Les débuts de la scène hip-hop parisienne en images

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Les débuts de la scène hip-hop parisienne en images

Gilles Hutchinson a passé la fin des années 1980 à traîner son appareil photo aux soirées la Sardine à la Java, le club d’où allait émerger le rap en France.
Glenn Cloarec
propos rapportés par Glenn Cloarec

À cette époque, je me lançais dans la photographie. Je travaillais sur des sujets divers, et les nuits parisiennes et leur effervescence m'ont paru être un bon reportage. J'avais commencé à faire des photos dans plusieurs lieux, par exemple aux soirées Roger Boite Funk au Globo, organisées en partie par le magazine Actuel et animées par Dee Nasty. Ces soirées ont vu se produire Public Enemy en 1988 – concert culte duquel j'ai malheureusement perdu les images – et ont été un tremplin pour de nombreux DJ comme Cut Killer ou Crazy B.

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En 1988, avec la fin de Chez Roger Boite Funk, les habitués se sont déplacés à la Sardine, une nouvelle soirée organisée le jeudi à partir de 23h par DJ Molskee. Il avait réussi à convaincre le patron de la Java de lui louer la salle une fois par semaine. La Java était un dancing créé en 1923, situé au 105, rue du Faubourg du Temple dans le 10e arrondissement de Paris, au sous-sol de la galerie Le Palais du commerce. Les murs du bâtiment étaient noirs des traces d'un incendie survenu quelque temps auparavant. De l'extérieur, l'endroit faisait un peu flipper.

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Photos de Gilles Hutchinson

En plus des soirées Roger Boite Funk, DJ Molskee avait traîné à celles du Bataclan – des fêtes qui l'ont fortement marqué et inspiré et qui réunissaient chaque dimanche la jeune afro-antillaise pour les sets funk, hip-hop et zouk de DJ Chabin.

Molskee avait accumulé pas mal de disques, sortis sur des petits labels, dénichés chez des disquaires indépendants de Londres. Là-bas, commence à émerger l'acid jazz et le rare groove, grâce notamment à Gilles Peterson. En même temps, on assistait à l'arrivée d'un nouveau genre de rap américain, avec par exemple Run DMC, Public Enemy ou Afrika Bambaataa. Ce rap était plus ancré dans la filiation de la musique noire, avec citation au jazz et au funk. On s'éloignait alors de la première vague du rap, façon Rapper's Delight ou Grandmaster Flash.

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L'ambiance, la musique, la danse et dans une moindre mesure le décor faisaient la magie des soirées de la Sardine. On venait y écouter des musiques noires censurées ou boycottées par la plupart des radios.

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Le mélange, la mixité, était un autre aspect vraiment singulier de ces soirées – un phénomène qu'on ne retrouvait pas dans les autres clubs de l'époque. Jamais les nuits parisiennes n'avaient été aussi « black-blanc-beur ». On pouvait y retrouver de nombreux banlieusards, des Parisiens plus ou moins branchés, des gens de la mode et des mannequins en goguette. J'ai pu y rencontrer par exemple Jean-Paul Gaultier, Nina Hagen, JoeyStarr – qui n'était pas encore très connu –, Marthe Lagache, Jean-Paul Goude et bien d'autres. Parfois, Foc Kan, le photographe attitré des nuits branchées de l'époque au Palace ou aux Bains Douches, venait faire un tour pour y traquer les célébrités.

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La fête a duré presque deux ans. Puis, en 1989, Molskee a créé les soirées Zoopsie le vendredi dans un autre lieu, immense : le Bobino. Un évènement qui a conduit à transformer cette contre-culture qu'était encore le hip-hop en véritable phénomène dans l'industrie musicale. L'âme de la fête, sa magie, a finalement commencé à s'estomper dès le début des années 1990 : on y trouvait de moins en moins de banlieusards et de mixité. La clientèle du Zoopsie était devenue plus classique et Molskee se sentait moins libre de passer la musique qu'il voulait.

L'homme finira par tout plaquer pour partir s'installer à Londres. La fête était bel et bien terminée.

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Pour revenir à moi et à la Sardine, j'y venais tous les jeudis. J'avais 23 ans et ma petite amie travaillait à l'accueil.

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La plupart des habitués me connaissaient et me laissaient les photographier. Avec mon Rolleiflex 6x6 et mon gros flash torche, on ne pouvait pas dire que je faisais dans la discrétion. Parfois, ça pouvait être un peu tendu avec certains, mais dans l'ensemble ça se passait bien. Vraiment, c'était joyeux. Je n'ai pas le souvenir de bagarres comme j'en avais vu auparavant au Globo, qui avait une réputation beaucoup plus sulfureuse. À l'époque, je me souviens avoir entendu des rumeurs de viols et de bagarres à l'arme blanche entre gangs. À la Sardine, la sécurité était assurée par deux colosses, Djida et Buk, deux types charmants et doux tant qu'il n'y avait pas d'embrouilles.

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La salle, au sous-sol, longue et étroite, ressemblait à un couloir. On trouvait une rangée de banquettes de chaque côté et la piste de danse au centre et sur la longueur de la pièce. Le tout était très sobre. Le faste du dancing avait disparu depuis longtemps. Au fond, se trouvaient une estrade et les platines. Quand il le sentait, un batteur accompagnait les beats des morceaux choisis par Molskee. Parfois, lors de sessions spéciales, un groupe ou deux se produisaient sur scène.

Il était très difficile de faire des photos de 23h à 2h du matin. La Sardine était pleine à craquer. Il était difficile de se mouvoir et de prendre assez de recul pour pouvoir photographier quelque chose d'intéressant. Il me fallait attendre que la foule se dissipe un peu pour commencer. Néanmoins, un certain nombre de gens restaient jusqu'à la fermeture : certains continuaient à boire et danser tandis que d'autres s'endormaient sur les banquettes. À l'aube, ils prenaient le premier métro. Quant à moi, qui habitais alors à trois rues de là, je raccompagnais mon amie à pied. Elle avait fini son job et le jour commençait à se lever.

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Retrouvez Gilles Hutchinson sur son site. Propos rapportés par Glenn Cloarec.

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