On peut trouver de la drogue au Jardin des plantes
Pavot de Californie. Photos : Loyd Lye pour VICE FR

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botanique

À la recherche des fleurs psychotropes au Jardin des plantes

Pour nous guider, on a fait appel à Vincent Verroust, le fondateur de la Société psychédélique française, qui milite pour que plus de chercheurs s'intéressent aux substances psychoactives.

Voilà une anecdote que Vincent Verroust aime bien raconter, mais qui le fait de moins en moins sourire : « Dernièrement, je me baladais dans le jardin, et je suis tombé sur un jeune homme à quatre pattes sous les plantes. Je lui ai dit “Vous, vous n’êtes pas jardinier!” Il a eu peur, il s’est mis à m’expliquer qu'il était étudiant en philo, et qu’il se préparait ses hallucinogènes gratos en récoltant dans les jardins parisiens. Puis, un vieux monsieur s’est avancé vers nous et nous a expliqué avec un accent américain qu’il était lui aussi en pleine récolte de l’autre côté du jardin. »

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Même s’il aime toujours rencontrer des apprentis botanistes, le fondateur de la Société psychédélique française commence à s'inquiéter des vols à répétition qui ont lieu au Jardin des plantes de Paris. Ce jardin public dépend du Muséum d’histoire naturelle de Paris, où le trentenaire exhume, pour sa thèse, les archives de Roger Heim, premier Français à avoir travaillé sur les champignons hallucinogènes, au début des années 1950. Ce thésard, qui arbore un t-shirt bariolé très seventies, regrette notamment de ne pouvoir nous montrer la mandragore. Cette plante hallucinogène utilisée par les sorciers européens du Moyen-Âge, se ferait régulièrement voler.

« Les plantes sont de véritables usines chimiques, commence par nous expliquer Vincent Verroust. Elles fabriquent tout un tas de substances. Certaines sont intéressantes pour la médecine, d’autres sont toxiques et quelques-unes nous font des trucs dans le cerveau. C’est ce qui vous intéresse je crois ? Allez, on commence par la plus belle. »

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Le datura.

La visite psycho-botanique du jardin débute avec le datura, une plante européenne, un brin fatiguée en ce début du mois d’octobre. Mais ses effets, eux, restent vigoureux : « Le datura est un puissant hallucinogène cholinergique. Dans le cerveau, il ne se fixe pas sur les mêmes récepteurs que les champignons à psilocybine ou le LSD. Il n’est pas psychédélique mais délirogène. »

Mentionné dans le Kamasutra écrit au VIe siècle, ensuite utilisé par les sorciers en Europe, le datura fait encore un « carnage » en Guinée et au Liberia, où des « adolescents en ingèrent pour des rites initiatiques improvisés qui finissent souvent mal, car ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en pleine hallucination. C’est très dangereux. On peut même en mourir. Don’t do this at home kids », avertit Verroust.

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La belladone.

Quelques mètres plus loin, on retrouve la cousine du datura, la belladone. Les effets sont aussi impressionnants et dévastateurs : « J’ai lu le témoignage d’un prêtre aux États-Unis qui avait mangé des baies de Belladone, sans connaître ses caractéristiques. Il a été retrouvé errant nu dans les bois en pleine hallu. »

Le datura et la belladone, que l’on retrouve à l’état sauvage derrière la grande mosquée de Paris, sont « depuis toujours présents dans les jardins botaniques, car ils ont aussi des vertus médicinales », souligne Vincent Verroust. « En fait, c’est la dose qui fait le poison, comme disait Paracelse [médecin et philosophe suisse, NDLR]. »

Ces plantes étaient utilisées avec une grande maîtrise par certains peuples pour entrer en transe lors de rituels. Chacun avait sa favorite. « Nous voici devant le brugmansia, avec sa fleur en forme de trompette comme le datura. Mon pote anthropologue, David-Henri Jabin du Bas-Gagny est passé chez les Yuracare en Bolivie. Ils appellent cette plante, "floripondio" et lui ont dit texto que c’était la "numero uno para volar". Bon, je rappelle quand même que c’est dangereux. Il y en a plein les ronds-points en France, mais je conseille à votre lectorat de ne pas en prendre. » Message transmis.

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Le brugmansia.

Finalement au jardin botanique, les plantes les plus psychoactives ne sont pas celles aux belles couleurs psychédéliques. Dans l’allée 6 sud, personne ne s’attarde sur le phalaris. Cette « herbe folle » contient pourtant de la DMT, un psychotrope très puissant et hallucinogène. « Des Tchèques ont même inventé des analogues de l’ayahuasca à partir de phalaris », explique Vincent Verroust avant de tempérer quelconques ardeurs : « Il faut faire très attention car le phalaris contient de la gramine, une substance toxique. Il faut donc extraire la DMT. » Autrement dit, être un fin biologiste.

