Ma journée dans un atelier de gravure

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Culture

Ma journée dans un atelier de gravure

Vous avez jusqu'à samedi pour vous rendre à l'expo Printers Matters et le reste de votre vie pour apprendre à faire de même.

Jusqu'au 25 février, Printers Matters expose à Paris le travail de 50 artistes fous de reproduction d'image, invités par trois amis et professeurs aux Ateliers de Sèvres, Edouard Wolton, Olivier Moriette et Mario Picardo. J'ai trouvé ce que j'ai vu tellement beau et les formes tellement diverses, que j'ai voulu faire comme eux. Lors d'une journée en immersion dans leur atelier de gravure, j'ai fait des choses très laides mais au moins j'ai compris ce qu'était la gravure.

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Lorsque j'arrive dans l'atelier de Sèvres, je pose, machinalement, mon sac sur un tabouret. Une main l'attrape au vol et la voix au bout de la main me prévient tout de suite « Toi, tu vas d'abord passer dans la salle des profs et on va te changer ». Cinq minutes plus tard, je ressemble à un gnome mi- caillera mi apprenti boucher, habillée par son grand frère. J'ai un tablier et un pull immense à capuche qui entrave mes mouvements. Ce n'est pas un détail, c'est simplement une façon de me dédouaner par rapport à la relative laideur des productions que je réaliserai au cours de la journée.

En fond sonore, la musique du Grand Bleu. « On va te faire plonger dans les abysses de l'estampe ». Je les aime bien ces trois là. Olivier, Edouard, Mario. Chacun a une mission pour que je reparte avec les idées claires (et les mains sales).

Direction avec Edouard, la salle des ordinateurs et des imprimantes. Je choisis une image numérique tirée de mon iPhone. Un envoi plus tard par mail et un passage par photoshop et nous avons généré un Typon. C'est-à-dire ? Une feuille transparente où mon image est imprimée, tramée (avec des points parfaitement visibles à l'œil nu) quatre fois. Pourquoi quatre ? Pour le cyan, le noir, le jaune et le magenta. Comprendre quadrichromie (quatre couleurs, comme le BIC). Avec mes quatre typons, je cours dans une autre salle où se trouve l'insoleuse. L'équivalent d'un Point Soleil où même le plus floridéen d'entre nous ne peut pas tenir une seule seconde sans littéralement mourir. L'insoleuse, c'est Palm Beach toute l'année où 27 secondes d'exposition équivalent à 4 heures en plein soleil. Au dessus de mes typons, je cale une plaque photosensible en aluminium. Avec un révélateur, mes quatre images apparaissent.

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L'insoleuse

On est prêts pour aller enduire chacune d'entre elles des quatre couleurs CMJN,  et les mettre chacune à son tour, sous presse, comme au Moyen-Age. C'est là qu'il faut des bras, des muscles, de l'envie. Parce qu'il faut tourner la grande manivelle (j'ai failli m'envoler plus d'une fois), longtemps, longtemps. En vrai, les garçons ont pris le relais une fois sur deux parce qu'il ne faut pas pousser non plus. En fait, si, vers soi.

Au fur et à mesure tout s'éclairait. Comme dans un bain révélateur, la pratique de la gravure s'offrait à moi. J'ai laissé sécher mes feuilles et au bout de la journée mon alugravure avait de la gueule. Olivier prend le relais, il me met à l'atelier pointe sèche sur plexiglass, pour dessiner de manière fine et énergique. (on peut également le faire sur plaque de cuivre).

En mains, j'ai une sorte de compas qui gratte le plexi. Je fais n'importe quoi. Des traits nerveux qui crissent comme un ongle sur un tableau noir. À tel point qu'Olivier me calme et me donne un modèle. Il place sous ma plaque un dessin, je n'ai qu'à suivre les lignes. J'ai deux ans. On enduit d'encre noire et grasse ce chef-d'œuvre, Olivier essuie les surplus avec sa tarlatanne (pas le nom d'une danse folklorique, juste un tissu souple de coton) et utilise les pores de sa main et du blanc de Meudon pour finir l'essuyage. Même procédé que pour l'alugravure, la plaque est recouverte d'une feuille blanche (ARChes) et est mise sous presse. Le résultat est bien bien laid mais la technique assimilée.

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Je peux passer à l'atelier de linogravure avec Mario. Ma plaque de lino entre les mains, je commence à gouger. Pour que le dessin apparaisse en positif, il faut en effet que j'épargne le dessin pour créer des blancs. Il me prévient, il faut y aller doucement mais profondément. « Plus c'est profond mieux c'est ? ». Naïve que je suis. Je gouge, je gouge et j'entends au loin Olivier étouffant un rire « non mais Léa elle taille des côtelettes, c'est la cata là ». Je ne le prends pas mal, parce qu'apprendre c'est aussi se tromper. Et puis personne n'a la main de Dürer de toute façon. Avec seulement du noir et blanc, il arrivait à créer tous les gris optiques, tout cela sur du bois extrêmement dur. La délicatesse de sa main reste inégalée.

     
La mienne, c'est une autre histoire. Mais pour me rassurer je me laisse dire que ni Raphael ni Poussin n'avaient la technicité pour graver et qu'il leur fallait des artisans pour les assister. Au 17 ème siècle, les noms de leurs artisans étaient d'ailleurs présents sur la gravure. Ils savent me consoler.

Je repars avec ma linogravure, mon alugravure et ma pointe sèche sous le bras, et je me dis que l'initiative de Mario, Olivier et Edouard est magnifique. En Europe, la gravure est en effet une discipline qui a eu du mal à s'affirmer comme un art à part entière. Pour la simple et bonne raison qu'indéfectiblement associée au livre, à la reproduction et à la diffusion d'un savoir religieux, la gravure restait le domaine des artisans. La gravure artistique a émergé une fois les presses sorties de l'industrie de la Bible.

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Les artistes, comme d'habitude sont visionnaires et malins : ils se sont emparés d'un média de diffusion liée à l'impression du livre et se sont appropriés des machines pour en faire leur art. Aux Etats-Unis, la gravure a beaucoup plus de reconnaissance, elle est même extraordinairement cotée, Warhol, Rauschenberg, Lichtenstein ayant montré le chemin vers un art de la reproduction décomplexée.

Les artistes invités : Antoine Horfee, Frederic Rrditi, Benjamin Baddock, Raphael Barontini, Philippe Beaudelocque, Alexandre Besikian, Werhner Bouwens, Baptiste Caccia, Claire Chesnier, Côme Clerino, Ronald de Bloegme, Coraline de Chiara, Marion Degorces Dumas, Julien Desmontiers, Guillaume de Ubeda, Agathe Dos Santos, Charlotte El Moussaed, Julien Enerj, Gfeller/Hellsgard, Benjamin Grafmeyer, Louis Granet, Gues, Guillaume Guillepart, Julienne Jattiot, Olivier Moriette, Romain lecornu, Julie Leguern, Valerie Leguern, Eva Nielsen, NoneFutbolclub, Constance Nouvel, Mathilde Ollitraud Bernard, Mario Picardo, Felix Pinquier, Alexandre Poisson, Tristan Pernet, Pierre Roy Camille, Christophe Ruckhaberle, Thomas Siemon, Simon Thomson, Gerard Traquandi, Marko Velk, Vincent Villard, Edouard Woltron, Matthias Weicher, Anne Charlotte Yver, Taline Zabounian, Silvio Zesch

Exposition « Printers Matters » jusqu'au 25 février au 23 rue Richer, 75009 Paris.