Voilà comment bossent les types qui évaluent les joueurs de foot dans les jeux vidéo

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Football Manager

Voilà comment bossent les types qui évaluent les joueurs de foot dans les jeux vidéo

Dans le monde, il y a des centaines de personnes qui regardent des matches afin de noter les joueurs pour FIFA, PES ou encore Football Manager.

Pouvez-vous traduire le génie de Messi en chiffres ? Sa note en précision de tirs est-elle plus précise que celle de Lukas Podolski ? Quel est le risque de gonfler les attributs d'un joueur moyen et d'en faire un (faux) crack ?

Dans le monde entier, des centaines de personnes sont chargées d'évaluer des joueurs de football pour rendre aussi réalistes que possible des jeux vidéo comme FIFA, Pro Evolution Soccer et Football Manager, où les nuances et les détails sont très importants.

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Ça semble être un boulot assez facile : bien sûr le Madrilène Cristiano Ronaldo mérite des notes beaucoup plus élevées que Pedro Leon le joueur de Getafe. Mais quand il s'agit de proposer une analyse objective en tenant compte de critères subjectifs, c'est tout de suite plus compliqué.

Celso Fernando Jung, un analyste de 25 ans, fait face à ces petits détails presque tous les jours : du mardi au dimanche, il mate plusieurs matches de football. Ça pourrait être un Barça-Real ou un Ponferradina-Albacete, mais en tant que Brésilien, il s'intéresse davantage à la première division carioca, du Corinthians-Atletico Mineiro au Coritibia-Avai.

De toute évidence, les notes de Cristiano Ronaldo sont seulement comparables à celles de Messi ou Neymar Jr. Photo Juan Medina/Reuters

Celso doit se concentrer sur les moindres détails : si un gardien utilise les mains au moment de stopper les tirs les plus difficiles, si un défenseur est très rapide, si un milieu de terrain a de bons déplacements latéraux ou si l'attaquant se concentre sur le but ou s'il décroche pour participer au jeu. Son rôle est en fait assez similaire à celui d'un recruteur au sein d'un club de football.

Le résultat de ses évaluations se traduit par des feuilles de statistiques qui arrivent sur les bureaux de la société Sports Interactive à Londres qui gère le mythique jeu Football Manager. Selon leurs estimations, de jeunes joueurs prometteurs, comme Sergi Samper (un joyau du Barça), peuvent faire leur entrée dans le jeu et des légendes comme Iniesta peuvent voir leurs notes baisser à mesure qu'ils vieillissent.

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Sans les bénévoles qui sont prêts à travailler, tels des éclaireurs, il serait impossible de contrôler l'évolution des milliers de joueurs des équipes du monde entier qui sont dans le jeu.

Un exemple des notes d'Andrès Iniesta sur Football Manager. Les années passent mais il garde une note de 20 en technique. Image vía FM

Pour un collaborateur de longue date comme Celso, qui vit à Joaçaba au Brésil et travaille pour Football Manager depuis 2009, la routine est simple : « Le travail est constant, les joueurs sont donc listés et il y a quelques modifications à faire toute au long de la saison, explique-t-il. Je fais plus attention aux joueurs qui sortent des centres de formations : il y a plus d'informations à remplir. »

Les champs les plus importants à remplir sont très spécifiques et nécessitent beaucoup d'attention. « J'essaie de voir quel pied un joueur préfère utiliser, s'il aime tirer hors de la surface, s'il subit une faute sans tomber par terre, s'il préfère les longues passes, s'il utilise parfois son pied faible… tout ».

Les notes d'Iniesta peuvent varier d'une année sur l'autre, et même d'un match à un autre. Photo Kai Pfaffenbach/Reuters

Si les notes pour les attributs des joueurs sont données match après match, les observateurs doivent garder une vision globale de leur boulot. « On doit apprendre à distinguer un bon geste d'un mauvais et savoir si c'est une tendance constante chez le joueur », détaille Celso.

« Par exemple, si Neymar ne marque pas pendant 10 matches, ce serait une erreur de baisser sa note d'efficacité parce que le type s'appelle toujours Neymar, poursuit l'intéressé. Mais s'il se passe une saison sans qu'il marque un but et que les autres joueurs sont plus performants que lui, il est temps de vérifier ses chiffres ».

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Konami, l'éditeur de Pro Evolution Soccer, possède une entreprise spécialisée qui fournit des données précises sur les joueurs du monde entier. Les créateurs de FIFA et de FM utilisent aussi des données de ce genre, même si l'accent est aussi mis sur l'apparence des joueurs : bracelets, tatouages, ce qu'ils portent pendant les matches. Rien n'est laissé au hasard.

Si Neymar a un coup de moins bien, ses notes ne vont pas baisser du jour au lendemain. Image vía FM

Sports Interactive recherche une telle précision dans les aspects techniques des joueurs qu'il utilise même un logiciel d'analyse des footballeurs pour adapter les données. Sur leurs serveurs sont répertoriés plus de 250 000 footballeurs. Plusieurs techniciens professionnels utilisent le jeu pour trouver des jeunes joueurs talentueux. Même certaines radios anglaises ont utilisé ce jeu pour analyser les joueurs.

« Je pense que tous les jeux utilisent plus ou moins les mêmes critères d'évaluation car ils essaient tous d'avoir le même. Il y a simplement des jeux qui sont plus prudents dans les notations », explique Paulo Freitas, recruteur en chef de FM au Brésil depuis 2005.

