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Alcool

Ce que votre boisson préférée dit de vous

Du point de vue d’un barman méprisant.
JG
London, GB
Drinking Emily Bowler
Photo: Emily Bowler

Mes deux aspects préférés du métier de barman sont : a) le fait de pouvoir boire de la vodka au boulot sans que cela pose problème, et b) la capacité de compréhension ultra-précise que cela m’a conféré quant à la condition humaine.

Si vous souhaitez savoir ce que les gens cachent… A qui demandez-vous ? Un médecin ? Un prêtre ? Dieu lui-même ? Non. Demandez à un barman. Nous vous voyons dans vos moments les plus vulnérables. Nous vous voyons draguer, ivres morts, et tenter de cacher votre désarroi quand vous réalisez, au bout de cinq secondes, que finalement vous n’avez pas envie de coucher avec votre date Tinder. Nous vous voyons critiquer vos collègues et faire part de vos points de vue incisifs sur la politique. Nous vous connaissons. Alors, la prochaine fois que vous sortez avec vos amis pour boire un verre et décompresser, rappelez-vous que quelque part, dans le fond, il y a un barman qui, comme moi, vous juge en silence.

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Au cours de mes nombreuses années de service, j’ai développé une capacité surnaturelle à déterminer la personnalité des gens en fonction de ce qu’ils boivent. Voici quelques observations que j’ai pu recueillir :

La bière d'abbaye

Nigel Farage Real Ale

Nigel Farage via ODN News

C’est une boisson pour les mecs atypiques, amers, et sombres, qui me demandent de remplir leur pinte toutes les cinq minutes, peu importe si elle est encore pleine.

Avant, à mon ancien travail, je lisais la newsletter « Une campagne pour la vraie bière », par pur ennui. Je n’oublierai jamais la fois où le titre disait : « Hourrah pour George Osborne ! ». Et ça, c’était après l’annonce d’un budget, qui, d’un côté, baissait le prix de la pinte, mais de l’autre, entraînait des réductions de plusieurs milliards de dollars qui nuiraient aux personnes les plus vulnérables de la société. Il était donc impossible de déterminer si c’était bien ou non. Peut-être est-ce injuste, mais depuis, j’en ai toujours voulu aux amateurs de bière. Si votre engagement politique se résume à « vouloir payer quelques centimes de moins pour une pinte », il se pourrait bien que vous soyez une personne odieuse.

Aperol Spritz

Aperol Spritz

Photo : Jamie Clifton

Nous sommes en 2019 chéri.

Whisky

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Photo: Jessy Smith

Un jour, j’ai essayé d’insulter un amateur de whisky en lui disant que son scotch préféré sentait la tourbière. J’ai été étonné quand, au lieu d’être vexé, il m’a répondu : « Eh bien, c’est normal ». Comment peut-on insulter une boisson quand même ses plus fervents défenseurs admettent qu’elle a un goût de boue ?

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Les amateurs irritants de whisky se présentent sous diverses formes, toutes masculines. (Attention, je n’ai aucun problème avec les femmes qui en boivent.) Il y a l’autoproclamé bad boy littéraire, qui cite Bukowski sans arrêt ; l’utilisateur américain de Reddit, qui appelle les gens « Monsieur » ; et le jeune écossais nationaliste grincheux, qui dit préférer les ceilidhs [des bals de danse traditionnels, ndlr] aux raves. Ce qui les relie tous, c’est ce désir de revenir à une forme de masculinité plus sophistiquée – et entièrement fabriquée.

C’est comme si tous les amateurs de whisky avaient regardé « Mad Men » et en avaient seulement retenu que Don Draper est un type plutôt sympa.

Vodka et Soda

Vodka and Soda

Photo : VICE

L’année dernière, l’application Fiverr s’est attiré des critiques à cause d’une horrible pub qui disait : « Tu manges un café au déjeuner. Tu passes d’une chose à l’autre. La privation de sommeil est ta drogue de prédilection. Tu es peut-être une personne d’action. » Cette liste aurait pu tout aussi bien inclure les lignes « Quand tu vas au bar, tu commandes une vodka et un soda ». Telle est l’autodiscipline quasi-monastique que la boisson incarne. Les calories et le goût en moins, c’est ce qui se rapproche le plus du concept de ne « pas boire », tout en buvant. J’ai à la fois de la crainte et du respect pour les gens qui boivent ça.

La bière artisanale

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Photo: JuniperPhoton

Je me souviens d’une période grisante de ma vie, quand j’habitais à Newcastle. C’était au début de l'année 2010, quand les bars ont commencé à servir de la Brooklyn Lager, qui rendait fou tout le monde. A l’époque, bosser dans une brasserie, dans une ville moyenne du Nord, c’était le paradis ! Presque dix ans plus tard, la révolution de la bière artisanale a échoué, comme c’est souvent le cas pour les révolutions. Les idéaux utopistes de ces brasseurs se sont noyés dans une mare de commercialisme « éthique-pour-punks » et de campagnes publicitaires transphobes. Et puis certaines marques de bières artisanales ont commencé à vendre des actions aux géants du secteur. Le rêve transgressif et contre-culture, c’est fini. Boire de la bière artisanale, ça passe, du moment que vous n’essayez pas de m’en parler.

