La France, dans un futur proche. Un lieu comme un autre. Les forces de l’ordre sont attaquées de toutes parts. Les banlieues se révoltent et défient l’État. L’islam politique est dépassé par sa propre base. Le pouvoir en place est renversé, en partie à cause de sa propre incurie. Des massacres de civils sont documentés un peu partout.
Qui peut dire qu’un tel scénario ne se produira jamais dans une France qui, par le passé, a connu son lot d’épisodes ultra-violents ? OK, ce n’est pas ce qu’on apprend à nos chères têtes blondes. Non, la conviction la plus partagée au sein du milieu éducatif est que l’Histoire est en passe de se terminer, que la démocratie libérale a triomphé, que les citoyens n’ont plus d’autre choix que de s’y rallier et que nous n’aurons plus jamais à nous inquiéter d’un possible « retour en arrière » – le terrorisme n’étant qu’un épisode malencontreux, un nid-de-poule sur la route du vivre-ensemble. Sauf qu’entre une théorie de Francis Fukuyama et la réalité des faits, il y a ce gouffre dramatique – qui se nomme fatalité ou condition humaine, selon votre regard sur la question.
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C’est de ce gouffre incertain que naissent les peurs les plus classiques. C’est de ce gouffre qu’a surgi Guerilla – à écrire sans accent, ne me demandez pas pourquoi. Pour son troisième bouquin et son premier roman, Laurent Obertone, essayiste bien connu de la droite dite dure, raconte les trois jours qui ont mené à la fin de la République française – à grands coups d’assassinats, de viols et d’Allahou Akbar martelés dans les banlieues françaises. Autant le dire de suite, au vu des très bons chiffres de vente du livre malgré une absence quasi-totale de reprise dans les médias, on peut dire que l’auteur a touché juste. Délinquants, arabes, musulmans, jeunes de banlieue : tous sont là, ne formant qu’une masse informe qui prend son élan depuis la Seine-Saint-Denis pour submerger une France masochiste, qui ne demande qu’à être conquise sans son consentement.
Sur le papier, Guerilla, publié chez Ring, aurait pu rejoindre les grandes œuvres dites « de droite », celles qui insistent, en gros, sur les notions d’autorité et de vengeance. Un justicier dans la ville, Chute libre ou Le Camp des saints ont prouvé qu’il n’est pas nécessaire de se conformer à la vulgate de Serge July pour créer avec talent. Sauf que le melon de Laurent Obertone est ce qu’il est – la dédicace du livre « à ceux qui n’ont pas compris » est là pour le rappeler. En prétendant jusqu’au vomissement que son récit est ancré dans le réel, scientifique, issu d’un « travail d’écoute, de détections et [des] prévisions du renseignement français », l’auteur de La France Orange Mécanique a emporté l’adhésion de milliers de lecteurs, convaincus qu’il est minuit moins le quart avant l’Apocalypse. En parallèle, il évacue tout ce qui aurait pu faire le sel de son bouquin, à savoir une évocation romancée d’une France sur la ligne de crête.
Une étude de caractères aussi simpliste – avec l’antifa dont la copine bobo finit par être violée par un mec de banlieue, des journalistes « collabos », un terroriste sous captagon, un vieux militaire qui comprend tout, tout de suite – n’a jamais fait un bon bouquin de fiction. Surtout lorsque s’ajoute à cela un style laborieux, du genre :
« Ce n’était plus qu’une question de temps, et ce temps serait court. »
« Pour les uns, la vie était une fête. Pour les autres une longue défaite. »
« Ils étaient les êtres sans visage et sans nom du monde sans forme. »
« Ça chauffait. C’était même carrément bosniaque, comme on disait dans la biffe. »
Style ronflant, phrases lénifiantes et orgueil démesuré : le compte est bon pour Guerilla, qui doit ses quelques bonnes critiques à des médias plutôt proches idéologiquement, à savoir Valeurs Actuelles, Breizh Info ou encore Atlantico. Sauf que dans ce cas-là, il est impossible de s’en tenir au seul talent, ou non-talent, de Laurent Obertone. Le problème est tout autre, en fait. Comment parler d’un livre que l’on considère comme étant plutôt mauvais en sachant qu’un tel jugement ne fait que confirmer sa qualité aux yeux de lecteurs détestant les médias traditionnels ?
Eh bien, sans doute en reconnaissant ses quelques fulgurances, qui en disent long sur la médiocrité d’une large partie de la classe politique, de certains entrepreneurs de morale et de la presse mainstream quand celle-ci aborde les thématiques d’identité, de religion et de sécurité – dès que le journaliste traditionnel, donc de gauche, sort de sa zone de confort intellectuel. Au fil des 400 pages de Guerilla, on prend logiquement un malin plaisir à assister à la chute de quelques antifascistes de pacotille – persuadés que le fascisme est incarné de nos jours par l’État – et de plusieurs éditorialistes amoureux des anathèmes. Pour faire simple, tous finissent par crever, pour mon plus grand bonheur – et celui de la fanbase de l’auteur.
