La puberté est un moment difficile pour tout le monde. Pour certains, cependant, c’est encore plus compliqué que pour d’autres. Jonny a passé les premières années de sa vie à vivre comme une fille, avec un corps de fille. Jusqu’à ce qu’à l’âge de 11 ans, un pénis lui vienne à pousser.
Jonny est ce qu’on appelle en République dominicaine un « guevedoces » – quelqu’un né en tant que fille, mais qui devient un homme en grandissant. Il a récemment fait une apparition dans le documentaire « Countdown to Life » de la BBC Two, qui explore la façon dont le temps que nous passons dans le ventre de notre mère a un impact sur notre vie. J’ai discuté avec le présentateur de l’émission, le docteur Michael Mosley, afin d’en savoir plus sur les guevedoces.
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VICE : Comment avez-vous eu l’idée de cette série documentaire ?
Dr. Michael Mosley : Les neuf premiers mois de la vie sont un territoire de recherche très peu exploré. Jusqu’à récemment, il était très difficile de l’étudier, mais la technologie moderne nous permet de mieux visualiser ce qui se passe et d’avoir une meilleure compréhension de l’expérience intra-utérine. Nous avons pensé qu’il serait intéressant de plonger dans cette période intrinsèquement mystérieuse et de regarder ce qui arrivait, et ce qui pourrait aller de travers. Il s’agit de neuf mois seulement, mais ce qui s’y passe aura un impact pour les 30, 40, 50 années suivantes.
Où avez-vous entendu parler des guevedoces pour la première fois ?
J’ai pour la première fois rencontré le cas des guevedoces alors que j’étudiais à la fac de médecine, dans les années 1980. Les guevedoces ont été identifiés pour la première fois par une chercheuse de Cornell dans les années 1970. Je me rappelle avoir assisté à une conférence et m’être dit : « Mais c’est génial ! Comment est-ce possible ? » Dès lors, j’ai eu envie d’en faire un documentaire. Cette histoire était bien trop fascinante pour ne pas en parler dans la série.
Ce phénomène est-il propre à la République dominicaine ?
D’autres groupes ont été identifiés à travers le monde. La différence, c’est que les gens en République dominicaine sont très ouverts. Dans d’autres pays, ces personnes sont vues comme anormales et se font maltraiter. En République dominicaine, la population n’y voit rien de bizarre. Leur tolérance est remarquable.
Que sait-on aujourd’hui sur les causes de ce phénomène ?
On sait désormais beaucoup de choses. Cette idée qu’à l’approche de la puberté on se transforme en garçon et qu’un pénis commence à pousser est à la fois étrange et fascinante. Les raisons de ce changement sont antécédentes à la naissance. On sait qu’avant les six semaines de grossesse, le sexe est indéterminé. C’est seulement après ça que, si vous possédez les chromosomes XY, le chromosome Y diffusera de la testostérone – et une forme particulièrement puissante de testostérone appelée dihydrotestostérone.
Si cela n’a pas lieu, vous serez une fille. Les guevedoces n’ont pas l’enzyme qui convertit la testostérone en dihydrotestostérone, donc quand ils naissent, ils ressemblent en tout point à des filles. Ils ont à la fois des testicules – mais ils sont cachés à l’intérieur du corps – et une sorte de vagin. Quand ils atteignent la puberté, ils ont une poussée de testostérone et cela suffit pour qu’un pénis commence à pousser et qu’ils se mettent à ressembler à des garçons.
Comment font ces enfants pour gérer ce changement ?
Souvent, ils en ont déjà fait l’observation chez un cousin ou quelqu’un d’autre. Cela arrive dans un nombre relativement restreint de familles, et environ 1 enfant sur 90 est touché, donc ils savent qu’il y a une chance que cela survienne. Il y a souvent des signes annonciateurs. Les mères disent des choses comme : « Elle a toujours été un peu garçon manqué. »
Cependant, les moqueries existent quand même. Un des garçons a bien compris pourquoi ses camarades de classe avaient l’air surpris quand il est passé du jour au lendemain de fille à garçon. Mais globalement, il y a beaucoup d’indulgence.
Dans le documentaire, vous montrez que les familles élèvent leurs enfants comme des filles jusqu’au moment où ils commencent à ressembler à des garçons, même si elles savent que le changement va s’opérer.
