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Les conspirationnistes ont juste envie de se sentir uniques

Les amateurs de théories du complot préfèrent les hypothèses les moins populaires, ce qui indique qu'ils cherchent avant tout « l'exclusivité ».
Image : Shutterstock

Internet déborde de suggestions extravagantes. Des évènements vraisemblablement fortuits deviennent des conspirations. Quelques puissants fomentent des complots à des fins obscures, souvent pour satisfaire des manipulateurs de l’ombre. Comme l’a remarqué Karl Popper dans Conjectures et réfutations (1963), certains individus aiment lier les choses qui ne leur plaisent pas aux intentions de quelques individus d’influence. Les théories du complot ne datent pas d’hier, Internet a juste accéléré leur propagation — et la circulation de l'information en général. Mais qui sont les gens qui croient en ces conspirations, et qu'ont-ils commun ?

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Bien entendu, toutes les théories du complot ne sont pas équivalentes en plausibilité. Dans ce sondage réalisé aux États-Unis en 2013, un sondé sur deux se déclare convaincu que l’assassinat du président John F. Kennedy est le résultat d’un complot. Pire (mieux ?), 4% adhèrent à la thèse selon laquelle des « personnes d’apparence reptilienne contrôlent le monde en prenant forme humaine pour s’accaparer le pouvoir. » (Extrapolé à la population américaine, cela représente tout de même 12 millions de personnes.) Malgré ces différences, les conspirationnistes ont tous un point commun ; c'est l'un des constats les plus solides de la recherche sur les théories du complot.

Les personnes qui croient aux reptiliens sont plus à même de douter que Lee Harvey Oswald a agi seul. Quant à ceux qui pensent qu’Oussama ben Laden était déjà mort lorsque les forces spéciales de la marine américaine l'ont « neutralisé », ils sont plus susceptibles de croire que ben Laden est encore en vie. De nombreux chercheurs en ont conclu que l’acceptation de théories du complot spécifiques n’était pas forcément dépendante des théories du complot elles-mêmes, mais plutôt une manifestation d’une certaine vision plus générale du monde. L’« idéation conspirationniste », le « système de pensée monologique » ou la « mentalité conspirationniste » peuvent être considérées comme des systèmes dans lesquelles le monde est dirigé par des forces obscures. Le complot lui-même (11 septembre, l'alunissage ou AZF) importe finalement peu.

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Beaucoup accusent les conspirationnistes de ressentir un profond manque de contrôle sur leur vie, qu'ils l'imputent au hasard ou à des machinations extérieures. Dans cette étude, les participants auxquels il a été demandé de penser à des phénomènes sur lesquels ils n'ont aucune emprise (comme la météo) se sont montrés davantage enclins à accepter une théorie du complot que ceux qui avaient été chargés de penser à des éléments qu'ils contrôlent (les vêtements qu’ils portent ou leur choix de nourriture, par exemple,). Dans la même optique, les sondés soumis à des conditions de travail dont le niveau de contrôle était réduit (les chômeurs de longue durée, les travailleurs intérimaires) se sont montrés plus enclins à croire aux théories du complot que ceux qui jouissaient d'une situation professionnelle plus stable (un contrat de travail fixe, par exemple). L'idée de cette expérience est de montrer que le manque de contrôle augmente le besoin de ressentir une illusion de contrôle « compensatoire » — qui, vous l’aurez deviné, peut se trouver dans les théories du complot. Voir des tendances qui n'existent pas laisse une chance de prendre le contrôle, contrairement à l’attribution, par exemple, d’une catastrophe naturelle aux dynamiques incontrôlables de la météo.