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« Il n’y a pas de véritable ayahuasca ici, mais peut-être plus intéressant »

« Il n’y a pas de véritable ayahuasca ici, mais peut être plus intéressant », poursuit-il en montrant le chemin à suivre. Plus puissant que l’ayahuasca au Jardin des plantes ? Le fondateur de la Société psychédélique s’arrête devant ce qui ressemble à des grands roseaux. « Nous voici devant la canne de Provence, une plante très banale dans le sud de la France, dont les racines contiendraient de la DMT. » Charmé par cette plante que l’on « retrouve partout dans le sud de la France », Vincent Verroust explique qu’elle est « une excellente candidate pour être le soma », un breuvage rituel hallucinogène utilisé dans l’hindouisme antique pour atteindre l’immortalité. Cocorico !

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La canne de Provence.

Une autre plante bien plus connue pourrait aussi être à l’origine de cette boisson mystique. Elle se trouve dans un large espace dédié aux observations des étudiants de l’université de Jussieu et du Muséum.

En passant devant une allée discrète, c’est son parfum familier qui attire l’attention. « Ça sent bon là Vincent ! ». « Ah bah ça s’explique », s’exclame malicieusement notre guide qui avance le long de l’allée, où une bonne demi-douzaine de plans de beuh profitent du plein air au cœur de Paris. Ou plutôt, ce qu’il en reste. Les plantes mâles sont déjà mortes, mais les femelles ont surtout été décapitées avec minutie. « Je ne suis même pas sûr que ce soit une variété psychoactive. Je ne crois pas reconnaître la super silver haze ou la white rhino », plaisante-t-il, avant de houspiller « Faudrait demander à ceux qui sont venus se couper des gros buds ! »

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Le cannabis.

Pas le temps de s’attarder sur les effets et l'histoire plutôt bien connus du chanvre, Vincent Verroust veut nous montrer « la drogue la plus stupide du monde », le tabac. En effet, selon lui, « certaines substances moins dangereuses, mais aussi moins addictives, sont interdites. »

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Le tabac commun.

En matière de psychotropes, tout est affaire d’acceptation sociale. Sous la serre tropicale du jardin, étouffante de moiteur et de senteurs exotiques, Vincent Verroust s’arrête devant le café, un psychotrope valorisé dans nos sociétés. « On l’utilise pour se réveiller, pour se concentrer, il y a même un syndrome de manque ! C’est donc à la fois une plante psychotrope et addictive, mais tellement intégrée dans notre culture qu'on n'imagine pas la comparer à d'autres substances psychoactives qu’on nous a appris à considérer comme dangereuses. »

« Pour finir en beauté, allons voir la grenouille hallucinogène »

Dans un autre recoin de la serre, dédiée aux cactus, c’est l’étuve. Mais le nom de la prochaine espèce donne encore plus chaud : « La torche bolivienne », le plus grand cactus à mescaline. Une substance qui agit sur notre cerveau comme le LSD ou les champis. Jean-Paul Sartre en personne, après avoir reçu une injection de Mescaline dans un hôpital, racontait être poursuivi à longueur de journée par des crabes géants. « Mais c’est oublier qu’il consommait également des amphétamines, du tabac et de l’alcool en grosse quantité, » rappelle notre guide.

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Le cactus à mescaline.

Après dix minutes d’anecdotes et de sueur, il est temps de prendre l’air. « Pour finir en beauté, allons voir la grenouille psychotrope », lance d’un pas pressé Vincent Verroust.

Dans la ménagerie du jardin, entre deux serpents, un petit batracien vert se cache dans son vivarium. Phyllomedusa bicolor est plus connu sous le nom de kambo par les adeptes de défonce et d’automutilation. Pour imiter le rituel, inventé par les indigènes d’Amazonie, il faut en effet se brûler la peau, « puis récolter le mucus de la grenouille, et l'appliquer sur les brûlures fraîches, » explique Vincent Verroust. Les effets sont immédiats : nausées, hyperacuité et hallucinations. « C’est très à la mode en ce moment. Les mecs ont l’impression de se purger et que cela fait du bien à leur corps. Il y a certainement des recherches à mener sur le potentiel médicinal de la substance, mais l'amie d'une amie en est mort », relate le scientifique. « Alors laissez les grenouilles tranquilles ! Surtout que cela va à l’encontre du respect du vivant souvent prônée dans les milieux psychédéliques. » Et cela vaut aussi pour les plantes du jardin botanique.

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Le kambo.

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