FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Je suis persuadée de tuer des gens à distance

Un Trouble Obsessionnel Compulsif, ce n'est pas juste vérifier cinq fois de suite que l'on n'a pas laissé le gaz allumé.

Je me rappelle très bien de la nuit où tout a commencé. Allongée sur le dos, les yeux rivés sur le plafond, je dérivais d'un fuseau horaire à l'autre. J'avais 17 ans, et j'étais follement amoureuse d'un type de deux ans mon aîné. Pendant que je me tournais les pouces à Melbourne, il enchaînait les Bintangs et les clopes quelque part au sud d'Ubud, en Indonésie. Dans ma tête, une voix étrangement similaire à la mienne répétait : "Je hais James. Je le hais tellement." À chaque fois que j'essayais de l'interrompre ou de penser à autre chose, elle revenait, plus insistante. J'avais l'impression de subir une punition, comme si quelque chose clochait dans mon cerveau. Plus la petite voix se faisait pressante, plus l'événement tragique qui allait frapper James était proche. Pourquoi ? J'avais dit que je le haïssais. Je l'avais marmonné plusieurs fois, même si je n'en pensais pas un mot. Alors, chaque semaine, je faisais le deuil de sa pseudo-mort, que j'avais causée à distance par mes terribles paroles.

Publicité

Évidemment, James s'est toujours très bien porté.

Le trouble obsessionnel compulsif de type "Pure-O" (pour "état purement obsessionnel") ne vous donne pas envie de vous laver les mains vingt fois par jour ou de ré-organiser votre bureau en suivant un code couleur. Il est caractérisé par des obsessions qui se manifestent uniquement dans votre esprit et instillent une angoisse profonde. Heureusement, il est possible de développer une gamme de comportements spécifiques censés calmer le TOC, ou le faire oublier. Ainsi, en ce moment, je gère six bacs à linge sale différents - quand je ne suis pas en train de lutter contre des pensées intrusives concernant la mort de mes proches.

Mon copain n'a toujours pas répondu au message que je lui ai envoyé il y a 45 minutes. Il n'a pas été connecté depuis une heure. Sachant que 25 minutes de voiture le séparent de son travail, il a de toute évidence été victime d'un accident. Une visite sur le site d'InfoTrafic m'apprend qu'il n'y a pas eu de problème sur son itinéraire habituel… Reste qu'il a très bien pu prendre une autre route.

Voilà, c'est ma punition. J'étais certaine que ça allait arriver. La semaine dernière, j'ai bougé la tête en écoutant la musique d'une personne avec laquelle j'ai couché par le passé. Je n'aurais pas dû faire ça. C'est évident. Si je n'avais pas fait ça, James n'aurait pas été pris dans cet accident. Ça fait maintenant 65 minutes qu'il est hors-ligne. Autour de moi, tout n'est plus que douleur.

Publicité

Répéter "Bloody Mary" trois fois face à un miroir, pour l'éternité : c'est plus ou moins à ça que ressemble mon TOC. Je suis intimement persuadée que chaque erreur de jugement, chaque mot de travers - chaque plaisir coupable auquel je me laisse aller - entraînera un châtiment bien mérité qui se soldera par la mort de l'un de mes proches. J'en suis venue à éviter certains endroits, certains objets, certains morceaux de musique et certaines personnes, par peur de déclencher une catastrophe. Quand je ressens le besoin compulsif d'être rassurée, je contacte un ou deux potes. Ils me rappellent inlassablement que non, une mort atroce ne se cache pas derrière chaque message laissé sans réponse, et que l'éclat de rire que j'ai laissé échapper dans une situation tout à fait inappropriée il y a six ans ne risque pas de condamner quelqu'un que j'aime.

