Ce que j’ai appris sur moi en consultant mon historique Google (par une fille)
Illustration d'ouverture : Pierre Thyss.

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Culture

Ce que j’ai appris sur moi en consultant mon historique Google (par une fille)

Conseils beauté, conseils santé et sexe hardcore : je suis une fille horrible, selon Internet.

Vers douze ans, je me souviens qu'on s'amusait à être hyper blessants les uns les autres en révélant à nos camarades de classe ce qu'on appelait la « vérité ». Genre : tu as une haleine de merde. Genre : tu es grosse. À l'âge adulte, un seul truc ressemble à ces gosses infects qui viennent vous dire qui vous êtes juste pour vous diminuer : votre historique Google.

En France, nous sommes 82 % à utiliser Internet tous les jours et nous y passons en moyenne 3 heures et 37 minutes. Selon Google, les mots-clés ayant été les plus recherchés en France en 2016 sont « Donald Trump », « Euro 2016 » et « Comment télécharger Pokémon Go ? », suivi des plus étonnants « Comment voter à la primaire de droite ? » et « Comment tricher au Scrabble ? ». Le CNIL – pour Commission nationale de l'informatique et des libertés – conseille quant à lui de se débarrasser le plus régulièrement possible de son historique de recherche, notamment parce que chacune de vos requêtes est enregistrée et stockée par ledit moteur.

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En toute franchise, j'aurais aimé trouver dans mon historique le portrait d'une fille curieuse et cultivée. C'est plus ou moins l'image que j'ai de moi. J'aurais aimé que les 0 et les 1 me disent que je suis une jeune femme qui prend son avenir en main et se renseigne sur les derniers phénomènes de société, les points de vue des gens érudits sur les thèmes d'actualités, les expos à voir, les causes à défendre ou genre, la prochaine conférence TedX. Malheureusement, la réalité est ingrate.

En effet, le miroir de ma vie online m'a proposé un tout autre reflet : les contours d'une fille obsédée par le self-control et obnubilée par son poids, une consommatrice compulsive, une petite conne ayant pour idée fixe sa réussite professionnelle – et ce, sans même s'en donner les moyens.

Voilà ce que la mémoire de mon navigateur dit de moi et peut-être, de notre génération dans son ensemble.

JE NE SUIS INTÉRESSÉE QUE PAR MOI

Les screenshots ci-dessus ont été pris par l'auteure et proviennent de son moteur de recherche.

Selon mon historique, ma propre activité sur internet occupe environ 30 % de mes préoccupations. Je regarde toutes mes photos Facebook ainsi que celles où je suis taggée au moins une fois par semaine, avec des regards différents : celui de mon mec, celui du mec dont j'ai envie, celui de la potentielle lesbienne que je dragouille en ce moment et qui me convertira, ou celui des gens qui me stalkent (car ouais, je sais qui me stalke). Je finis par me trouver nickel, RAS. Puis cinq minutes plus tard, je recommence et je trouve que je ne suis qu'une ordinaire petite poufiasse vivant dans son carcan empoussiéré avec trois potes qui sont les mêmes depuis une décennie. Puis je regarde un peu les profils de mes potes et finalement, je me retrouve bien. C'est l'horreur.

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JE SUIS CLINIQUEMENT DÉPRIMÉE

Cette tendance à se regarder vivre peut muter (très vite) en tristesse. Ça peut aller mal, donc. Et ce n'est que lorsque ça va très mal que je réagis. Là, je tape : « comment faire pour aller mieux ? » C'est comme cela que je tombe sur des solutions beaucoup trop radicales pour moi via des plates-formes destinées à des femmes de 38 ans, qui ont cinq grossesses derrière elles, le vagin éclaté, un job de merde qu'elles ne peuvent pas quitter et des accès de colère qui aboutissent invariablement sur des crises de larmes.

À ce moment-là, je me rétracte. Je me demande si je nie une condition très critique – la mienne – ou si j'ai tapé les mauvais mots-clés. Je préfère aller questionner mon horoscope. Des conseils super abstraits pour conditions très concrètes dictées par un robot, c'est exactement ce qu'il me faut. « Des soucis familiaux viendront se greffer dans votre vie amoureuse mais ne vous en faites pas, Saturne et Jupiter vous aideront à faire ressortir vos talents de gestionnaire de situation ». Cool. L'horoscope demeure le meilleur ami de la femme.

JE REGARDE DES PORNOS DE MECS

De mecs certes, mais plutôt de mec frustré de ne pas pouvoir donner cinquante gifles à une fille lors d'une soirée étudiante transformée de manière inopinée en gang-bang. Je me demande pourquoi personne ne m'a initié ces soirées-là quand j'étais au lycée. En effet, parce qu'elles n'existent pas. Du coup je me mets sur Chatroulette. C'est un peu l'ultime réconfort quand on trouve tous les pornos trop tristes. J'enfile un masque du carnaval de Venise, je me fous à poil et je zappe sur des têtes de camionneurs pédophiles, ou je tombe aussi sur de vieilles folles complètement tapées à qui je n'ai rien à envier. Je me vois dans le retour caméra et je me trouve carrément bonne ! Ça me dégoûte et en même temps ça m'excite de me dire qu'ils sont contents d'être tombés sur moi.

