Une histoire illustrée des meilleures blagues en cuisine

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Une histoire illustrée des meilleures blagues en cuisine

Si on vous demande d’aller chercher du sang de homard ou un hachoir à farine, dites-vous que c'est juste pour briser la monotonie du travail.

Travailler dans le milieu de la restauration est tout sauf une sinécure. Si vous ne sortez pas d'une école hôtelière, vous commencez tout en bas de l'échelle professionnelle. Le taf n'est pas super compliqué, mais vous allez devoir l'apprendre – comme n'importe quelle discipline, par empirisme et en faisant forcément des erreurs. En cuisine, ne comptez pas sur le soutien espiègle de vos collègues ou supérieurs. Le chef et le reste de la brigade vont mettre toutes leurs petites cellules grises en action pour vous aider à acquérir un peu de bouteille de la pire des manières. Ça s'appelle la « tradition ».

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Le premier boulot que j'ai décroché dans un restaurant consistait à faire la vaisselle. La plonge est souvent méprisée alors que c'est un rouage essentiel. On m'avait demandé de sourire pendant que je frottais les plats. Du coup, je grattais le four en souriant, je transportais les friteuses pleines d'huile en souriant et je décollais les morceaux de gratin trop cuits sur les plats en souriant. Si j'avais le malheur de croiser quelqu'un en pleine inactivité, on me regardait avec dédain en me traitant de « touriste ». Personne ne me saluait après le service du soir et je captais à peu près autant d'attention que le sans-abri au coin de la rue.

Et je gagnais 4 € de l'heure.

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La râpe à cire.

On attendait de moi que je fasse plus que mon boulot. Aux tâches quotidiennes, venaient s'ajouter d'autres obligations extracurriculaires que la brigade m'imposait. J'ai évité les blagues sexistes, mais mon obéissance et mon endurance ont été mises à rude épreuve.

Un jour, le chef est venu me voir pour me confier une mission de la plus haute importance : découper en « morceaux très fins » une meule de fromage du diamètre d'un tronc d'arbre. Il avait programmé la trancheuse à 2 mm d'épaisseur. Le fromage était hyper dur et je ne comprenais pas pourquoi il voulait des tranches aussi fines, mais je continuais mon œuvre avec le sourire. Pendant trois heures.

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Le courbomètre.

Une autre fois, il m'a montré des caisses de poissons congelés. « Il faut que tu assommes tous ces poissons sur le plan de travail pour vérifier qu'ils sont bien morts avant de les emballer dans du papier alu. » Comme je ne voulais pas décevoir mon patron, j'ai fait ce qu'il m'a demandé. J'ai brisé la nuque de tous ces petits poissons avant d'emballer leur dépouille dans un suaire en aluminium.

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Après ça, le chef a dû se dire que j'étais mûre pour l'épreuve ultime : un vieux canular, apparemment inventé en Flandre, revisité à sa sauce. La blague consiste à demander à la bleusaille d'aller chercher à l'autre bout du pays un objet qui n'existe pas. Les cuisines du monde entier envoient donc leurs nouvelles recrues dans les restaurants du quartier à la recherche d'un ustensile imaginaire. Les « victimes » plongent d'autant plus facilement dans le piège qu'on leur dit que l'objet est d'une importance capitale.

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La scie à sauteries.

Les membres expérimentés de la brigade savent pertinemment ce qui se passe quand un petit jeune débarque à la recherche de grains de cappuccino et n'hésitent pas à l'orienter vers un autre resto. Une fois la tournée de tous les bars du coin terminée, vous rentrez bredouille vers votre chef avec un air de chien et tout le monde se marre.

Personnellement, on m'a demandé d'aller chercher une épépineuse de tomates, mais on aurait tout aussi bien pu me demander d'aller chercher du sang de homard, du lait de poule, un casse-œuf, un hachoir à farine, des lunettes de protection pour oignons, du colorant alimentaire transparent, un rasoir pour kiwi, des allumettes à micro-ondes, un fer à défriser le persil, un seau de vapeur ou encore une machine à peler les petits pois.

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Le gant ouvre-boîte.

Dans ma quête de l'épépineuse de tomates, le premier chef sollicité m'a dit d'aller voir à côté : « Ils m'ont emprunté la mienne et je l'attends toujours. Tu en profiteras pour leur faire savoir qu'on leur doit toujours une bouteille de Chateaubriand. » J'ai transmis le message sans savoir que le nom « Chateaubriand » désignait un morceau de bœuf et pas un cépage.

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Toutes les cuisines m'ont sorti la même excuse : le resto d'à côté leur a emprunté l'épépineuse. Au bout de la 7e tentative, j'ai vraiment commencé à flipper. Il me restait deux options : aller dans une quincaillerie et acheter l'ustensile ou rentrer les mains vides. J'ai choisi la seconde, et apparemment c'était la bonne chose à faire parce qu'après ça, on m'a foutu la paix.

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Le couvercle du manche à casserole (en plastique).

Il y a quelques mois, une fille a rejoint la brigade. Je me suis reconnue en elle, mais je n'ai rien dit quand j'ai entendu qu'on lui demandait de mettre ses pieds sur un torchon pour éplucher les oignons. Si je lui avais dit qu'il n'y avait aucune raison valable pour elle de rester sur ce torchon, on m'aurait considérée comme une tricheuse. Elle ne peut pas appartenir à ce monde sans passer par l'initiation.

Un peu plus tard, j'ai compris que mon épépineuse était un truc bon enfant par rapport à ce que certains ont subi. Je connais un plongeur à qui on a dit qu'épousseter les coins de l'église du quartier faisait partie de ses missions. Un plongeur asiatique qui bossait dans un resto en plein cœur d'Amsterdam, finissait souvent dans le monte-plats pendant ses premières semaines.

Ce genre de blagues et de « traditions » est une forme de bizutage très répandue dans le milieu de la restauration pour tester l'obéissance des petits nouveaux. Un enseignement qui est dispensé dans toutes les cuisines. Sauf qu'on n'obtient jamais un diplôme une fois que c'est passé – mais je me suis faite à l'idée. Arrêter cette coutume, ce serait non seulement mettre fin à une tradition plus que centenaire et ce serait aussi condamner les cuisines à une implacable routine.

Ce papier a été publié au préalable sur MUNCHIES Pays-Bas.