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Crime

En première ligne contre l’État islamique avec une milice chiite irakienne

VICE News a rencontré les guerriers de la brigade Kata'ib Sayyid al-Shuhada (KSS), qui résistent contre l’EI depuis le début du conflit. Ils ont joué un rôle important dans la reprise du contrôle des banlieues nord de Bagdad et la ville de Samarra.
Image via Reuters

Il y a six mois, les forces de l'organisation État islamique (EI) pénétraient dans le nord de l'Irak, prenant d'assaut Mossoul, la deuxième plus grande ville du pays, et repoussant quatre unités de l'armée irakienne, avant de s'arrêter aux portes de Bagdad. Quelques jours plus tard, après le massacre de Chiites et d'autres minorités, l'Ayatollah Ali al-Sistani — une importante personnalité chiite — a émis une fatwa, exhortant tous les "hommes valides" à rejoindre les Forces de Sécurité Irakiennes (FSI) dans le combat contre l'EI. Des dizaines de milliers de personnes ont répondu à cet appel aux armes, et ont rejoint les rangs des milices chiites irakiennes. Certains se sont dirigés vers le Nord pour défendre Bagdad, quand d'autres ont rejoint le Sud, pour protéger les sanctuaires chiites de Najaf et de Kerbala.

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Avec une armée irakienne démoralisée par la défaite de ses soldats à Mossoul et occupée à préparer une éventuelle contre-offensive, le gouvernement est obligé de s'en remettre aux combattants volontaires pour lutter contre l'EI. Forts de cette nouvelle responsabilité, les groupes paramilitaires ont gagné en puissance et en autorité. À la suite d'élections récentes, Mohammed al-Ghoban, du groupe parlementaire Badr — lié à la puissante milice du même nom — a été désigné ministre de l'Intérieur.

Au cours des quatre derniers mois, ces milices ont réalisé de nombreuses avancées sur le terrain et ont repoussé les militants de l'EI hors des banlieues de Bagdad, vers le nord. Malgré les succès militaires de ces milices, les allégations de violations des droits de l'homme et leur collaboration avec l'Iran ont inquiété les gouvernements occidentaux.

Faleeh Khazaali, un commandant de la KSS et élu du parlement irakien, il a perdu un oeil au combat face à Jabhat al Nusra en Syrie.  Images via Henry Langston.

Nous avons rencontré les guerriers de la brigade Kata'ib Sayyid al-Shuhada (KSS), qui résistent contre l'EI depuis le début du conflit. Ils ont joué un rôle important dans la reprise du contrôle des banlieues nord de Bagdad et la ville de Samarra, à 80 km au nord.

Comme beaucoup de ses camarades combattants, Faleeh Khazaali — commandant du KSS et député irakien de Basra — avait déjà mené le combat contre les djihadistes en Syrie, pour protéger les lieux sacrés chiites. Après avoir perdu un oeil lors d'une fusillade contre Jabhat al Nusra, il a été forcé de rentrer en Irak. Nous avons rejoint son convoi en route pour le nord pour visiter ses unités sur la ligne de front près de Samarra. En chemin, nous avons fait une escale dans la périphérie de Bagdad, aussi appelée la « ceinture » de Bagdad, pour revisiter les lieux des premières batailles contre l'EI.

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Au départ, la brigade avait pour mission de sécuriser un certain nombre de ponts le long du fleuve Tigre. Leur mission, selon Khazaali, était « de protéger les citoyens de Bagdad, qui, sans nous, auraient été massacrés, pour les hommes, et asservies, pour les femmes. »

« La Shuhada a payé de son sang pour y arriver, » a-t-il ajouté.

La KSS voyage dans un véhicule blindé sur une route menacée par les mortiers tirés par l'EI.

Si les milices ont repris contrôle de la zone il y a quelques mois, les militants de l'EI continuent de bombarder la route vers le nord, à l'aide de mortiers. En pleine visite d'anciennes positions défensives au bord du Tigre, les explosions et le bruit lointain de tirs ne cessaient de ponctuer nos phrases.

