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Crime

Une journée à Molenbeek, montrée du doigt comme la « capitale du djihadisme » en Europe

Au lendemain du raid de la police belge dans le quartier de Molenbeek à Bruxelles, un groupe de musulmans du quartier s’est lancé dans une séance de porte-à-porte pour appeler au calme.
VICE News

Au lendemain du raid de la police belge dans le quartier de Molenbeek à Bruxelles, un groupe de musulmans du quartier s'est lancé dans une séance de porte-à-porte pour appeler au calme. Ce mardi, sur chaque porte, ils ont collé des affichettes blanches sur lesquelles des messages de paix étaient inscrits.

En à peine une journée — soit le temps qu'il a fallu pour faire de Molenbeek la capitale du djihadisme européen — ce quartier populaire de Bruxelles était recouvert des petites affiches.

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« Personne ne veut venir ici parce que tout le monde pense que c'est dangereux, mais on essaye de montrer qu'il y a des gens bien ici, » nous explique Louiza, le sac rempli d'affichettes sur lesquelles on peut lire « Molenbeek » avec un signe « Peace and Love » dans le « o ». « C'est notre manière de nous réunir pour qu'on soit fier de notre quartier à nouveau. »

Mais cet objectif ne va pas être simple à remplir — surtout depuis que l'on a appris que deux frères qui vivaient dans le quartier sont impliqués dans les attaques qui ont endeuillé Paris vendredi dernier. D'autant plus que ce quartier de la capitale belge n'en est pas à sa première rencontre avec le djihadisme. Molenbeek — où vivent 100 000 personnes — aurait le plus haut ratio par habitant de personnes parties combattre en Syrie et en Irak dans les rangs d'organisations djihadistes. La Belgique compterait environ 40 combattants étrangers pour 1 million d'habitants (11,2 millions personnes vivent en Belgique). La France présente un ratio 2 fois plus faible, et le Royaume-Uni, 4 fois plus faible.

Plus tôt dans l'année, les forces de police belges ont fouillé les rues du quartier ,à la recherche de suspects liées aux attaques contre la rédaction de Charlie Hebdo. Un Français, accusé d'avoir tué 4 personnes lors d'une attaque contre le Musée juif de Belgique à Bruxelles, aurait aussi vécu à Molenbeek.

« À chaque fois, il y a un lien qui se fait avec Molenbeek », déclarait le Premier ministre belge, Charles Michel, dimanche dernier. « Nous avons essayé la prévention. Maintenant nous devons faire de la répression. Une sorte de laissez-faire et de laxisme a eu cours pendant trop longtemps. Maintenant nous en payons le prix. »

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Difficile de savoir à quoi fait exactement référence le Premier ministre, mais les militants de Molenbeek expliquent être déterminés à ramener un peu d'espoir et de prospérité dans le quartier.

Il est indéniable que Molenbeek, la deuxième commune la plus pauvre de Belgique, connaît de sérieux problèmes de criminalité et de chômage, mais cela serait trop simpliste d'en faire un terreau pour apprentis djihadistes. Il reste néanmoins à comprendre pourquoi l'histoire semble se répéter à de multiples reprises dans le quartier.

La police garde l'entrée d'une rue, alors que les forces spéciales belges fouillent une maison de Omlenbeek. (Geert Vanden Wijngaert/AP) 

Marc, un Belge qui vit et travaille en tant qu'ingénieur à Molenbeek depuis plus de 40 ans, s'arrête avec son panier de courses devant l'une des 22 mosquées du quartier. Il a vu le quartier changer devant ses yeux, et peut expliquer pourquoi.

« La première vague d'immigrants arrivée ici, qui venaient du Maroc et de Turquie, a dû se concentrer sur leur travail pour nourrir leur famille — ils n'ont pas vraiment eu le temps qu'ils voulaient pour éduquer leurs enfants, » explique Marc. « Et nous avons aussi un problème pour accéder à une bonne éducation ici, les gens oublient ce dont cet endroit a besoin. Donc maintenant nous nous retrouvons face à un problème, nous avons une génération de jeunes qui s'est tournée vers Internet pour s'éduquer sur la vie, aux mains de mauvaises influences. »

« Si seulement ces familles avaient eu la chance de transmettre leurs valeurs — et je suis chrétien avec de nombreux amis musulmans — les choses auraient surement mieux tourné. Ce que j'ai appris, c'est que l'islam est une religion de paix. »

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Marc explique que c'est plutôt facile de ne pas se faire remarquer à Molenbeek. Les loyers sont bon marché et les gens peuvent aller et venir sans laisser de traces.