Les analystes scrutent des stars comme Neymar, mais aussi des joueurs moins célèbres et talentueux. Photo de Ricardo Moraes, Reuters

Freitas vit à Rio de Janeiro et analyse une dizaine de matches par semaine. Il coordonne aussi l'équipe brésilienne de FM qui compte 25 personnes réparties dans tout le pays. Certains d'entre eux s'occupent exclusivement des plus grosses équipes brésiliennes tandis que les autres s'occupent des équipes plus petites, des équipes juniors ou de toutes les équipes d'une région. « Par exemple toutes les équipes de la région de Santa Catarina », précise Paul.

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« Les scouts font leur boulot et ils m'envoient les changements qu'ils observent dans les équipes. Dans le monde entier, il y a 60 autres personnes qui ont la même mission », explique Freitas, sans préciser combien ils gagnent pour ce job qu'ils cumulent avec une autre activité. Tous ne perçoivent pas un salaire et le travail varie beaucoup en fonction de leur disponibilité.

Je me souviens que Wayne Rooney avait des notes horribles dans FM 2004, quand il était à Everton, mais personne ne s'en souvient, il existait à peine - Celso Fernando Jung, analyste Football Manager au Brésil

Avec le temps, les aspects subjectifs du sport ont pu affecter les notations objectives : cela pourrait expliquer pourquoi on observe de si grandes disparités entre les différents jeux vidéo.

Dans PES, le défenseur Dédé (Borussia Dortmund) et le meneur de jeu Andrés D'Alessandro – vous pouvez les comparer à Alvaro Arbeloa et Gareth Bale –, ont des notes plus élevées que dans FM, qui prend en compte la propension du premier à se blesser souvent et le manque de régularité du second.

Souvent, le système de calcul de ces jeux ne fonctionne pas très bien : en 2013, par exemple, Pablo Armero était le meilleur arrière gauche du monde pour PES ! Mais parfois le jeu ne se trompe pas : en 2015, les Corinthians étaient la meilleure équipe du Brésil devant l'Atletico Mineiro, aussi bien dans le championnat réel que virtuel.

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Les scouts de Football Manager ont noté Wayne Rooney à l'âge de seize ans. Il était déjà super fort. Image vía FM

Dans le cas de Football Manager, il y a d'innombrables exemples de jeunes joueurs qui ne progressent pas comme prévu tandis que d'autres sont devenus de vrais cracks sans avoir de prédispositions statistiques.

Le cas le plus récent est assez drôle. Début 2016, Miles Jacobson, chef de projet chez FM, a déclaré au journal britannique le Daily Mirror qu'il avait présenté ses excuses à Tottenham pour ne pas avoir mis de bonnes notes à Harry Kane dans les versions précédentes du jeu.

Les efforts réalisés dans chaque pays ont contribué à créer un jeu de plus en plus réaliste. Les méthodes de travail des scouts aident notamment à être très précis. « Je me concentre sur les plus jeunes car je ne veux pas inventer des légendes futures », précise Celso.

« Lulinha, un gamin des Corinthians de 17 ans, avait les notes d'un crack et il est allé directement en sélection. Au final, dans la réalité, il n'en a rien été : ni pour la sélection, ni pour quoi que ce soit. Ce fut une expérience qui nous a servis à apprendre », se souvient l'analyste.

Freddy Adu, une des légendes de Football Manager. Image vía FM

Pour travailler en tant qu'analyste, il faut se rendre sur les sites des éditeurs de jeux vidéo et ouvrir un profil personnel. En général, en guise de test, les volontaires commencent à évaluer certains joueurs durant certains matches. Ce n'est pas une tâche facile et l'observateur doit regarder au-delà de la capacité du joueur à faire des passes longues ou courtes. Il doit aussi repérer l'agressivité et les capacités mentales du joueur, entre autres choses.

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Dans le cas de FIFA et de Football Manager, il est fréquent que ces bénévoles amoureux deviennent de vrais fournisseurs de données et leur passion pour les jeux vidéo devient une vraie activité professionnelle. Celui qui veut le devenir doit avoir des compétences bien affirmées : le dévouement et la patience pour mater des matches, parfois horribles, qui se jouent dans le monde entier.

Une autre exigence requise est l'impartialité. Difficile de noter des joueurs quand ils jouent pour votre équipe favorite. Celso, par exemple, a analysé des joueurs de son équipe de cœur, Palmeiras. Pour ce faire, il a dû faire preuve de discernement et il en a discuté avec des collègues. « Nous avons un forum de discussion interne, explique-t-il. Quand il y a des moyennes exagérées ou insuffisantes on en parle. On essaie de comparer nos chiffres avec d'autres bases de données spécialisées comme Footstats ou Goal ». Ça permet en effet de savoir si les notations sont exagérées, ou pas.

Evaluer les célébrations des joueurs et le langage de leurs corps n'est pas une chose aisée. Image vía Reuters

C'est certainement une tâche difficile, parfois chiante, mais qui, parfois, peut réserver de belles surprises. En Azerbaïdjan, un des analystes, un étudiant de 21 ans, Vugar Huseynzade, a été si précis dans sa notation qu'il a été embauché par une équipe professionnel à Bakou.

Et puis la vie c'est un peu comme un jeu, alors, qui sait, peut-être que Celso ou d'autres scouts des jeux vidéo finiront par devenir recruteurs pour de vraies équipes de foot.