînent les unes derrière les autres. Pendant ces années, de 18 à 23 ans, c’était la bande-son de ma vie de magouilleur. Je me souviens être en bagnole et écouter Pat. On passait notre année à faire nos affaires, et on allait à Daytona pour le Spring Break. On descendait en caisse, on amenait les bagnoles. Et je me souviens que c’était ce qu’on écoutait en faisant des allers-retours sur le strip, Ghetty Green et Layin Da Smack Down. Sa carrière est parallèle à la mienne ; aujourd’hui, beaucoup de rappeurs me respectent parce qu’il te disent : « Mec, je t’écoutais quand j’étais à la fac, quand j’étais au lycée. » C’était la musique qu’ils écoutaient, c’est fou. C’est pour ça que je comprends la fascination qu’ils ont pour moi. Je comprends que les gens aiment ma musique parce qu’elle fait partie de ces années de leur vie.
Tu évoques aussi le fait que ton morceau « Black Tee » a lancé ta carrière une fois que Bun B et Killer Mike ont accepté d’apparaître sur le remix. Est-ce que tu te souviens à quel point ça t’a encouragé à continuer, en tant qu’artiste débutant ?
Ça a été incroyable. Je m’en souviens comme si c’était hier, parce qu’il y avait Killer Mike et Bun B en même temps, et je les respectais tous les deux. Je kiffais Killer Mike, mais j’étais un énorme fan de… Disons que si Project Pat est mon artiste préféré, alors UGK est mon groupe préféré. Donc de rencontrer Bun B en vrai, et qu’il me dise qu’il était chaud de rapper sur ce morceau, c’était fat ! Un mec dont j’apprécie la musique et que je respecte en tant que personne était chaud pour faire un morceau avec moi ! Quand j’ai fait le remix, Atlanta l’a adopté directement. Dès que j’ai fini le morceau, j’étais entrain de graver des CDs et je le passais en club, le soir même. La réaction a été immédiate. C’était genre : putain, il a réussi à avoir Bun, Killer Mike et Scrappy ? Comment il a géré ça ? Je n’étais pas signé, je vendais toujours de la dope tous les jours à cette époque. Donc c’était énorme pour moi, de réussir à faire ça.
Il y a un passage où tu parles du fait que certains rappeurs ne captaient pas le style de production de Zaytoven, parce qu’il n’était pas populaire dans la ville.
Atlanta a adoré « So Icy ». Ils étaient à fond, dès le jour de sa sortie, mais une fois que le morceau a commencé à être populaire dans le pays entier, certains l’ont aimé et d’autres non. Je me souviens encore de la première fois où le clip est passé dans 106 & Park, à l’époque. Tu vois, quand la vidéo était finie et qu’ils demandaient au public ce qu’ils avaient pensé du morceau ? Tout le monde a dit qu’ils n’avaient pas aimé. Genre « On n’aime pas » ou « Ça sonne chelou ». Voilà la réaction. J’étais tellement content d’avoir mon clip sur 106 & Park mais le public n’a pas compris. Ça n’a pas empêché que le morceau marche, mais beaucoup de gens n’ont pas compris ce qu’on faisait à l’époque.
C’était quoi, selon toi, qui faisait que Zay sortait du lot ? Est-ce que c’était parce que ses sons étaient, justement, très bizarres ?
C’est le destin. Dieu a fait que nos chemins se croisent. On avait tous les deux environ 18 ans, on sortait à peine du lycée. Il allait en école de coiffure et faisait des beats. Moi je vendais de la drogue, et un type avec qui j’étais en cours s’occupait d’un petit artiste, ils allaient au studio de Zay, et ils avaient besoin un coup de main pour financer son premier CD. Quand ils m’ont amené au studio de Zay, ça a accroché direct. Un jour il m’a dit : « Pourquoi tu n’essaies pas de rapper ? » Voilà pourquoi il est important à ce point pour moi. Il me dirait de ne pas dire ça, mais je lui dois ma carrière, parce qu’il m’a ouvert les portes de son studio, et sans lui, je ne me serais jamais impliqué à ce point. C’est lui qui m’a dit « T’es le meilleur de tous ceux qui viennent ici. » On en est arrivé à un moment où il m’a dit qu’il ne voulait pas que je lui file d’argent. Il voulait juste que j’enregistre tous les jours. Il me disait « C’est grâce à toi que je vais exploser. » Il faut te dire, il y avait un million de personnes qui venaient au studio, et ils m’avaient juste fait venir pour de la paperasse à la base. Il ne m’avait jamais entendu rapper avant. Il me disait « Tu rappes jusque-là, et puis tu envoies un refrain. » Bien sûr, j’avais mon propre style et mon charme, mais c’est lui qui m’a donné la structure. Voilà pourquoi je suis si loyal avec lui.
On dirait que tu adopté la façon de faire que Zay a eue avec toi, ce truc de vraiment croire et s’investir dans quelqu’un. Parce que si on y regarde bien, il n’y a pas beaucoup de rappeurs d’Atlanta aujourd’hui dont les débuts se sont faits sans toi.
C’est un autre truc pour lequel il faut rendre honneur à Zay. C’est de lui que j’ai hérité cette stratégie, parce que c’est en allant à son studio que j’ai rencontré Yung LA, Yung Ralph et Bankroll Fresh. Zay avait ces mecs en studio quand ils avaient 17 ou 18 ans. Au bout d’un moment, j’ai fini par lui dire : « Putain, mais pourquoi à chaque fois que je me pointe ici il y a des gens différents ? » Et il me disait : « Je ne les fais même pas payer. Ils défoncent. » Et c’est ça, toute sa mentalité ; ils défoncent tellement que ça lui plaît de simplement créer avec eux. Il se disait que ses beats sonnaient mieux avec eux. Il préférait leur donner ses beats plutôt que de les vendre à untel ou untel, parce que le résultat global serait meilleur. J’avais une bonne vibe avec eux. Je faisais des trucs avec Bankroll Fresh quand il avait 17 ans. Personne ne le connaissait. Tout est arrivé grâce à Zay. Alors j’ai commencé à me dire : si quelqu’un est bon, bosse avec lui. Ça a commencé à être ma stratégie. La seule condition, c’est de penser qu’ils ont du talent. Si je me dis qu’ils ont du talent, alors je me dis qu’on peut collaborer et faire un bon truc. C’est pas comme si je me disais que j’allais contribuer à leur carrière. Je sais que je suis bon, et tout le monde dit que tu défonces, alors allons au studio et voyons ce qui en sort.
Est-ce que tu espères que ton livre sera lu par des gens en particulier ?
Pas du tout. Il est là, t’en fais ce que tu en veux. Certains diront que ce n’est pas cool d’écrire un livre mais ceux-là, je m’en tape – ce n’est pas mon job de changer leur façon de penser. Mon job, c’est de m’exprimer de manière créative et de faire des trucs qui, à mes yeux, défoncent. J’adorerais que ça plaise à tout le monde, que tout le monde comprenne, et en tire quelque chose. Mais bon, chacun son truc. Il ne faut pas se prendre la tête à se demander qui ça va toucher. Si ton truc est suffisamment bon, il touchera les gens qu’il doit toucher.
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Cam Kirk est un photographe d’Atlanta. Il est sur Instagram.