Alors que nous nous dirigions vers le nord, nous avons été forcés de changer de véhicule — de quitter notre SUV non-blindé pour prendre place dans un AMRAP, un gros blindé produit par l'armée américaine, conçu pour résister aux IEDs et au feu ennemi. On roulait vers le nord, les combattants du KSS avaient sorti leurs armes à travers les hublots du véhicule et guettaient la moindre menace sur le bord de la route. Les répercussions des attaques de convoi sont lourdes explique Khazaali, « Ces attaques permanentes ont nui à Samarra et d'autres villes plus au nord. Elles rendent très difficile l'acheminement de pétrole, de nourriture et de matériel médical. »

Une fois notre convoi arrivé à la lisière de Samarra, on a sauté du blindé pour jeter un oeil au barrage de la ville — que l'EI aurait essayé de détruire, selon Khazaali. Mais après avoir échoué les djihadistes auraient balancé du pétrole dans l'eau.

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Nombre d'observateurs de la situation irakienne sont inquiets par rapport à l'aide fournie par l'Iran aux forces volontaires chiites. Une des questions est de savoir si cette assistance iranienne est soumise à des conditions — notamment une fois que la menace de l'EI sera réglée. Pour Khazaali, il n'y a pas de quoi s'inquiéter. « L'Iran est toujours le bienvenu pour nous aider. Ce que vous devez comprendre est que l'EI ne menace pas seulement l'Irak, ils mettent en péril tous nos voisins dont l'Iran. Le soutien de l'Iran est sans condition. »

Le convoi reprend la route avant de s'arrêter au quartier-général du KSS : une série de maisons à côté du barrage, dans lesquelles étaient logés les ingénieurs du barrage, avant que le KSS ne les « réquisitionne ». À l 'intérieur de l'une des maisons, on rencontre un autre combattant du KSS, Sheikh Ehmad, un cheikh tribal de la ville du sud de Nusariyeh. Il porte un sweat à capuche frappé du sigle de l' « Operation Iraqi Freedom ». Il parle anglais, mais aussi espagnol, chinois, et bizarrement un peu de Cherokee.

Des membres des forces volontaires tirent en direction des positions de l'EI à 3 ou 5 kilomètres.

Un des murs du salon est couvert d'une énorme carte de la zone qui entoure la ville, sur laquelle on peut voir les positions occupées par le KSS et l'EI. « Nos forces tiennent les positions à l'est du Tigre, dans un demi-cercle autour de Samarra. L'EI attaque nos positions tous les jours avec des mortiers et des tirs de fusils d'assaut, » explique Ehmad.

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« On a trois lignes de défense. La première, ce sont nos soldats avec des petites armes — des AK47, des mitrailleuses kalachnikovs, des lance-roquettes, etc. Le deuxième rideau est composé de machines de plus gros calibre comme des DShK (mitrailleuse lourde), puis en troisième ligne, on retrouve nos mortiers pour frapper les positions de l'EI. »

Le KSS n'est pas la seule milice à opérer dans la région. Ils mènent souvent des attaques communes avec d'autres brigades de volontaires chiites comme les Brigades de Badr ou Kataeb Hezbollah — à ne pas confondre avec le Hezbollah libanais. « Ce matin, on a apporté notre aide au [Kataeb] Hezbollah dans une opération pour défendre l'autoroute qui relie Tikrit. On a tué 10 types de l'EI. Ils essayent toujours de couper les routes, mais on les en a empêchés. »

Samarra est le foyer d'un des tombeaux les plus importants pour l'islam chiite — celui de Hasan Al Askari, le onzième imam chiite : une cible de choix pour l'EI. La population de la ville est majoritairement sunnite, et a protégé le sanctuaire pendant des siècles. J'ai demandé à Ehmad si la présence du KSS dans la région posait des problèmes avec les populations sunnites. Pour lui, il n'y a aucun problème, « On les respecte parce qu'ils ont protégé notre sanctuaire ici pendant des siècles et maintenant c'est à notre tour de les protéger. Parfois, certains nous donnent même des informations pour nous aider à combattre l'EI. »

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Après nous avoir montré le terrain, Ehmad nous a proposé de l'accompagner pour aller voir les avant-postes autour du village de Sochnas, quelques kilomètres un peu plus au nord de Samarra. En sortant de la ville, on voyait clairement à travers le carreau de la voiture les cicatrices du conflit — des voitures calcinées et des maisons en ruines qui jonchent les abords de la route.

