Le passé punk oublié de Lucien Francoeur

FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Le passé punk oublié de Lucien Francoeur

Fin 70, le rockeur sanctifié a fricoté avec une gang de punks francophones qui ont été complètement oubliés depuis. Retour sur ce passé important et méconnu de l’artiste québécois.

En 1980, après avoir contribué à l’émergence du punk au Québec, Lucien Francoeur a été invité à monter sur scène en première partie d’un concert des Ramones. La gloire. Mais, pour une raison qu’il s’explique mal, cette période a été complètement occultée dans l’histoire. Personne n’en parle. « Je ne sais pas pourquoi. J’ai quand même été très actif, confie-t-il. C’est le Québec, c’est un drôle de pays. Il ne reconnaît pas ses explorateurs. J’ai fait des choses étincelantes au niveau du punk. »

Publicité

Dès 1974, le groupe Aut’Chose, mené par Lucien Francoeur, brassait déjà un rock underground issu de la contre-culture. Avec ses textes poétiques assumant la consommation de drogue et décrivant un mode de vie marginal, Francoeur croit fermement qu’il a contribué à ouvrir la porte au punk. Avec la chanson Les pays d’en haut de l’album Le cauchemar américain (1976), on s’en approchait en effet.

C’est à Vancouver que Lucien Francoeur a découvert l’héroïne, au début des années 70. Quand le punk est arrivé, vers le milieu des années 70, l’héroïne faisait partie du paysage. Il n’a jamais complètement arrêté d’en consommer. « J’étais vraiment impliqué dans le milieu. Je ne me suis jamais caché, je le faisais à ciel ouvert, dit-il bien ouvertement. À cette époque-là, l’héroïne, il n’y avait pas de glamour autour de ça comme il y en a eu pour la cocaïne. J’ai tout fait ça et je n’y ai pas laissé ma peau. On était avancés dans le trip, il y en a qui ont eu des fins tragiques. Il y avait une piaule délabrée où on allait sur la rue Saint-Jacques. On couchait dans des buildings abandonnés. »

Danger en 1977. Source : Archives de Paul Bellemare

En parallèle, le groupe Danger, actif à partir de 1974, a aussi pavé la voie du punk en français au Québec. Dans l’entourage immédiat du groupe, il y avait notamment Johnny Frisson des 222, mais aussi Lucien Francoeur. « Je me tenais avec Danger et tout le monde de la petite scène qu’il y avait à Montréal. Ce n’est pas négligeable ce qui se passait ici », remarque Francoeur. Ils ont donné dans le glam rock fortement inspiré des New York Dolls jusqu’à ce qu’ils lancent leur premier album, en 1977.

Publicité

À la fin des années 70, Francoeur part en France et découvre là-bas une scène en pleine éclosion. « Dans mon packsack, quand je revenais au Québec, je ramenais des 45 tours que je ramassais, qu’on me donnait. En France, la scène punk était effervescente, éclatée. The Saints et tous les groupes qui étaient hot à l’époque… Patti Smith, ça venait me solliciter, elle était très rimbaldienne. Tu ne vois pas Plume écouter The Saints, The Stranglers, The Sex Pistols là… Tu ne vois pas Beau Dommage aller là […] J’avais été le seul de ma génération à oser se mêler. C’est certain que ce n’est pas Michel Rivard qui pouvait jouer la carte punk », raconte le poète.

Cette influence se fait fortement sentir en 1978, sur le premier album solo de Lucien Francoeur. Plutôt que d’y déclamer ses textes comme il le faisait auparavant, il s’essaye au chant. Le résultat n’est pas concluant. L’album fait patate.

Alan Lord et The Marauders en spectacle à l’hôtel Nelson en 1979. Source : Archives d’Alan Lord

En 1980, Francoeur engage un artiste avant-gardiste pour réaliser son prochain album. Il s’agit d’Alan Lord, qui s’était fait connaître dans la scène punk montréalaise l’année précédente avec son groupe The Marauders. Un soir de 1979, c’est un nouveau groupe new wave local qui a fait leur première partie : Men Without Hats.

« Alan Lord me faisait écouter beaucoup de disques de punk rock. Il me faisait des cassettes avec 80, 90 tounes qui venaient d’Allemagne, des États-Unis, de France… de partout. Ç’a été un terrain de découverte sans arrêt », se souvient Lucien.

Publicité

Mis à part Lord, les membres des Marauders étaient Charles Foucrault (guitare) et Richard Lacoste (batterie). Ces deux-là avaient aussi leur propre groupe : Narcisse.

Narcisse : Charles Foucrault et Richard Lacoste. Source : Archives de Richard Lacoste

Formé en 1977, Narcisse est un des premiers groupes punk à chanter en français à Montréal. Ce qui n’était pas évident pour s’intégrer à la scène, affirme Foucrault.

Le groupe donne quelques spectacles en 1978, dont deux à la prison de Bordeaux pour les détenus. Charles Foucrault a accepté de numériser quelques pièces de l’unique démo de Narcisse, enregistré en 1978, pour cet article de VICE. Voici les premières chansons authentiquement punk et francophones de l’histoire du Québec.

Le retour de Johnny Frisson

En 1980, sur l’album Le retour de Johnny Frisson de Lucien Francoeur, on retrouve des compositions de Charles Foucrault et d’Alan Lord (aussi réalisateur). Le titre de l’album fait référence à la disparition du premier chanteur punk au Québec, Jean Brisson alias Johnny Frisson.

Les ventes de l’album sont décevantes, mais il s’agit peut-être du disque solo de Francoeur le plus intéressant. Directement de Paris est une excellente chanson composée par Foucrault et coécrite par ce dernier avec Francoeur, qui mériterait davantage sa place dans l’histoire du punk local.

Lucien Francoeur et Alan Lord en spectacle. Source : Archives d’Alan Lord

Francoeur et les Ramones

Malgré les abus, si ses souvenirs du début des années 80 semblent relativement flous, ceux d’un concert particulier sont franchement nets.

Publicité

À l’auditorium Le Plateau à Montréal, le 23 mai 1980, dans le cadre d’une mini-tournée de promotion suit le lancement de l’album Le retour de Johnny Frisson, Francoeur est invité à faire la première partie des Ramones, rien de moins.

Francoeur a raconté à VICE être pleinement conscient qu’avoir fait la première partie des Ramones est un des moments majeurs de sa carrière, bien que ça ne soit jamais mentionné nulle part.

« Je savais pas moi que cracher sur le band c'était un signe d'appréciation, se souvient-il. J'ai crissé un coup de pied à un gars sur l'oreille avec mes bottes de cowboy. L'oreille est partie, ça pissait le sang. Y a en a un autre qui m'a tiré par mes culottes de cuir et m'a fait tomber sur le cul sur le stage. Je lui ai crissé un coup de pied sur le nez. Je me suis relevé et y en a un autre qui a voulu monter sur le stage. Je lui ai crissé un coup de pied pour l'empêcher. À partir de là, le monde a commencé à aimer mon set! »

Les Ramones regardaient ça des coulisses en riant.

De nouveau Aut’Chose

Après, Francoeur est retourné en France, avant de continuer sa carrière solo et de connaître un grand succès avec Le Rap-à-Billy en 1983. Après suivent plusieurs albums en solo, des collaborations avec Gerry Boulet, une participation à une campagne publicitaire de Burger King, une carrière d’animateur de radio puis une carrière d’enseignant de littérature au cégep. Au tournant des années 2000, Francoeur fonde une nouvelle version d’Aut’Chose.

Vincent Peake de Groovy Aardvark, Joe Evil de GrimSkunk, puis Piggy et Away de Voïvod rejoignent ses rangs. Ces vétérans du punk et du métal clament tous haut et fort leur allégeance à Aut’Chose. