FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Sus aux athées ! En France, l’évangélisation cinématographique est en marche

À la tête de Saje Distribution, c'est à Hubert de Torcy que l'on doit la sortie française de « Dieu n'est pas mort », film destiné au public chrétien. On l'a rencontré.
Affiche du film "Dieu n'est pas mort" de Harold Cronk, 2014

Ma rencontre avec le cinéma faith-based remonte au mitan des années 2000, avec la reconversion de ce grand dadais intolérant de Kirk « Quoi de neuf docteur ? » Cameron dans les productions du studio Cloud Ten Pictures, spécialisé dans les films apocalyptiques – comme la trilogie nanar Left Behind, lourdement conseillée à quiconque souhaite prouver la mort par asphyxie de la science-fiction. En 2014, à côté de mon Bed & Breakfast situé en périphérie de Londres, l'affiche de God's not Dead placardée sur le panneau d'informations de la paroisse voisine attire mon attention, avec ses messages suggestifs comme « demandez à votre cinéma local de jouer le film ! », ou encore « envoyez le texto "Dieu n'est pas mort" à dix de vos amis ! ».

Publicité

God's not Dead, avec son budget de deux millions de dollars et son box-office inespéré à 64 millions, a propulsé le studio d'inspiration évangéliste Pure Flix dans la cour des grands. Au côté des blockbusters comme Noé ou Exodus et des succès à répétition des invraisemblables comédies familiales de Tyler Perry, ce petit miracle financier prouve que le public américain des années 2010 a soif de spiritualité, toute frelatée soit-elle au niveau artistique. Dans God's not Dead, les méchants athées joués par Kevin Sorbo et Dean Cain ne font rien qu'à persécuter les pauvres croyants, fantasmés en minorité la plus opprimée des États-Unis – ce qui a donné lieu à une parodie savoureuse du Saturday Night Live.

Plus stupéfiante encore que le film lui-même, sa distribution tardive par chez nous sous le titre Dieu n'est pas mort, à l'instigation de Saje Distribution, modeste compagnie convaincue du potentiel du « cinéma de la foi » sur le marché français. À la manœuvre, son patron Hubert de Torcy manie très adroitement les éléments de langage de la start-up nation, rêve de lendemains évangélisés et, pourquoi pas, de se lancer dans la production. Échaudé par le visionnage d'une palanquée de films faith-based, j'ai voulu en savoir plus. VICE a donc rencontré la vertu.

VICE : Qu'est-ce qui vous a poussé à créer Saje Distribution ?
Hubert de Torcy : La société préexistait à nos sorties en salles. On travaillait surtout dans le documentaire et on a contribué à la diffusion d'une mini-série humoristique appelée Le Cathologue, avec beaucoup d'autodérision, qui a eu pas mal de succès d'estime auprès du grand public et de succès tout court chez les jeunes cathos, essentiellement.

Publicité

Ça fait plus de dix ans que je travaille dans les médias chrétiens, c'est un univers vaste, pas toujours très bien connu en dehors de ceux qui font partie du club, c'est un peu tout le problème. C'est comme si, laïcité oblige, l'église avait dû instituer un monde culturel parallèle au monde culturel séculier, avec ses propres librairies religieuses, ses propres journaux, radios, télévisions, ses propres maisons d'édition.

De mon côté, j'ai accès au réseau des paroisses, des diocèses, à tout un maillage territorial assez dense. Je me lamentais de ne jamais voir les films faith-based en France. Un jour, j'ai vu la bande-annonce de Cristeros, et je me suis dit : j'ai le réseau, on va démarrer avec ma petite société de distribution et on va apprendre le métier. On l'a sorti sur 62 copies, sans beaucoup de moyens, sur un mode de distribution quasi alternatif – c'est l'avantage du cinéma de niche, ça coûte moins cher de toucher le public cible.

On a communiqué via les réseaux sociaux, les paroisses, les médias chrétiens que je connaissais. Ce qui a été décisif, c'est lorsque le groupe UGC a organisé quasiment en loucedé le dimanche d'avant la sortie des avant-premières à Lille et Lyon. On a tout de suite prévenu les Lyonnais et les Lillois, et les UGC ont dû refuser le double de la capacité de chaque salle. Le lundi matin, ils nous ont ouvert toutes leurs salles. Avec nos 82 000 entrées, on a fait partie des 5 % de films qui se sont remboursés sur la sortie en salles. On a appris le métier sur cette sortie et ça nous a encouragés à persévérer.

