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Il n'y a rien de plus terrifiant que le parfait silence

Il parait qu'on peut avoir des hallucinations visuelles et auditives dans une chambre anéchoïque. Est-ce un mythe ?

Le calme est appréciable, mais certains silences sont vraiment assourdissants.

En avril 2012, le Daily Mail publiait un article sur Orfield Labs, un laboratoire spécialisé dans l'acoustique et l'architecture qui, nous disait-on, venait d'entrer dans le Guinness des Records pour avoir construit la pièce la plus silencieuse du monde – ce qu'on appelle une chambre anéchoïque, ou chambre sourde. Le volume qui y avait été mesuré était de -9 décibels (oui, "moins neuf"). L'article nous mettait aussi au défi.

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« Personne n'est parvenu à rester dans la pièce la plus calme du monde pendant plus de 45 minutes », écrivait l'auteur. Au-delà de cette durée, nous expliquait-il, le fait d'entendre chacune de ses fonctions biologiques, qu'il s'agisse du sang circulant dans nos veines, de nos poumons, du battement de notre cœur, causait des hallucinations et de sérieux problèmes d'orientation.

L'idée que le silence et la solitude puissent rendre fou n'est pas tout à fait novatrice. On sait déjà que l'isolement a des effets absolument affreux sur les êtres humains et sur les animaux qui ont besoin de socialisation. Et on se doute bien que se retrouver seul, à s'écouter penser et à prendre progressivement conscience qu'on n'est rien d'autre qu'un tas de viande dont la survie ne tient qu'à tout un tas de processus chimiques très fragiles, n'est pas une expérience agréable. Mais quelque chose m'échappait dans cette affaire : pourquoi 45 minutes, et pourquoi les gens paniquaient-ils autant ?

Dans l'espoir d'obtenir des réponses à ces questions, je suis allé faire un tour dans la chambre anéchoïque de Cooper Union, à New York, qui est certainement l'endroit le plus calme de Manhattan. C'est la seule chambre de ce type dans toute la ville, et étant donné le prix du mètre carré, elle est plutôt petite et pas franchement impressionnante comparée à celles que possèdent les agences spatiales.

Les murs étaient recouverts de panneaux de fibre de verre insonorisante, arrangés perpendiculairement les uns aux autres. Je me tenais sur une grille en métal au-dessus du sol, lui aussi couvert de panneaux similaires. Et les effets se firent instantanément sentir. Il n'y avait pas un souffle d'air et, faute de surfaces susceptibles de renvoyer le son, on s'entendait à peine parler. Je devais vraiment tendre l'oreille pour entendre Melody Baglione, chercheuse en acoustique, m'expliquer comment tout ça fonctionnait. C'était clairement l'expérience la plus proche du silence absolu que je pourrais connaître sans mourir ou être aspiré dans le vide intersidéral.

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La chambre anéchoïque de Cooper Union. Photo: Clinton Nguyen

J'ai demandé à passer 45 minutes dans la chambre, et mes hôtes ont refermé la porte isolante derrière eux. J'ai immédiatement dévissé l'ampoule de l'unique lampe présente, plongeant ainsi la pièce dans une obscurité totale afin que la privation sensorielle soit totale.

La première chose que j'ai remarquée, c'était que des sons habituellement imperceptibles devenaient extrêmement audibles, comme par exemple tous les petits craquements de mes articulations ou de mon cou. Mes oreilles, libérées du brouhaha perpétuel dans lequel nous évoluons quotidiennement, captaient même les sons les plus discrets. Ma peau faisait du bruit en se frottant à mes vêtements. Cligner des yeux devenait bruyant. Là, dans le silence et l'obscurité, on peut entendre chaque mesure jouée par l'orchestre permanent qu'est notre corps, et qu'on ignore presque totalement le reste du temps.