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JE SUIS PERSUADÉE D'ÊTRE GROSSE (MÊME SI JE SAIS QUE C'EST PARFAITEMENT FAUX, J'AI UN DOUTE, ET CE DOUTE GROSSIT JUSQU'À SE TRANSFORMER EN CERTITUDE)

« Je pèse 55 kg et mesure 1m67, suis-je grosse ? » est incontestablement ce que j'ai cherché le plus dans mon histoire online. Internet est la plus belle invention jamais créée par l'Homme, mais c'est aussi un générateur de mal-être. Tout est accessible, y compris le rêve ; qui est à portée de main : pilules amincissantes, thé détox, des centaines de programmes minceur, témoignages de maxi bonasses avec photos « avant-après » de deux filles qui n'ont jamais été la même personne. Car si nous avons des complexes, Internet lui, n'en a aucun, et se fout constamment de votre gueule.

JE REGARDE DES TUTOS BEAUTÉ HORRIBLES

Comme je n'ai jamais su si j'avais confiance en moi ou pas, j'ai toujours été jalouse des filles qui l'assurent avec aplomb. Ces filles géniales et sûres d'elles se sont toutes retrouvées sur YouTube où elles enseignent désormais leur joie de vivre en en faisant profiter les femmes complexées. Leur outil numéro 1 demeure, en 2017, le tutoriel beauté. « Paraître plus mince », « Comment camoufler ses boutons d'acné », « Mourir en gardant le sourire », c'est en partie grâce à elles que des petites nerds de mauvaise nature arrivent à se sentir bien dans leurs pompes. En sachant pertinemment que 90 % de ce que ces névrosées disent est certifié débile et reposent sur des arguments, disons, légers.

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JE SUIS UNE CONSOMMATRICE COMPULSIVE

Je suis née à peu près au même moment qu'Internet. Sans lui, j'aurais probablement été plus modérée. Mais là, avec plus de 200 000 sites marchands actifs en France, j'ai l'embarras du choix. Et pour cause : je ne fais quasiment aucun achat conscient. Ma carte bleue est enregistrée sur tous les sites internet à disposition, ma chambre ressemble à un capharnaüm depuis mes 16 ans, et je ne mûris pas avec le temps. Des objets plus improbables les uns que les autres s'entassent dans – ou sur – le bordel des années précédentes. Amazon est ma vraie mère, toujours prête à m'apporter ce dont je n'ai pas besoin. Sans même que j'aie à le communiquer, elle sait exactement ce qu'il me faut pour être plus intelligente, plus belle, plus moi-même. En un clic : boom, j'upgrade ma vie. Et j'attends de me faire livrer du plexiglas.

JE SUIS OBSÉDÉE PAR MA RÉUSSITE PROFESSIONNELLE, SANS JAMAIS M'EN DONNER LES MOYENS

« Pour quel métier suis-je faite ? », « Vais-je réussir ma vie ? », « Suis-je assez forte pour devenir leader ? » Ces questions sont ridicules. Néanmoins, sachez que je les ai toutes posées à Internet. Et le plus triste c'est qu'à bien y regarder, ces questions pour obtenir des conseils, trucs et astuces à propos de mon incertaine réussite professionnelle constituent un bon tiers de mes recherches. Persuadée que Google détient la réponse, je n'hésite pas à cumuler mes questions. Au bout de plusieurs mois je n'ai toujours pas agi. Toutefois, je continue à interroger Google frénétiquement, parce que lui sait.

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JE VEUX QUE TOUS LES GARÇONS SANS EXCEPTION TOMBENT FOUS AMOUREUX DE MOI

Dans la vraie vie, je revendique à tort et à travers mon féminisme. Pourtant, dans la vie online, je m'inscris dans un registre où je suis totalement au service des hommes. C'est peut-être parce que je suis convaincue qu'être irrésistible peut m'épargner 90 % des sanctions de la vie. Que ce soit dans le cadre de mes relations amoureuses, amicales ou sexuelles, je veux sentir que personne n'a jamais vu ça, ce qui est précisément impossible. Je veux m'injecter la culture et la maturité d'une femme de 40 ans, l'envie de réussir d'une fille de 30, et conserver l'ingénuité adorable qui est la mienne (je crois). Pour ce faire, j'ai les cheveux longs, je m'épile parfaitement et je fais semblant de lire des livres passionnants – précisément comme toutes les filles de mon âge.

Car force est de reconnaître que mon moteur de recherches a raison : je suis précisément une fille de mon âge.

Rosanna est sur Twitter.