Un employé de la municipalité, qui ne souhaitait pas être identifié, explique que parfois il ne se sent pas très en sécurité quand il travaille ici. La prévention du crime n'est pas toujours simple, tout comme communiquer avec la communauté, explique l'employé municipal. « Mais j'ai quand même été très choqué par les derniers événements. Les liens avec les attaques de Paris. Personne ne s'attendait à ça, vraiment. »

« Mais en même temps, je peux vous dire qu'il y a d'autres villes en Belgique et en Europe qui vivent la même situation que la nôtre. C'est quelque chose qui pourrait très bien se passer autre part. Et cela arrive. »

En marchant dans Molenbeek, à quelques kilomètres du centre de Bruxelles (qui n'est pas loin), ce que l'on entend le plus, c'est le bruit des enfants qui jouent dans la cour de l'école. Un ballon de foot roule sur la chaussée. Autour de la place principale, il y a une grande église, et des hommes qui boivent du thé.

Mayor of Molenbeek tells reporters about the struggles of her community — Rachel Browne (@rp_browne)November 17, 2015

Ahmed, qui tient un magasin de vêtements et de matériel pour la maison au bout de la rue, s'agace un peu quand on lui demande pourquoi son quartier se trouve associé à ce type d'histoires. « On ne devrait pas avoir à se justifier auprès de tout le monde pour ce que font une poignée de radicaux, » explique Ahmed. « Rien ne va changer ici. Le problème vient de l'environnement politique de la Belgique, avec la France, et ici dans ce quartier. »

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Quand on demande à la maire de Molenbeek, Françoise Schepmans, ce qu'elle pense de la réputation que sa commune traîne, elle secoue la tête et dit doucement, « Ça fait mal, ça fait mal. »

« Le problème avec une ville comme la mienne, c'est qu'on a besoin de plus de police, de plus d'argent pour mener une action ferme. Le faire seuls, ce sera très compliqué. »

Entourée de peintures de Frida Kahlo, Mr. T, et de Marilyn Monroe, Malika Saissi est assise dans un café, non loin du bureau du maire. C'est ici qu'elle organise des rassemblements pour les artistes, familles et militants du quartier.

« J'aime ma ville et je pense que de bonnes choses peuvent arriver ici, » explique Saissi, qui travaille avec De Vaartkapoen, un groupe qui œuvre pour la communauté. « Vous pouvez trouver plein de gens ici qui vont à l'université, des militants, des gens qui rêvent d'avoir un avenir meilleur. »

Mohamed Abdeslam. Son frère Brahim est mort dans une attaque suicide à Paris. Son autre frère, Salah, est recherché par toutes les polices d'Europe. (Photo par Leila Khemissi/AP) 

Saissi est d'accord avec sa maire quand il s'agit d'évoquer la relation entre le gouvernement belge et le quartier. « Ils ont des décennies de retard, pour rendre la vie meilleure ici, » explique-t-elle. « J'ai parlé avec mon propre fils hier qui me disait qu'il est embarrassé de dire qu'il vient de Molenbeek, et qu'à cause de ça, il ne trouvera pas de travail. C'est dérangeant, parce que cela pourrait bien être vrai. »

Saissi explique qu'elle est proche de la famille des frères Abdeslam, dont Brahim et Salah sont impliqués dans les attaques de vendredi dernier. Leur grand frère, Mohamed, avait été arrêté samedi dernier avant d'être relâché.

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« Bien sûr que je les connais. Je n'ai pas peur de le dire. Parce que c'est une famille dans laquelle je me reconnais, » dit Saissi. « Leur mère est très ouverte, très moderne et très gentille. Elle a donné beaucoup d'amour à ses enfants. Elle n'a jamais été extrémiste dans sa façon de voir les choses. Elle les a éduqués avec de bonnes valeurs. La question n'est pas la famille, mais l'environnement qui les entoure. »

Elle explique que c'est comme si les deux fils Abdeslam menaient une double vie, qu'ils ont subi un lavage de cerveau, ajoutant que cela était surprenant d'apprendre que les garçons avaient quelque chose à voir avec les attaques de Paris. Pour elle, il faut aider cette communauté et pas la condamner. Il n'y avait jamais eu de signes avant-coureurs qui auraient laissé penser qu'ils se soient radicalisés.

« Nous essayons de trouver des solutions pour combattre le terrorisme, mais nous devons aussi trouver des solutions pour aider les familles qui perdent leurs enfants par ce biais-là, » propose Saissi. « Nous avons besoin que le gouvernement intervienne… pour aider ces gens à réaliser leurs rêves, et à vivre en paix. »

Spending the day in Molenbeek — Rachel Browne (@rp_browne)November 17, 2015

Suivez Rachel Browne sur Twitter : @rp_browne