Au milieu des bunkers nazis, là où poussent les meilleurs champignons
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Au milieu des bunkers nazis, là où poussent les meilleurs champignons

En Pologne, partir à la chasse aux chanterelles et aux bolets, c'est aussi se confronter aux atrocités qui ont marqué le pays tout au long du XXe siècle

En Pologne, la chasse au champignon est un passe-temps particulièrement répandu. Rares sont ceux qui ne partent pas en balade dans la campagne sauvage pour y collecter quelques trésors. Tout le monde a son coin préféré. Certains sont si jalousement gardés qu'on ne les transmet même pas à la famille ou aux amis. Dans la majeure partie du pays, ces excursions sont aussi l'occasion de tomber sur les reliques d'un passé agité.

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J'ai eu la chance de pouvoir participer à une de ces chasses avec ma belle-famille. On a crapahuté dans les bois du parc national de la Biebrza à la recherche de chanterelles, de bolets et d'autres cadeaux de la nature. J'ai dû apprendre les ficelles du métier: où regarder pour être certain de toucher le gros lot, comment éviter les variétés empoisonnées et quelle es la meilleure façon de les préparer avant de les bouffer.

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Pendant notre quête, les atrocités ayant marqué la Pologne tout au long du XXe siècle ont refait surface. Après quelques pas dans le parc et sa forêt de pins, on est immédiatement tombé sur une tranchée. Réminiscence de la Première Guerre mondiale, elle traversait les bois en diagonale. Aujourd'hui, les chercheurs de trésor armés de leur détecteur de métal continuent d'exhumer ;de vieilles munitions et autres artefacts enfouis près des anciennes lignes de front. Au fil de nos déplacements, on a vu beaucoup d'excavations creusées par des hommes animés d'une mission beaucoup plus relou que la nôtre.

Un bunker russe datant de la Première Guerre mondiale, détruit lors d'un exercice de l'armée polonaise. Toutes les photos sont de l'auteur.

On a navigué entre les arbres et plongé le nez dans le sol pour tenter d'y déceler des maślaki, ces champignons à chapeau marron qu'on connaît sous le nom de bolet. Ils étaient particulièrement introuvables ce jour-là. Peut-être que la zone avait déjà été ratissée. J'ai trouvé quelques champis à casquette foncée et lames multiples qui ressemblaient à des bonnes trouvailles mais ils ont été jugés impropres à la consommation – apparemment, on en cherchait avec des dessous gommeux. Ensuite, on est tombé sur un champignon qui correspondait parfaitement à la description mais après l'avoir léché, la sensation de fourmillements et d'engourdissement qui a envahi la langue laissait présager quelques dangers.

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On était aussi à la recherche de chanterelles, baptisés kurka en Pologne. Les chanterelles sont une des espèces les plus répandues et les plus faciles à trouver et à identifier. Ils poussent généralement sur un sol mousseux et en groupe. Ils ont un chapeau orange qui les distingue du vert environnant. Quand vous trouvez une chanterelle, vous avez de fortes chances d'en choper une grappe. Les autres se cachent sous la mousse épaisse. À cause de leur couleur éclatante et de leur forme unique, les chanterelles sont particulièrement aisées à identifier même pour un mycologue amateur. Elles sont délicieuses en omelette ou en soupe et offrent une bonne source de potassium, de fer et de vitamine D. Les chanterelles et les autres champignons sont aussi utilisés comme farce dans les galumpki (des rouleaux de chou), pour assaisonner la viande ou comme accompagnement.

Dans notre quête, on n'oubliait pas non plus le kolpak ou pholiote ridée, et le prawdziwek ou bolet, qu'on retrouve régulièrement dans les fameux pierogi. Le bolet est une des cibles de la célèbre chasse au champignon racontée dans le poème épique Messire Thadée d'Adam Mickiewicz – même si l'on peut débattre de la référence aux champignons.

Les chanterelles que j'ai réussi à choper.

Il s'avère que j'étais le pire de tous les chasseurs de champignons. Je n'ai ramassé qu'un maigre butin de chanterelles alors que les autres – certes plus expérimentés avait réuni une impressionnante collection de champis. Heureusement, je compensais ma nullité de cueilleur par une bonne éducation.

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Aux alentours, on tombait parfois sur des vieux édifices en bitume, des bunkers et autres systèmes de défense construits par les Russes pendant la Première Guerre mondiale. Les ruines chancelantes étaient laissées à l'abandon. Les barres d'armature dénudées percent les murs et forment des angles étranges après avoir été pulvérisées par les soldats polonais lors d'entraînements, plusieurs décennies après leur construction. À l'intérieur, il y a un bordel formé par les décombres et des cadavres de bouteilles de bière. On peut toujours voir les protections en métal fuselé pour éviter que les balles des snipers ne ricochent dans le bunker.

Un bunker allemand de la Seconde Guerre mondiale dans les foins.

Alors qu'on conduit vers une autre partie de la campagne polonaise, d'autres bunkers jalonnent le chemin. Ils ont été construits par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale – après avoir rompu le pacte de non-agression avec les Soviétiques en 1941 et fortifié la ligne de front avec l'URSS. Aujourd'hui, les bunkers défendent des champs de foin. Ils sont encore en bon état. Les meurtrières et les conduits d'aération sont encore intacts. Dans un coin, il y a un trou qui donne sur un espace de stockage et d'autres tunnels qui mèneraient à des bunkers stratégiquement placés sur les collines avoisinantes. Les blockhaus sont disposés de manière à être en vue au moins par un autre. Devant, on trouve une tranchée censée dissuader une attaque par un véhicule blindé de type char d'assaut

Le mémorial commémore le massacre de 250 juifs en 1941.

On fait un dernier arrêt, cette fois devant un mémorial en pierre surmonté d'une ménorah et de l'étoile de David. Le monument a été érigé pour commémorer les victimes du pogrom de Wąsosz durant lequel 250 juifs ont été brutalement assassinés. Ce 5 juillet 1941, selon le seul témoin oculaire ayant survécu, les villageois polonais, sous les encouragements des soldats nazis, ont fait du porte-à-porte et exécuté leurs voisins juifs. Les historiens se disputent encore aujourd'hui la paternité du pogrom mais que les coupables soient allemands ou polonais, le résultat est le même. Le mémorial indique l'endroit où la fosse commune a été creusée et les corps enterrés. Des massacres similaires ont été perpétrés dans d'autres villages de la région. Des centaines de juifs, hommes, femmes et enfants, ont été tuées dans le plus grand bain de sang qu'ait connu l'Europe. Au total, six millions de Polonais sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale. Environ la moitié de ses victimes était juive, l'autre moitié étant composée de Polonais de souche et d'autres groupes ethniques.

Quelques kolpac pour la route.

Sur le chemin du retour, alors qu'on contemplait la profonde capacité de l'humain au carnage et à la cruauté, un cousin a repéré une poignée de kolpak, cachés dans les hautes herbes. Un joli cadeau de la terre. Notre chasse aux champignons était peut-être le reflet de la Pologne d'aujourd'hui, prospère et pacifique, le paysage traversé rappelant de manière indélébile les cicatrices d'un passé proche.