Au coeur du Block West, le kop 
du Rapid Vienne

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Au coeur du Block West, le kop du Rapid Vienne

Au Weststadion le spectacle est souvent plus vivant dans le kop de 8 000 places que sur la pelouse.

La pluie diluvienne qui s'abat depuis une heure sur le quartier d'Hütteldorf, à l'ouest de Vienne, ne semble pas avoir fait reculer les fans du Rapid. Le match de cet après-midi face à Sturm Graz se joue à guichets fermés, devant 28 000 spectateurs.

Emmitouflés dans leurs écharpes, cintrés dans leurs maillots, coiffés de bonnets ou de casquettes, les supporters affichent fièrement les couleurs de leur club. Plus que le blason du Rapid, neuf lettres sont brodées sur tous les tissus : Block West. Un nom qui claque, celui du kop du Rapid, le cœur de l'ambiance du Weststadion* , l'antre de ce club historique de la capitale autrichienne.

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Pas besoin de pénétrer dans le stade pour constater que les fans sont fiers de leur tribune. Dans les coursives, les graffitis en l'honneur des groupes ultras recouvrent les façades et les stickers tapissent les murs des toilettes. Go West, le fanzine des Ultras Rapid (UR) s'écoule comme des petits pains.

Dans ses pages, écrit noir sur blanc, un message à tous les fans. « Sturm Graz vient aujourd'hui avec environ 3 000 supporters. C'est à nous dans la tribune, de gâcher leur match. Ils sont motivés, mais nous ne devons pas les entendre dans notre stade. L'équipe a besoin de nous, Hütteldorf aussi, donc chantons, crions et sautons. Ensemble. »

Pire que l'affront de la défaite, se faire dominer en tribune. Cela tombe bien, aujourd'hui, est un jour particulier. Les Tornados, le deuxième plus gros groupe ultra du Rapid, souffle sa vingtième bougie. En guise de gâteau, trois tifos seront successivement déployés à l'entrée des joueurs.

L'arbitre siffle le début de la rencontre. Deux capos s'activent sur le perchoir central. Réunis derrière une immense bannière, ils donnent de la voix pour leur groupe, les Ultras Rapid. Domenico Jacono en est membre depuis le début des années 90. Il est également écrivain et ancien salarié du club. Pour lui, c'est en partie grâce à ce groupe, le plus gros du club, que l'ambiance dans le Block West est si singulière. « Les Ultras Rapid ont été le premier groupe ultra du monde germanophone, fondé en 1988 ». Ces supporters multiplient alors les voyages en Italie, fief du mouvement ultras. Ils s'imprègnent de l'ambiance, pour mieux la reproduire dans leur stade.

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Car à la fin des eighties, l'ambiance des tribunes autrichiennes est proche de celle d'un dimanche dans la Meuse. Sous l'impulsion des UR, et la création en 1996 d'un autre groupe, les Tornados, la mayonnaise va prendre et le Block West va se forger une réputation. « À l'origine, le Block West est une des tribunes de l'ancien stade, le Gerhard-Hanappi Stadion », précise Domenico. C'est dans cet ancien stade, édifié en 1971, que le kop va répéter ses gammes, craquer ses premiers fumis et connaitre ses premières émotions.

Résultat, en 2004, les tribunes dépeuplées ont laissé place à des gradins bondés. L'affluence a presque triplé en quinze ans. Le Rapid joue en moyenne devant plus de 15 000 spectateurs. Les 2 500 places du Block West sont aussi prisées que le numéro de téléphone d'Irina Shayk. Tout le monde veut brandir les tifos, agiter les drapeaux, frapper dans ses mains, se briser les cordes vocales. Mais il ne reste aucune place. « Parfois, il fallait attendre cinq ans avant d'avoir un abonnement en Block West », se remémore Thomas, fan du Rapid depuis son enfance. Face à cette popularité, les supporters désireux de mettre l'ambiance s'adaptent. « Un nouveau groupe, les Lords, ont alors commencé à se regrouper en face, dans la Ostkurve », détaille Domenico.

