Le Nord-Pas-de-Calais, les autruches, la carbonnade et moi
Photo : Lucie Cheyer

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Le Nord-Pas-de-Calais, les autruches, la carbonnade et moi

Les autruches sont nos amies, il faut bien les manger aussi. C’est en tout cas comme ça que l’on voit les choses dans cette ferme d'élevage de Zutkerque.

Pline l'Ancien voyait l'autruche comme un magnifique animal à mi-chemin entre un mammifère et un oiseau. Il n'était peut-être pas super calé en biologie mais le volatile – qui peut atteindre 100 kg à l'âge adulte – a toujours été une sorte de « freak » de la nature. Plus grand oiseau sur terre, il ne sait pas voler. Relation de cause à effet, les humains se sont rendus compte qu'il était aussi comestible.

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Toutes les photos sont de l'auteur.

Déguster un steak d'autruche permet d'épater grave la galerie. Le truc parfait pour agrémenter un « date » ou un barbecue en faisant preuve « d'originalité » ou de « témérité ». C'est en sachant tout ça que je me suis rendue à Zutkerque, petit patelin du Nord-Pas-de-Calais. La famille Delcroix y élève des autruches depuis 1994. J'avais décidé de fêter mon anniversaire en grande pompe et je voulais absolument m'approvisionner en piaf. Originaire d'Afrique du Sud, l'animal s'adapte visiblement très bien au climat un poil plus frais de la côte d'Opale.

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Dans le hangar des autruchons, mes oreilles captent un jingle familier. Je suis contente de savoir que les petits sont bercés, comme moi avant eux, par Radio Nostalgie. Séverine Delcroix, qui accueille les visiteurs sur l'exploitation, m'explique que la musique agit comme un anti-stress : « S'ils avaient leur mère avec eux, elle ferait du bruit. Donc la radio remplace cette présence. »

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Comme d'habitude dans la nature, c'est le mâle qui profite du dimorphisme sexuel. Lui est noir et blanc et d'allure élégante tandis que la femelle reste d'un beige terne toute sa vie. Heureusement, ils sont égaux dans le ridicule dès qu'ils se mettent à courir en dodelinant. Avant l'âge adulte, les autruches passent elles aussi par un âge ingrat. Tout juste éclos, les autruchons ressemblent étrangement à des hérissons. Ils évoluent ensuite pour devenir de véritables adolescents à l'apparence plutôt alternative niveau plumage.

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Tout n'est pas bon dans l'autruche, mais tout ou presque est finalement utilisé d'une manière ou d'une autre. La chair, rouge, est évidemment consommée – seulement quelques dizaines de kilos sont prélevées par individu – en steak, saucisse, saucissons ou même en rillettes. La graisse atterrit dans différents produits. La peau est tannée pour faire du cuir qui sera transformé en ceinture ou en porte-monnaie. Les plumes sont vendues en général telles quelles et finiront irrémédiablement en éventails ou en plumeaux dans un vide-grenier familial.

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On peut acheter les fameux œufs d'autruches vides après éclosion.

Et puis, bien sûr, il y a les œufs. Mis en couveuse plutôt que consommés en omelette géante, ceux qui restent en bon état après éclosion servent ensuite de support pour des peintures qui sont, avouons-le, plutôt kitsch. Ayant moi-même possédé un spécimen pendant près d'une décennie, je regrette ce manque de changement.

Une proche des Delcroix a pourtant été plus inspirée en créant une lampe assez stylée, me redonnant espoir quant à la valeur ajoutée des coquilles d'œuf d'autruche. Peut-être qu'un jour quelqu'un pensera à les transformer en pot de fleur et lancera une super tendance. Je pose l'idée là.

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Un peu chelou le merchandising quand même.

La Ferme des Autruches des Delcroix cultive également du miscanthus (une plante transformée ensuite en paillage) alors que des pommiers sont égrainés un peu partout sur la ferme. En plus, l'adresse sert également de point de collecte pour un service de vente en ligne de produits paysans issus d'une agriculture durable et locale.

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La carbonnade d'autruche : des morceaux de viande mijotés dans une sauce à la bière.

Avant de repartir avec mes provisions, je fais un dernier tour du propriétaire. En me baladant dans les enclos des autruches adultes, je remarque leurs griffes énormes, leur cou quand même bien souple et très long. Mais la grille qui nous sépare devrait faire l'affaire. Je continue donc ma route. Jusqu'à un cul-de-sac. Là, je ne sais pas si vous êtes un peu dans le western spaghetti mais je croise le regard de plusieurs autruches mâles. Elles me regardent. Entre chaque barrière, un espace assez large pour passer le cou qu'elles utilisent parfois comme gourdin. Je commence à flipper. Au loin, ma mère a commencé à les nourrir – ce qui est strictement interdit.

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« Mes yeux sont noirs comme mon âme et je t'observe m'observer » , me murmure l'autruche au coin du pommier.

À ce qu'on dit, les pavés d'autruche sont délicieux cuits dans du beurre, de l'huile d'olive, du romarin et un oignon. Il suffit ensuite de faire déglacer la poêle qui a servi à les saisir avec du vinaigre balsamique et d'ajouter enfin les airelles et du miel pour constituer une bonne petite sauce. Mais là, je vois juste un gang de piafs hyper menaçant.

Finalement, je parviens à sortir du traquenard en courant. Entre-temps, ma mère s'est fait mordre par un bec un peu plus gourmand que les autres. Visiblement, un simple geste de la main aurait suffi à faire déguerpir l'attroupement et les paires d'yeux globuleux.

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Des saucisses et des steaks d'autruches.

Je m'en fiche, je repars avec de quoi faire le meilleur barbeuk de l'année.

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