J'ai choisi de ne jamais coucher par écrit certaines pensées, particulièrement malsaines et déplaisantes (dans cet article par exemple), de peur qu'elles se transforment en prémonitions. Plusieurs membres de ma famille sont morts, et à chaque fois, je me suis persuadée que c'était de ma faute. Le téléphone de mon père était éteint le jour où il devait embarquer dans un avion en partance pour le Sri Lanka. J'ai appelé son bureau. J'ai appelé ma mère. De frustration, je m'en suis prise à l'un de ses collègues : qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Que faisait papa ? Pourquoi était-il injoignable ? J'ai tenté de le contacter par mail. Trois fois.

Publicité

J'étais presque sûre de savoir ce qui s'était passé. Mon père consomme trop de sel. Comme pris dans un brouillard de sodium, les souvenirs ont défilé devant mes yeux : je l'ai vu engloutir successivement sa soupe au potiron, son faux-filet, son omelette et son bacon. J'avais déjà commencé à faire le deuil de mon cher papa, convaincue que son coeur avait fini par lâcher.

Le Pure-O, c'est faire quasiment chaque jour le deuil de quelqu'un qui se porte bien. C'est épuisant, déroutant, et surtout chronophage. C'est vivre frénétiquement, aux prises avec le sentiment que son monde est sur le point d'exploser à chaque instant.

Pourtant, vivre avec un trouble obsessionnel compulsif n'empêche pas de mener une réflexion rationnelle par ailleurs. Tout au fond de ma psyché, une autre voix, profonde et raisonnable celle-ci, se moque ouvertement de mes suspicions de mort imminente et m'assure que tout va bien. Malheureusement, en m'aidant à relativiser mon problème, elle me dissuade aussi de chercher de l'aide. Quand j'y pense, toutes ces pensées et compulsions bizarres me font honte. Parce qu'elles sont éclatantes d'absurdité, je n'ai pas envie de solliciter mes proches quotidiennement afin qu'ils m'assurent une énième fois qu'ils sont bien vivants. C'est humiliant.

Depuis que je me suis confiée à une amie (qui était en retard pour dîner à cause des aléas de la vie, pas à cause d'un monstrueux carambolage comme le suggérait mon TOC), parler de mon problème m'a semblé beaucoup plus facile. Après ça, quand elle ne répondait pas immédiatement à un message, je pouvais lui dire sans gêne que j'étais sous l'emprise de mon TOC, que je voulais juste savoir si elle allait bien. En d'autres termes, j'étais sortie du cercle vicieux de la honte et de l'angoisse. Aujourd'hui, parce que j'ai réussi à confronter une psychiatre, à lui montrer les listes louches qui s'accumulent sur mon téléphone, à lui raconter toutes ces années de deuil absurde, je vais mieux. Je peux profiter des outils qui ont été conçus pour m'aider.

Publicité

Longtemps on m'a diagnostiquée comme une grande angoissée et dans l'absolu, c'est vrai. Mais cette angoisse infinie est avant tout la conséquence de mon TOC. Traiter l'anxiété, c'est attaquer les symptômes et non ses causes. Mettre le trouble en échec demande un travail difficile et une aide adaptée. Bientôt une psychologue spécialiste du Pure-O me recevra chaque semaine. En attendant notre première séance, je me force à être honnête avec moi-même et avec les autres, je n'hésite plus à exprimer ma confusion.

Quand je me convaincs que mon copain va mourir parce que j'ai écouté un morceau à la radio, j'en parle à une personne de confiance. Si je me prends à rechercher encore et encore la preuve que je ne suis pas une personne diabolique qui veut la mort de son entourage, je demande à mes proches d'observer mon comportement. À présent, mon TOC repose sur d'autres épaules que les miennes, et je peux enfin tirer le meilleur de moi.

Le trouble mental est quelque-chose d'impressionnant, c'est vrai, mais c'est en grande partie parce qu'il condamne ceux qui en sont affectés à se murer dans le silence. Non seulement il est normal de demander de l'aide ou de parler de votre angoisse à tous ceux que vous imaginez être passés de vie à trépas par votre propre faute - mais c'est surtout essentiel.

Suivez Madison sur Instagram.

Cet article a initialement été publié sur VICE Australie.