L'atmosphère au stade Gerhard-Hanappi monte encore d'un cran. « Tu sentais ce peuple derrière toi, soudé. En tant que joueur, c'était vraiment impressionnant », se remémore un brin nostalgique Axel Lawarée, attaquant du Rapid au début des années 2000.

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Malheureusement, l'enceinte tombe progressivement en désuétude. Un projet de nouveau stade se met en route en 2014, Weststadion. C'est dans ce bloc de béton que rugissent désormais les fans du Rapid. Mais si l'arène a changé, le kop est resté. Dire au revoir au stade Gerhard-Hannapi était déjà un crève-cœur pour les fans, tirer un trait sur le Block West, impensable.

Domenico Jacono fait partie des personnes qui ont échafaudé ce projet de nouveau stade. « La construction d'un nouveau Block West plus grand et plus fonctionnel été l'une des priorités des supporters. » Et ils ont été entendus, le Block West a triplé sa capacité, passant de 2 500 à 8 000. Cet agrandissement a permis à tous les groupes ultras du Rapid de se rassembler, et les oblige donc à cohabiter.

Les minutes passent et l'écho des chants continue de s'écraser brutalement contre les parois du Weststadion. Fait rare dans un stade en 2017, personne n'immortalise l'ambiance sur son smartphone. Ici, on ne prend pas de photos, on chante. Le Block West conserve volontairement une part d'ombre. Vivons heureux, vivons cachés. Lorsque j'ai demandé à Laurin Rosenberg, responsable du musée du club et abonné en Block West, ce qui pourrait m'arriver si je regardais le match téléphone scotché à la main, sa réponse a été prompte. « On va vous dire une première fois d'arrêter ça. Si vous continuez, on vous le dira un peu plus violemment ».

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Et n'entre pas qui veut. Pour intégrer cette tribune, il faut en connaître ses codes. Thomas est abonné dans ce nouveau Block West. Inauguré en grande pompe le 16 juillet 2016 lors d'un match amical face à Chelsea, il se souvient d'une première assez agitée en tribune. « Des supporters étaient placés dans les coursives du Block West et arrêtaient toutes les personnes voulant accéder à la tribune. Une fois installé, on ne pouvait plus sortir, même pour aller aux toilettes ». Ce premier match a une saveur particulière pour certains fans du Rapid. Toute personne inconnue venue en touriste pour prendre des selfies se voit gentiment refuser l'entrée. Plus sélect qu'en boite. « Quand vous pénétrez dans cette tribune, il y a des règles à respecter », poursuit Thomas, avant de nuancer. « Mais je ne suis pas aussi radical et je ne cautionne pas ce genre de choses ».

Ancien journaliste au Ballesterer et supporter du Rapid, Christoph Heshmatpour confirme cette mainmise des ultras sur la tribune. « Dans le Block West, ce sont eux qui commandent. Il y a quelques années, ils ont fait une grève des encouragements. Personne ne pouvait entrer en tribune. Qu'on soit pour ou contre cette grève. »

Les dirigeants et fonctionnaires sont aussi conscients du pouvoir des ultras ainsi que du secret qui règne autour de ce kop. Il faut dire que la plupart des salariés du Rapid sont abonnés en Block West. Ils en connaissent les codes et le fonctionnement. Lors des visites du stade, le guide ne s'aventure jamais dans les coursives de la tribune. Les ultras ne goûtent que très peu aux gens qui rôdent autour de leur repère. Pour Domenico, l'interdiction de visiter le Block West a une autre origine. « Les ultras sont souvent là en semaine, ils préparent les tifos. Si on donne accès à ce secteur du stade lors des visites, des supporters adverses pourraient se fondre dans la masse et voir ce que les supporters confectionnent. Et préparer une contre-banderole pour casser l'effet de surprise ».

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Début de deuxième mi-temps. Le Block West continue de s'époumoner pour son équipe. L'atmosphère est aussi bonne que le niveau de jeu est faible. L'anniversaire des Tornados est célébré selon la tradition locale. Et non, ce ne sont pas des bougies. Ici, on allume des torches, beaucoup de torches. Les craquages de fumis s'enchaînent au même rythme que les mauvaises passes.

Le Block West, avant l'arrivée des supporters.