Bien que cela explique certaines choses, ce n’est certainement pas toute la vérité. La théorie compensatoire présente les conspirationnistes comme de pauvres victimes dénuées de tout contrôle, s’accrochant au complot comme s'il s'agissait de leur dernier rempart contre notre monde chaotique. Cette image presque stéréotypée est contredite par le comportement hautain des théoriciens du complot, qui vantent leur perception supérieure et dénigrent les non-croyants (les conspirationnistes allemands appellent la population « mal informée » Schlafschaf, littéralement « mouton endormi »). Cette observation suggère que l'adoption d'une croyance n’est pas toujours une compensation d’un manque de contrôle : ce comportement peut être fondamental en soi. On peut se mettre à croire au complot pour se démarquer des masses ignorantes, pour se vanter d’avoir des connaissances exclusives. Adhérer à ces théories n’est pas toujours le résultat d'un manque de contrôle perceptible, mais d'un besoin profond d’unicité. Mon équipe et moi-même avons mis cette hypothèse à l'épreuve à l'aide d'une série d’études empiriques.

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Dans notre première étude, l'intensité du besoin de sentiment d'unicité exprimé par les participants était lié, dans une certaine mesure, à leur acceptation de certaines théories du complot. De plus, les personnes généralement prédisposées à accepter une théorie du complot étaient plus susceptibles de croire en des théories validées par un petit nombre d'individus. Autrement dit, les individus dotés d'une mentalité conspirationniste étaient plus enclins à croire des théories moins populaires, ce qui suggère qu’ils aspiraient à l’« exclusivité » de leur croyance.

La conviction des complots peut servir à se démarquer des masses ignorantes—une façon de se vanter d’avoir des connaissances uniques.

Bien sûr, la corrélation n’implique pas la causalité (même si elles se manifestent souvent ensemble). Le fait que les personnes ressentant un fort besoin de sentir unique aient tendance à soutenir les théories du complot pourrait signifier que ce besoin les pousse à accepter des théories extrêmes afin de se distancer de la masse naïve. Ou tout simplement que croire à ces théories augmente le besoin de se sentir « spécial » et différent, comme une façon de se différencier des autres. Peut-être même qu'il n’existe aucun lien, que les gens qui se fichent de l’opinion des autres ont tout simplement tendance à vouloir se différencier d'eux et mettre en doute leur parole. En psychologie, le test décisif pour un effet de causalité supposé est l'expérience.

Nous avons donc inventé une théorie du complot de toutes pièces. Nous avons demandé à des participants américains de lire un débat complètement fictif ayant prétendument eu lieu en Allemagne. L’installation de détecteurs de fumée est obligatoire selon la législation allemande sur le logement. C'est la partie authentique de l'histoire. Et voici sa partie imaginaire : un ingénieur à la retraite a trouvé la preuve que ces détecteurs de fumée avaient des effets secondaires nocifs, et qu'ils émettaient un « hyperson » provoquant des nausées, des gastrites et des états dépressifs. Le principal (et fictif) fabricant de ces détecteurs de fumée, VdS Schadenverhütung GmbH, a rejeté ces accusations avec véhémence. La conspiration : VdS était de mèche avec le gouvernement et connaissait la dangerosité de ses appareils, mais n’a pas agi en conséquence. Ensuite, nous avons expliqué que cette conspiration était acceptée soit par une majorité (81%), soit par une minorité (19%) d’Allemands. Notre hypothèse était la suivante : les personnes avec une mentalité conspirationniste plus prononcée (déjà en corrélation avec le besoin d’unicité) ont plus de chances de croire à cette conspiration en découvrant qu’une minorité de personnes y adhère. Et c’est précisément ce qu’a révélé notre étude. Le nouveau complot semblait plus attirant s'il était soutenu par une minorité. Et c’est ainsi que les conspirationnistes se distinguent du reste de la population.

Ces conclusions apportent une compréhension plus nuancée de l’attrait des théories du complot. Bien que les résultats de notre expérience du détecteur de fumée soient limités, ils sont cohérents. En effet, une équipe indépendante française a testé la même hypothèse (sans que nos équipes ne le sachent) et ont obtenu un résultat très similaire. Voir des complots machiavéliques derrière chaque évènement n’est pas uniquement une tentative de donner un sens au monde. Un besoin de gratification personnelle entre également dans l'équation : vous avez l’impression de détenir des informations exclusives, et donc d’être différent des autres.