Publicité

Je ne veux pas dauber sur nos amis américains, mais il y a une finesse en Europe, là où chez eux il faut être cash. L'anti-film américain, c'est Silence de Martin Scorsese.

Vous reproduisez un système de marketing viral beaucoup employé aux États-Unis pour ce cinéma – pour Dieu n'est pas mort, en particulier.
Ce film, ça a été une longue hésitation, parce qu'on n'est vraiment pas dans un cinéma susceptible de plaire aux Français. C'est un cinéma hyper engagé, très prosélyte, très…

… revanchard, je dirais.
Un peu revanchard, très sur la défensive on va dire – et puis très caricatural. Je suis content de l'avoir dans mon catalogue parce que c'est quand même une date dans le cinéma chrétien, mais je n'arrête pas d'expliquer aux Américains que j'ai quasiment la chair de poule de honte de le sortir. Du coup, je ne le sors pas en catimini, mais il s'agit d'une sortie technique, quasi exclusivement sur du cinéma à la demande des églises évangéliques. Après ça, je vais le sortir en DVD. C'est un produit faith-based important à avoir dans son catalogue.

C'est un produit d'appel ?
J'espère que ce n'est surtout pas un produit repoussoir… Stratégiquement, il est pertinent de l'avoir parce que grâce à ça, je suis un interlocuteur valable auprès de Pure Flix, qui a de plus en plus les moyens de ses ambitions. Je n'achèterai pas God's not dead 2, par exemple, qui est encore moins bien…

C'est le moins qu'on puisse dire.
Vous l'avez vu ? Bravo, vous êtes vachement courageux [rires].

Publicité

Les deux God's not dead m'ont mis très mal à l'aise. Ça relève du délire de persécution…
Aux États-Unis, ils affirment que ça se passe comme ça, ils s'appuient sur des faits réels…

Oui, mais il y a eu autant de faits contraires, où l'Union Américaine pour les Libertés Civiles (ACLU), caricaturée dans God's not dead 2, a défendu des étudiants croyants…
Sans doute. Bon, je ne veux pas dire plus du mal du film que ça, mais c'est plus pour moi une pièce de musée. Il faut l'avoir, d'autant qu'il m'a permis de récupérer le dernier Pure Flix, The Case for Christ, qui est d'un très très très haut niveau par rapport à God's not dead. Ça n'a rien à voir.

Image tirée du film "Dieu n'est pas mort" de Harold Cronk, 2014

On est toujours dans la caricature, quand même.
Vous trouvez ? Beaucoup moins, je dirais. Déjà, on est sur une histoire vraie, on est dans du vrai cinéma, une vraie reconstitution d'époque, le scénario est mieux travaillé, les comédiens jouent bien, on n'a pas honte du film. Sur l'histoire, c'est plus subtil, il y a plus de liberté accordée aux personnages.

Pure Flix ne peut pas s'empêcher de présenter les athées comme des sales types.
Ça correspond aussi au marché américain, où on est plus dans des codes pour conforter un public. Je ne veux pas dauber sur nos amis américains, mais il y a une finesse en Europe, là où chez eux il faut être cash. L'anti-film américain, c'est Silence de Martin Scorsese. J'étais à une convention qui rassemble tous les grands acteurs de la production-distribution faith-based à Cincinnati, ça les faisait marrer : il n'y a vraiment que les Français pour trouver Silence intéressant, selon eux.

Publicité

Il y a tout un réseau faith-based mondial, en fait ?
C'est la première fois que j'y allais mais oui, il y a un vrai réseau de producteurs, de distributeurs, de comédiens. 90 % de la production faith-based vient des États-Unis, même s'il commence à y en avoir en Australie, en Afrique du Sud. Ces gens-là s'échangent, s'achètent les droits. C'est là que je récupère en avance une bonne partie de mes films.