Exactement. Dans certains cas, les personnes décident de rester des filles. Elles prennent leur décision et recourent à la chirurgie esthétique. Elles pensent : « J’ai été une fille pendant tout ce temps, je resterai une fille. » On a interviewé en priorité des gens qui avaient décidé d’être des hommes. Mais j’ai entendu parler de la tante d’un des enfants, qui elle avait décidé de rester femme.
Qu’est-ce que l’étude des guevedoces nous apprend ?
La chercheuse qui est venue ici dans les années 1970 a fait différentes recherches. Elle a remarqué que les mâles les plus âgés n’avaient pas de prostate proéminente. Pour la plupart des hommes, la prostate grossit avec l’âge, et c’est ce qui conduit à divers problèmes – comme l’incapacité à uriner. En fait, il existe désormais un médicament qui imite ce qui se passe naturellement chez les guevedoces et qui est utilisé pour traiter l’hypertrophie bénigne de la prostate. Il s’avère que c’est aussi assez efficace contre la perte de cheveux.
Pensez-vous que les guevedoces prouvent quelque chose sur la façon dont nous concevons le genre dans notre société ?
Cela nous montre à quel point cette question est complexe. Un des thèmes que nous avons exploré dans un deuxième cas est celui des enfants transgenres – des garçons qui sont persuadés dès le plus jeune âge d’être une fille, et vice versa. Je pense sincèrement qu’il y a quelque chose de génétique qui survient avant notre naissance et qui touche à ce genre de choses, et qu’il ne s’agit pas de quelque chose de volontaire ou de social.
Dans le cas des transgenres, les gens ont pour habitude de penser qu’il s’agit d’une sorte d’erreur, d’un caprice, mais les faits sont très clairs. Quand vous forcez un enfant transgenre à rester comme il est, cela conduit à des taux très élevés de suicide. Les gens ont des besoins et des envies différents. On ne peut pas juste faire en sorte de l’ignorer et faire semblant que nous sommes tous les mêmes et vivons selon une règle stricte et évidente du genre.
Ce que l’on peut tirer de tout ça, c’est qu’il y a différents stades de développement dans l’utérus, et qu’ils influencent le reste de notre vie de façons diverses et nombreuses. Dans le cas des guevedoces, il s’agit d’une différence conséquente. C’est pareil dans le cas de Mati, l’enfant transgenre que l’on voit dans l’émission ; sa vie est en grande partie influencée par quelque chose qui s’est passé très tôt.
Vous dites que réaliser cette série a changé la façon dont vous pensiez le genre. De quelle façon ?
Cela fait longtemps que je pense que les hormones, dans l’utérus, sont capables d’influencer non seulement nos caractères physiques, mais aussi ce qui se passe dans le cerveau. Je ne dis pas que les hommes et les femmes ont des cerveaux différents, mais il y a quand même de nombreux indices.
J’ai travaillé sur un programme avec le professeur Baron-Cohen à Cambridge, et il est à l’origine de cette idée qu’il existe des personnes « empathiques » et des personnes « pragmatiques ». Les pragmatiques aiment les chiffres et leur collecte, alors que les personnes empathiques sont plus tournées vers l’émotion. En gros, les hommes pencheraient plus du côté des pragmatiques et les femmes des empathiques. Il pense, et a un nombre important de preuves, que l’exposition aux hormones dans l’utérus peuvent avoir une influence. Mais c’est un domaine très controversé. Les politiques du genre sont hautement polémiques, pour la raison évidente qu’elles sont souvent utilisées pour dévaloriser les femmes.
Quelle est la chose la plus surprenante que vous ayez apprise pendant cette émission ?
Énormément de choses. Dans le premier épisode, j’ai étudié les effets de l’alimentation dans les premières heures de conception et quelle différence cela pouvait générer. J’ai adoré rencontrer la famille dont tous les membres avaient six doigts. J’ai aussi beaucoup apprécié de pouvoir enfin documenter les guevedoces – c’est quelque chose qui me fascinait depuis longtemps. J’ai pris beaucoup de plaisir à rencontrer tant de gens différents. Avant de commencer, je pensais en connaître déjà pas mal sur le sujet. C’était tout le contraire.
J’espère que les gens retiendront de cette émission qu’il existe cette période inconnue de notre vie dont on ne peut pas se souvenir, mais qui influence toute notre existence. J’espère que cela leur permettre d’être plus tolérants.