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Tequila, citron vert et soda

Ma boisson préférée, qui est aussi, et c’est un pur hasard, la plus cool. Elle est savoureuse et délicieuse. Elle désaltère et est toujours ultra-rafraîchissante. C’est la boisson des légendes.

La blonde de masse

Lager Emily Bowler

Photo : Emily Bowler

C’est une boisson tellement commune qu’il est difficile de se moquer de quelqu’un qui en boit. J’ai remarqué une tendance dérangeante chez moi et chez mes amis, qui consiste à prétendre que boire de la blonde nous conférait comme un badge d’authenticité, signifiait une réjection de toute prétention, qui finit, en somme, par devenir une forme de snobisme.

Peut-être qu’en tant qu’homosexuel c’est aussi pour moi une tentative d’adhérer aux normes de la masculinité. Regarde, Gepetto, j’avale une Heineken ! Ou peut-être que le fait d’acheter de la bière bon marché sert à masquer la honte de ne pas pouvoir se permettre autre chose ? C’est si compliqué, tout ça. En quête de réponses, j’ai demandé à un des amis cités ci-dessus de se justifier. Voici sa réponse :

« Ce n’est pas que je n’aime pas la ‘bière artisanale’, bien au contraire. Hier soir, j’ai même volontairement commandé une pinte à sept euros de Gamma Ray, et chaque gorgée savoureuse était plus nourrissante que la précédente. Mais s’il existe une boisson meilleure encore qu’une Stella bien fraîche, je ne l’ai pas encore trouvée. Summum de la simplicité, une blonde continentale est à la fois belle – pensez à ce mélange de jaunes sombres et ces oranges-pisse, cette ligne d’écume lumineuse et blanche qui s’élève au-dessus des vagues ocres – et est une manière de dire que tu peux porter des tenues de travail hors-de-prix, parler bruyamment des nouvelles des nouveaux médias, et n’être qu’un type banal. Je trouve ça particulièrement réconfortant. »

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Gin tonic

Gin and Tonic

Vous devez sûrement posséder une serviette brodée des mots « Ne me parlez pas tout de suite – je n’ai pas encore bu mon premier gin ! » ou tout autre déclaration clichée de l’alcoolique de classe moyenne. Ou peut-être pas : ces derniers temps, j’ai vu moins de références au gin sur les applis de rencontre, ce qui sous-entend que le spiritueux - en tant que substitut de la personnalité – a déjà vécu son heure de gloire. Et pourtant, le gin tonic est devenu, avec la blonde, la boisson que tout le monde commande par défaut au bar, malgré son goût effroyable. Il est si omniprésent que je ne suis plus si sûr qu’il signifie encore quelque chose. Si c’est votre boisson préférée, je n’ai pas d’opinions sur vous. Je n’avais même pas réalisé. Je vous observe, et je vois un terrible vide.

Ah, et vous bossez sûrement dans le recrutement.

Le vin bio

Natural Wine

Du vin naturel non, mais du vin. Photo : Jamie Clifton

Le vin bio est à la mode en ce moment. Vous devriez pouvoir le prendre comme exemple pour vos blagues faciles sur les hipsters. Une fois, je suis allé à une foire du secteur, dans laquelle chaque producteur de vin était décrit comme « la rockstar du vin ». Apparemment, le seul critère, c’est d’avoir une queue de cheval.

Le vin bio est principalement produit par de petits viticulteurs indépendants, et bien que je ne serais pas surpris d’en voir dans les supermarchés d’ici peu, il n’est tout simplement pas possible de le produire dans les mêmes quantités que les boissons habituelles. Cela le rend attractif aux yeux de ceux qui veulent boire de manière éthique, tout en se distinguant des plus pauvres. Si vous me lisez, j’en déduis que vous êtes un architecte de 33 ans qui vit à Paris, s’habille de la tête aux pieds chez A.P.C et est abonné au magazine Wallpaper. Je vous hais tout autant que je rêve de vous épouser.

J’ai demandé à mon ex, qui est sommelier, de m’expliquer ce qui attire autant dans le vin bio. Au départ, il s’est montré réticent, craignant, non sans justification, que je le cite pour me moquer de lui, mais il a fini par me dire : « J’aime le vin naturel parce qu’il est bien meilleur que le vin de supermarché. »

Conclusion

L’autre jour, j’ai vu un mec porter un t-shirt très sympa, qui arborait les mots : « Les bons boivent de la bonne bière. » Ce dicton dit vrai, certes, mais de mauvaises personnes boivent aussi de la bonne bière, et vice-versa. Alors, peut-être que le niveau de consommation d’alcool d’une personne n’est pas forcément le meilleur moyen de mesurer la valeur de celle-ci. En d’autres termes, votre boisson préférée ne dévoile que ce que vous souhaitez qu’elle dévoile, surtout si vous cherchez à faire une quelconque déclaration, et c’est ça, et pas le fait de boire du gin ou de la vraie bière, c’est ça qui vous rend énervant.