Pour en finir avec Pure Flix, il y a un seul de leur film que je trouve à peu près honnête, c'est I'm not ashamed, sur la tuerie de Columbine – et encore, il faut faire abstraction du traitement atrocement caricatural des tueurs.
Quand vous êtes sur une niche comme la mienne, on a deux objectifs. On sort des films qui vont d'abord être à destination de la niche, pour la conforter, l'aider à transmettre sa foi. Ensuite, le véritable intérêt pour moi, ça va être de donner un accès à la « bonne nouvelle ». Je considère que mes contemporains ont le droit d'avoir accès à la bonne nouvelle mais, laïcité oblige, on leur fait croire que la seule religion possible est celle de la téléréalité. On veut nier toute dimension religieuse, ce qui est un vrai problème de société parce qu'on ne résoudra pas le problème de l'islamisme en proposant du pain et des jeux. Il ne faut pas s'étonner que ces jeunes se radicalisent. 90 % de l'humanité pense qu'on a été créé par Dieu, pour Dieu : ce n'est pas en niant cette dimension qu'on va régler les problèmes.

Publicité

Dieu n'est pas mort n'est pas super finaud avec son personnage de musulmane qui écoute la Bible en cachette sur son iPod…
Oui, ça manque de finesse ; maintenant, ce genre d'histoire est très répandu. Je vais vous choquer sans doute, mais comment s'appelle une religion dans laquelle, si vous en sortez, c'est sous peine de mort ? J'appelle ça une secte.

Vous généralisez. C'est comme si je comparais la famille Phelps aux chrétiens français…
Mais même cette frange extrême ne va pas tuer ou menacer de mort.

Ah si, ils menacent de mort.
Il y a des fous partout.

La religion chrétienne n'est pas le problème de la laïcité, c'est ce qui va la sauver – à condition qu'on laisse parler, qu'on donne un supplément d'âme à cette société, sinon on ne résoudra rien.

Vous pensez que le système français est rétif à votre approche ?
Aujourd'hui, le monde médiatique français reste prisonnier d'une idéologie laïciste. On a essayé de sortir des films d'auteur plus subtils, on a demandé des aides. Les gars me disent : « Si on prend vos films, on va avoir des revendications d'autres religions, donc on ne peut rien faire. » Je pense que la laïcité est un enfant du christianisme, elle n'existerait pas si la religion chrétienne ne l'avait pas inventée. La religion chrétienne n'est pas le problème de la laïcité, c'est ce qui va la sauver – à condition qu'on laisse parler, qu'on donne un supplément d'âme à cette société, sinon on ne résoudra rien. On va aboutir à un durcissement et à une crispation de la population musulmane, on ne va pas comprendre pourquoi.

À un moment ou à un autre, des gens vont se tourner vers leurs racines chrétiennes, avec du coup une sorte de combat idéologique. On va au clash, quoi. J'espère qu'un jour, il y aura une prise de conscience dans les médias, dans les télévisions notamment, sur ces questions-là. Dire que ça fait partie de notre culture, c'est un peu mon combat aujourd'hui.

Je suis content d'avoir poussé ces agoras publiques que sont les salles de cinéma à ouvrir leurs portes à des produits de type chrétien. Aujourd'hui, on répète que ça peut exister, que ce n'est pas un drame, qu'un film comme La Résurrection du Christ ne déclenchera pas la Troisième Guerre mondiale. On a notre carte à jouer.

Vous souhaitez vous lancer dans la production ?
Oui. On a deux scénarios à l'écriture. C'est un projet sur le long terme. À dire vrai, la production, c'est l'objectif que je caresse depuis l'âge de 18 ans. Je suis très content de porter les reliques d'autrui, mais j'ai toujours une frustration parce que ces reliques ne me correspondent pas complètement. Je pense au public francophone, je me dis souvent : ah, je ne l'aurais pas fait comme ça… Chaque marché a ses spécificités. Pour les Américains, vous mettez quelqu'un en train de fumer ou boire un verre de vin, vous êtes grillé dans la plupart des églises évangéliques ! En France, ça ne pose pas de problème.

Il y a beaucoup d'histoires que j'adorerais mettre à l'écran, mais depuis 15-20 ans ma réflexion est la suivante : un produit n'existe que quand il y a un marché pour l'accueillir. Mon challenge est d'abord de montrer que ce marché existe, de le confirmer, de créer le réseau, de le stabiliser. On revient de loin parce que ce n'est pas un public qui a l'habitude d'aller au cinéma. Ça va prendre du temps. Quand on travaille sur La Confession avec un beau cast, un beau sujet et qu'on ne fait que 220 000 entrées, c'est décevant. Le marché n'est pas encore mûr.

François est sur Twitter.