Les combattants du KSS envoient des mortiers sur les positions de l'EI situées à moins de 3 kilomètres.

Notre première escale : une position depuis laquelle les hommes du KSS lançaient des tirs de mortiers vers le nord. À notre arrivée, un groupe de combattants s'apprêtait à balancer des mortiers sur l'EI, stationné à quelles encablures. Ehmad s'est rapidement impliqué, donnant un coup de main pour le réglage de la distance des lanceurs de mortiers. Une fois l'appareil bien orienté, Ehmad a glissé un mortier dans le tube. Alors que tout le monde s'attendait à un « bang » qui vous fait disjoncter les oreilles, pas un bruit, juste un silence inquiétant. Le visage des combattants passe en quelques secondes de la joie, à la confusion puis à l'inquiétude sérieuse. « Vous voyez, » enchaîne Ehmad, « C'est un problème qu'on a, les armes que l'on reçoit du gouvernement sont vieilles et ne marchent pas. Si on veut repousser l'EI, on va avoir besoin d'armes plus lourdes et d'armement antichar. »

Après avoir abandonné ce tube de mortier, les combattants du KSS en sortent un autre. Un petit baiser sur le mortier pour lui souhaiter bonne chance, on le lâche dans le tube et, boum, ça part. Un autre en direction de l'EI est envoyé dans la foulée.

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Satisfait des bombardements du début de soirée, Ehmad nous amène sur des positions défensives à quelques centaines de mètres à l'est du point de lancement des mortiers — qui sert de tampon de protection pour les autres positions. Au sommet de la colline, les combattants du KSS ont disposé des mannequins en tenue militaire, « pour attirer les tirs des snipers, » explique Ehmad dans un sourire. Il nous montre les villages tenus par l'EI en les pointant avec son doigt au loin, puis nous fait passer un GPS sur lequel il a renseigné les coordonnées des villages tenus par les djihadistes. « On a envoyé les emplacements aux forces aériennes irakiennes il y a plusieurs semaines, mais ils ne nous aident pas, » explique un Ehmad sérieusement contrarié — avant de demander à ses hommes de pilonner le village tenu par l'EI le plus proche.

Un combattant du KSS près d'une position de l'EI.

Avec la nuit qui commence à tomber, on nous explique que c'est trop dangereux de retourner à Bagdad par l'autoroute. On va donc passer la nuit au quartier général du KSS, pour repartir vers la capitale avec Khazaali et d'autres commandants, l'après-midi suivante.

Samarra est une petite ville, mais son importance stratégique est considérable. Si l'EI parvenait à la prendre et menacer le tombeau d'Askari, cela pourrait déclencher un conflit communautaire — ce qui aggraverait encore la situation du bourbier irakien.

Après avoir passé ces quelques jours avec le KSS, il est clair que sans eux, la tâche de l'EI serait considérablement simplifiée pour ce qui est de la prise de Samarra. Les véhicules et les combattants du KSS sont omniprésents, alors que la présence de l'armée irakienne est limitée. Néanmoins, la menace qui pèse sur leur ligne de ravitaillement venant du sud, l'inexistence de leur couverture aérienne et leur incapacité à obtenir des armes lourdes compliquent sérieusement leur mission. Il est difficile de dire s'ils seront capables de repousser l'EI de la zone dans un futur proche.

Après avoir écouté les frustrations de Ehmad quant au manque de soutien des forces aériennes irakiennes, je lui ai demandé s'il accepterait l'aide de l'armée de l'air américaine. « Bien entendu. Je suis prêt à accepter l'aide des Américains, nous sommes tous du même côté pour combattre l'EI. Notre pays a besoin d'aide. Beaucoup d'Irakiens sont morts. »

Suivez Henry Langston sur Twitter : @Henry_Langston