Vous l'aurez compris, si l'ambiance est telle au Weststadion, c'est en grande partie grâce aux ultras. La fan scene du Rapid est très développée et respectée. Les Ultras Rapid lancent les chants, relayés par les Tornados et les Lords, les deux autres groupes disposant d'un perchoir. D'autres groupes sont installés en Block West, comme les Spirit ou les Greens Lions. Ces derniers ont une particularité : tous ses membres sont originaires de Linz, une ville située à 200 kilomètres de Vienne. Le Rapid rassemble bien au-delà de la capitale autrichienne et compte plus de 200 fans clubs officiels à travers toute l'Autriche.

Certains hooligans sont eux réunis sous la bannière Alte Garde. Si en tribune, l'allemand est la langue majoritaire, d'autres dialectes peuvent se faire entendre. Les Ultras Rapid ont des potes aux quatre coins de l'Europe. En Hongrie avec les Green Monsters de Ferencvaros, en Allemagne avec les Ultras Nuremberg et en Grèce avec la Gate 13 du Panathinaïkos, l'amitié la plus forte.

À l'entame du dernier quart d'heure, sous l'impulsion du Block West, l'ensemble du stade se lève et tape frénétiquement dans ses mains pendant une minute. C'est le Rapid-Viertelstunde. À la 75e minute de chaque match, les supporters honorent cette tradition presque centenaire. Un hommage au fighting spirit du Rapid Vienne qui a fait basculer beaucoup de matches au cours des quinze dernières minutes dans les années 1920. Le principe est simple, le stade entier se lève et applaudit. Liverpool a le you'll never walk alone, Lens Les Corons, les supporters vert et blanc ont leur Rapid-viertelstunde.

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Le match s'achève sur une nouvelle défaite du Rapid, 2-1. Malgré la frustration, le Block West s'est égosillé 90 minutes durant. Les chants des supporters de Sturm Graz ne se sont que très peu faits entendre. Défait sur la pelouse, le Rapid sort victorieux du combat des gradins.

Les 8 000 supporters qui ne formaient plus qu'un il y a quelques secondes se dispersent peu à peu. « Le Rapid veut consolider ce noyau dur, montrer une sorte d'unité », explique Thomas. Pour le meilleur est pour le pire.

Parmi le meilleur, la campagne Wiener helfen Wienern, une collecte de fonds à destination d'un hôpital pour enfant de la ville. Ces actions caritatives, créées à l'initiative du Block West en 2010, récoltent chaque année des milliers d'euros de dons. 35 000 en 2010, 23 500 en 2013 et 60 000 cette année. Le mouvement ne fait pas que se pérenniser, il se développe.

De l'autre côté du miroir, les violences. Le Rapid Vienne est de loin le club le plus populaire d'Autriche, surement l'un des plus virulents aussi. Comme en cet après-midi de mai 2011. Le Block West ne supporte pas de voir son équipe menée 2-0 après 25 minutes de jeu. Qui plus est face à l'ennemi juré, l'Austria Vienne. Plusieurs centaines de supporters envahissent le terrain, s'approchent des supporters adverses, sans oublier d'aller enguirlander les joueurs. On ne se fout pas de la gueule du Block West sans être rappelé à l'ordre. Le match ne reprendra jamais et le Rapid Vienne perdra ce match 3-0, sur tapis vert. Domenico Jacono se souvient de cette rencontre, « le Rapid aurait perdu 5 ou 6-0 si le match avait été à son terme. Un derby, ça se joue avec les tripes, le Block West n'accepte pas que les joueurs ne donnent pas leur maximum. »

Face à Graz, ça a dû être le cas, car la défaite n'a pas l'air d'affecter Thomas. « Si je devais choisir entre une grosse ambiance ou une belle victoire, j'opte pour la première option ». À raison, car aujourd'hui, le spectacle ne venait pas du terrain, mais bien des tribunes.

* Officiellement, le Rapid a recours à un naming et le stade s'appelle Allianz-Stadion lors de matches de Bundesliga. Mais les supporters ne prononcent pas ce nouveau nom et lui préfèrent celui du stade historique, le Weststadion. Les ultras du Block West ont même mené campagne pour qu'il soit reconnu comme le nom officiel du stade.