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Culture

À la gloire de Gun TV, la seule chaîne de télévision dédiée aux armes à feu

Ou comment j'ai mieux compris l'Amérique grâce à des présentateurs qui passent leurs journées à éclater tout un tas d'objets avec des flingues.

Ma première rencontre charnelle avec une arme a eu lieu lorsqu'un certain Buck m'a mis entre les mains un Desert Eagle. Ce mec vivait dans l'est du Nevada, au cœur d'un vaste territoire désertique. Il passait son temps à apprivoiser des chevaux sauvages et à tirer sur des canettes vides depuis la fenêtre de son salon. Le recul du Desert Eagle m'avait donné l'impression que mon bras était à deux doigts de se disloquer. Sur le chemin du retour en Floride, je m'étais juré d'acheter une arme à feu pour mon plaisir personnel. J'avais l'impression de faire partie d'une société secrète qui en savait plus que les autres sur ce qu'était le sens de la vie.

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Mais j'ai rapidement déchanté. Quel pouvait bien être l'intérêt de posséder une arme en plein milieu d'une ville ? Je n'avais pas vraiment intérêt à tirer depuis la fenêtre de mon salon, sous peine de buter quelqu'un. Aujourd'hui, je ne ressens plus cette envie de posséder une arme, même si je comprends parfaitement ce qu'on peut trouver d'excitant dans un flingue. Les Américains sont nombreux à ressentir ce frisson – selon les dernières statistiques, 36 % des Étasuniens possèdent ou vivent avec quelqu'un qui possède une arme. Pour une minorité d'entre eux, une seule arme n'est pas suffisante, ce qui explique pourquoi 3 % des Américains possèdent la moitié des armes à feu du pays.

L'année dernière, ces fous des flingues ont eu l'opportunité de pousser encore plus loin leur hobby en s'abonnant à une nouvelle chaîne câblée nommée Gun TV. Sous ses airs débonnaires, celle-ci enchaînait les séquences mêlant informations et placements de produit assumés – la plupart du temps sous la forme de mecs tirant à n'en plus finir sur des cibles avec leurs gros engins. Ces gros engins pouvaient facilement devenir les vôtres. Il vous suffisait d'appeler un numéro qui s'affichait à l'écran, de verser un acompte de 20 % avant de récupérer votre arme dans un magasin partenaire.

Gun TV était donc une énième variation sur le thème éculé du téléachat – sauf qu'il s'agissait ici d'un téléachat perpétuel et intégralement dédié aux armes. Au-delà de cette simple dimension commerciale, Gun TV offrait aux spectateurs un peu curieux la possibilité de découvrir une Amérique légèrement différente de celle omniprésente dans les médias et au cinéma, une Amérique que j'avais entraperçue dans ce désert du Nevada, une Amérique qui ne considérait pas simplement les armes comme des outils pour tuer mais aussi – et surtout – comme un moyen de réaffirmer sa puissance et sa liberté. Gun TV – comme vous pouvez vous en douter de par mon utilisation du passé – n'existe plus aujourd'hui. La chaîne a cessé d'émettre il y a quelques jours. Ses fondateurs précisent qu'il s'agit un arrêt temporaire. En attendant, cette Amérique existe toujours, et Gun TV m'a sans doute permis de mieux la comprendre.

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Un jour, quelqu'un m'a affirmé comprendre les électeurs de Trump après avoir passé toute une journée dans un lit à bouffer du kale. Pour ma part, cette épiphanie a eu lieu en matant Gun TV des heures durant. Alors que je dégustais une salade de fruits tout ce qu'il y a de plus saine, un certain Billy Bardzell s'amusait à tirer sur des avocats à la télévision. Je me sentais telle une anthropologue à la découverte d'une culture dont je ne savais rien.

Tout en tirant, Billy expliquait d'où lui était venue cette passion pour les armes. Après avoir été élevé à New York – où il ne connaissait personne possédant une arme – Billy avait rejoint l'armée. Après avoir servi deux fois en Irak, il avait troqué son uniforme pour un polo et avait mis en pratique le deuxième amendement américain en tirant sur tout un tas de trucs en direct à la télévision. Tout en louant les mérites d'une arme valant 1 530 dollars – 1 299 avec la réduction proposée par Gun TV – Billy expliquait que les gens qu'il avait côtoyés durant sa jeunesse méprisaient ouvertement les possesseurs d'armes à feu. La présentatrice de l'émission dans laquelle il apparaissait, Bree Warner, ne disait pas le contraire. Elle-même avait grandi dans une zone sans armes. Un jour, elle s'était mise à apprécier ce sentiment d'être « le héros de sa propre vie », selon ses termes.

Gun TV faisait la part belle à ces séquences : un mélange entre confessions, anecdotes et publicités déguisées. Je me souviens être tombée sur un homme bedonnant portant un chapeau de cow-boy. Il louait les mérites de la carabine semi-automatique A17 et expliquait à l'audience qu'il n'y avait pas de plus beau sentiment au monde que de se rendre dans une armurerie pour y croiser des visages radieux appartenant à des gens aux idées similaires. À l'image de n'importe quel hobby, les armes permettent aux individus de récréer du lien, de s'insérer dans une communauté soudée – à l'heure où ces communautés ont tendance à disparaître, à une époque où l'individu s'atomise.

Certains arguments de vente me paraissaient tout de même moins convaincants. Une jeune femme tentait de démontrer qu'il était tout à fait normal de transformer ses douilles en colliers et bracelets pour votre petite amie. Un gars affirmait qu'il valait toujours mieux « tirer à de nombreuses reprises, plutôt que quelques fois ». Une émission offrait aux téléspectateurs la possibilité d'admirer des balles en très gros plan, et cela pendant une demi-heure – d'une manière que l'on pourrait qualifier sans mal de pornographique.

Gun TV ne manquait pas d'insister sur la dangerosité inhérente à la vie sur cette planète – ce qui est tout à fait logique quand votre audience est composée d'individus possédant des armes pour se défendre au cas où. Au milieu de toutes ces émissions, des publicités proposaient les services d'avocats spécialisés dans les cas de mésothéliome – liés à l'amiante – ou dans les accidents de la circulation. Dans le monde de Gun TV, l'apocalypse n'était jamais loin, apocalypse dont il fallait se prémunir – via des armes, avant tout.

« L'intérêt d'un flingue ne réside pas dans l'outil en lui-même », rappelait l'un des animateurs au cours d'une émission. « Non, quand vous tirez, ce qui importe est la personne que vous devenez au cours de ce processus. »

C'est dans cette affirmation que résidait le caractère unique de Gun TV. C'est là que j'ai compris pourquoi il m'était arrivé d'aimer les armes à feu – alors que celles-ci étaient dénigrées par mes amis et ma famille. C'est ce halo d'interdit et de dangerosité qui fait tout l'intérêt d'une arme, quelle qu'elle soit. Et même si Gun TV n'a jamais été une réussite au niveau économique, la chaîne a parfaitement incarné cette fusion du pouvoir et du danger qui confère aux armes leur côté envoûtant.