Comme un certain nombre de gamins élevés dans une zone rurale de l’ouest de la France, j’ai déjà entendu parler d’un voisin ou d’un grand-père possédant ce que l’on appelle par là-bas un « don » – du mec guérissant les verrues avec de la bave de limace au type soignant les brûlures avec ses mains. Il est toujours intéressant de constater à quel point, dans la France prétendument cartésienne d’aujourd’hui, la réputation de ces « guérisseurs » ne faiblit pas, notamment dans les campagnes.
Il y a peu, j’ai été victime d’acouphènes – un trouble auditif qui donne l’impression d’avoir en permanence la tête dans un micro-ondes. Les acouphènes n’ont, le plus souvent, aucune origine, et ils ne peuvent être traités. Mon médecin me l’a confirmé en me conseillant laconiquement de « vivre avec ».
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J’ai profité de ma visite dans son cabinet pour lui demander ce qu’il pensait des rebouteux et de tous ces gens qui, à la campagne, prétendent avoir des dons qui relèvent presque de la thaumaturgie. Bien évidemment, il est resté évasif sur le sujet et s’est contenté d’une réponse tout aussi liminaire que la précédente : « Vous savez, si les gens y croient, la force de l’esprit, tout ça… » Il m’a tout de même confirmé que ces dons étaient considérés comme héréditaires.
Le bourdonnement permanent dans mon crâne m’a donné envie d’en savoir plus sur cette tradition. Il m’a suffi d’évoquer vaguement la question des rebouteux auprès de ma famille pour que chacun y aille de son anecdote. C’est là que j’ai décidé de reprendre contact avec une tante éloignée qui, il y a quelques années de ça, m’avait affirmé avoir « conjuré » des verrues.
Je n’avais pas vu Babeth depuis un bout de temps. Aujourd’hui, c’est une sexagénaire heureuse, qui mange une glace en regardant ses petits-enfants patauger dans sa piscine gonflable. Elle a gentiment accepté de répondre à mes questions sur ses talents de guérisseuse.
VICE : Salut Babeth. Quand as-tu compris que tu avais un « don » ?
Babeth : Un jour, alors que je devais avoir 13-14 ans, ma grand-mère m’a dit : « Toi, tu as un don. Je vais te dire ce qu’il faut dire quand tu verras des gens avec des verrues ou des problèmes de peau. » Elle m’a juste appris les mots à prononcer, en fait. J’aurais voulu savoir ce qu’elle avait vu en moi. Je ne lui ai jamais demandé et maintenant c’est trop tard.
Quand on m’interroge sur ce don, je dis que ça vient de ma grand-mère. Je n’en sais pas plus. Je pense qu’un jour, je transmettrai cela à ma première petite-fille.
C’est inné, alors ?
Difficile à dire. Une fois, alors que quelqu’un s’était brûlé, j’ai dit : « Ma grand-mère m’a transmis un don, je peux essayer de te soigner. » Ça a marché. J’ai guéri des verrues, aussi. Parfois, ça ne donne rien.
Demandes-tu à être payée quand tu soignes les gens ?
Non, c’est simplement du bouche-à-oreille. Je ne demande rien – si l’on veut me donner quelque chose, j’accepte, mais c’est tout. Ça reste surtout dans le cadre familial. Je n’ai pas installé une plaque devant chez moi !
Je vois. Et sinon, tu récites quoi quand tu t’occupes d’un « patient » ?
Ça, c’est un secret. Il y a quelque temps, mon fils a trouvé une formule de « guérison » dans un magazine. Il m’a demandé si c’était celle-là que j’utilisais. Bien entendu, je ne lui ai rien dit. Ça y ressemblait, mais ce n’était pas tout à fait ça.
L’extrait de magazine en question. Photo de l’auteur
Ça marche aussi par téléphone ?
Oui, mais j’aime mieux voir en vrai. Après, si je reçois une photo nette par SMS, je peux faire ça à distance – quand quelqu’un a une verrue ou s’est brûlé le doigt, par exemple.
Que fais-tu pour traiter les verrues et les brûlures ?
Pour les verrues, il faut que j’intervienne trois fois, avec des semaines entre chaque intervention. Plus une verrue est ancienne, plus il est difficile de la faire partir.
En ce qui concerne les brûlures, il faut savoir que par chez moi, on cuisine beaucoup de galettes – on a donc souvent des enfants qui se brûlent avec la galettière. Si la blessure est trop importante, je ne peux rien faire, hormis soulager la douleur. Il m’est également arrivé de « soigner » des gens suivant une chimiothérapie – qui les brûle. Certains m’ont dit que ça leur faisait du bien.
Utilises-tu des produits spécifiques ?
Non, je n’utilise rien. Après, certains guérisseurs coupent une patate en deux et la mettent sur les brûlures. Sinon, j’ai déjà entendu dire que faire pipi dans un bocal pouvait permettre de faire disparaître des verrues.
Il y a autant de recettes que de guérisseurs, en fait.
Voilà. Certains ont peut-être des dons, mais ils en rajoutent. C’est sans doute pour avoir des « clients ». J’ai déjà vu quelqu’un tomber en transe. Moi, je ne crois pas à ça. Ma grand-mère m’a donné une formule, point final. Les gens sont surpris quand je leur dis qu’après l’avoir prononcée, je n’ai plus rien à faire. Ils seraient presque soulagés de me voir utiliser une plante ou de l’ail !
As-tu déjà parlé de ton « don » à un médecin ?
Parmi les médecins, il y a ceux qui n’y croient pas du tout et ceux qui disent : « Allez-y, ça peut peut-être marcher. »
Il faut donc y croire pour que ça marche ?
Oui, un peu. Un adulte, s’il vient me voir, c’est qu’il y croit. Pour les verrues, des gens me contactent après avoir tout essayé. C’est un dernier recours, et ils s’y accrochent.
On m’a dit que l’hôpital près de chez toi t’avait déjà appelée ?
Oui, j’ai reçu des appels pour soigner des brûlés. Comme je te l’ai dit, je ne guéris pas les brûlures, mais je les calme. Je me suis déplacée une ou deux fois. Le reste du temps, je fais ça au téléphone.
Je ne sais pas qui, des familles ou de l’hôpital, a effectué la démarche. Je ne sais même pas comment ils ont eu mon numéro.
As-tu déjà évoqué ton « don » avec des croyants ?
Non. Mais je crois savoir que les moines membres d’une abbaye située près de chez moi en Bretagne guérissent des malades. J’ai entendu dire ça.
Selon toi, y a-t-il un rapport avec Dieu ?
Je pense, oui.
J’avais un dernier truc à te demander : j’ai des acouphènes dans l’oreille, est-ce que tu peux faire quelque chose ?
Je peux essayer, oui.
OK, merci Babeth.