S'il existe quelque chose de plus silencieux qu'un silence artificiel sur Terre, c'est un silence artificiel dans l'espace

J'en suis venu à me demander pourquoi je n'avais pas peur dans le noir, malgré le contexte. Probablement parce que je savais que des gens m'attendaient à l'extérieur. Je faisais régulièrement de petites pauses pour regarder l'heure sur mon téléphone, parce qu'il faut bien avouer qu'au bout d'un moment, l'expérience devient un peu répétitive et ennuyeuse. Je pouvais entendre le léger bourdonnement de mon téléphone, qui me rappelait qu'il était un objet bien réel composé de circuits électroniques, et pas une entité abstraite m'ouvrant les portes de la communication par magie. L'ambiance était en théorie très propice à la méditation, mais vu que mon cerveau de journaliste pense en permanence à vingt trucs en même temps, même le silence complet ne pouvait rien y faire.

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Après 30 minutes, mes oreilles n'entendaient plus rien, si ce n'est mon acouphène, généralement assez discret (mais désormais omniprésent). La plupart du temps, des sons tels que le bourdonnement d'un réfrigérateur ou le simple brassage de l'air couvrent l'acouphène et le noient dans le bruit ambiant, mais dans la chambre sourde, il n'y avait rien pour le masquer. Il ne s'arrêtait pas même une seconde. J'étais pleinement conscient d'avoir un acouphène, mais ça n'avait jamais été aussi évident qu'à ce moment-là, et c'était très déprimant.

Je n'étais pas franchement à l'aise, mais j'ai réussi à tenir plus de 45 minutes sans me précipiter vers la porte en hurlant et en expliquant à tout le monde que j'avais vu des choses cheloues – si ce n'est tous les vaisseaux sanguins qui irriguent mes yeux.

Certaines personnes ne sont pas faites pour rester aussi longtemps isolées dans des chambres de privation sensorielle. Un tel endroit pose de plus gros problèmes que les acouphènes, comme par exemple la claustrophobie. Steve Orfield, le directeur d'Orfield Labs, m'a raconté que la NASA leur envoyait des astronautes dans le cadre de leur entraînement. S'il y a bien une chose plus silencieuse encore que le vide artificiel que le labo propose, c'est le vide bien réel dont est constitué l'espace, et il faut y être bien préparé.

« Les astronautes vont se trouver dans une situation où il n'y a pas d'issue, et il faut donc s'assurer qu'ils sont très solides et mentalement stables. Il faut donc éviter d'envoyer des gens portés sur les grandes questions existentielles dans l'espace. On n'y envoie pas des philosophes, quoi », m'a expliqué Steve.

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Je me suis senti directement visé.

« Ce qu'on veut, c'est envoyer dans l'espace des gens concentrés et déterminés, qui ne se laissent pas distraire, qui ne se mettent pas à flipper ou à déprimer, et qui sont donc globalement plus stables que la plupart d'entre nous », a-t-il ajouté.

Je n'en suis pas ressorti aussi impressionné et marqué que ce qu'on m'avait promis. Mais l'expérience était très déconcertante, quoique pas vraiment terrifiante. Certaines personnes trouvent même une forme de sérénité méditative dans ce vide insonore.

Orfield a mentionné le cas d'un vétéran de la Marine qui avait longtemps travaillé sur un porte-avions et qui avait demandé de passer une heure dans la chambre anéchoïque. Il avait expliqué qu'il entendait en permanence le son des avions en train de décoller et de leurs moteurs vrombissants.

AEt apparemment, son séjour dans une chambre parfaitement silencieuse a réglé le problème.

Néanmoins, pour la plupart des gens, perdre le contrôle de l'un (ou plusieurs) de ses sens serait absolument terrifiant. Devenir aveugle ou sourd serait une terrible tragédie, et pourtant, certains vendent même des offres Groupon pour le vivre temporairement. Je ne prétends pas que mon expérience personnelle soit représentative d'un sentiment général, surtout pour ceux qui souffrent davantage d'anxiété ou qui sont moins bien dans leur peau que moi.

Mais la vérité, c'est qu'il n'y a rien de terrifiant dans la chambre. Tout se passe dans ton corps, et dans ta tête.