Ces mêmes lecteurs vous diront que Laurent Obertone joue les Cassandre avec brio. Que la « multiplication » des faits divers récents indique que la guérilla – la vraie, avec accent – n’est plus très loin. Que l’apparition en France de certaines revendications propres aux musulmans est la première pierre sur le chemin cahoteux de la domination mahométane. Comment faire pour critiquer un livre qui part d’un axiome par essence indémontrable : celui de la dépacification des mœurs ? L’agression de policiers à Viry-Châtillon, celle d’un professeur à Argenteuil par deux types affirmant que « le seul maître, c’est Allah » ou encore le viol d’une interprète par un Afghan à Calais – tout cela va dans le sens d’Obertone aux yeux de ses lecteurs, et c’est somme toute logique, surtout quand on voit à quel point les médias sont mal à l’aise face à de tels événements sporadiques. Tout l’intérêt de Guerilla ne réside pas dans son propos, ni dans son style, mais bien dans les réactions – et l’absence de réaction – qu’il engendre.
Imaginons un instant que le bouquin soit adapté au cinéma. Admettons que Don Siegel s’y attelle – je sais, il est mort. L’atavisme étant ce qu’il est dans notre pays, on peut deviner qui aurait pensé quoi du résultat final. Et c’est ce que rappelle avec talent Obertone. Qu’une France – que l’on peut nommer invisible, périphérique – n’a plus rien à foutre de ce que lui prescrit une autre – que l’on peut nommer urbaine, individualiste ou festive.
Au sein de cette première France, les cibles sont parfaitement désignées : psychologues, bobos, journalistes, hommes abâtardis, juges pour enfants, politiciens, réfugiés. Celle-ci ne jure que par les vieux militaires, les hommes fidèles à l’état de nature, les villageois, la communauté chinoise de Paris ou les médecins acariâtres et « anticonformistes ». Ce sont eux que loue Laurent Obertone, qui connaît ses lecteurs mieux qu’eux ne se connaissent. Ils partagent tous la conviction que « le poisson pourrit par la tête », que la vérité sort toujours de la bouche des paysans, que la France attachée à la terre puise dans ses racines ce que la France déterritorialisée cherche dans le voyage, l’immatériel : un sens à la marche du monde.
Au sein de cette dernière, le lecteur admiratif de Guerilla ne pourra être qu’un plouc doublé d’un raciste benêt. En effet, pourquoi avoir peur de l’altérité quand la seule que l’on confronte au quotidien est celle de son chauffeur de bus anonyme ou de la « brigade » invisible de son restaurant asiatique préféré ? Quelle hystérie peut bien toucher cette France inconnue, pour qui la banlieue n’est pas « pétrie de talent » ? Quel mal peut bien prendre racine dans une zone périphérique qui voit de nombreuses initiatives artistiques germer en son sein au fil des années ? Voilà des questions auxquelles les lecteurs de Laurent Obertone pourraient répondre pendant des heures tandis que ses contempteurs se contenteraient de hausser les épaules – ceux-ci étant victimes de cécité assimilée, ceux-là de haine réprimée depuis des lustres.
Si la littérature à succès a souvent mauvaise presse, Laurent Obertone a eu le malheur de repousser trop loin les limites de l’acceptable pour des critiques littéraires qui adoubent le roman de gare lorsque celui-ci se contente d’être candide. Par conséquent, omerta totale sur Guerilla. En interdisant aux idées, mêmes rances, d’être débattues – ce qui n’est pas nouveau en France, il n’y a qu’à penser à la loi Gayssot pour s’en convaincre – on ouvre la voie au triomphe d’un auteur qui resterait mineur si certains ne se gargarisaient pas de détenir la Vérité dans leur plume.
Marcel, personnage sans importance de Guerilla, est un ancien syndicaliste alcoolique. C’est un type qui traite un gars de « bougnoule » dans un bar et qui prédit que « tout ça va mal finir ». Il est l’incarnation de ce livre, de son auteur qui ne voit le monde que par une lorgnette sans nuance. Chez Obertone, il n’y a pas de place pour le gris. C’est ce qui plaît tant à ses lecteurs, qui ne jurent que par la critique (justifiée) des Torquemada contemporains et l’éloge (aveugle) de ceux qui « pensent différemment ». Le manichéen Guerilla est tout sauf un chef-d’œuvre, mais c’est le bouquin que notre époque mérite.
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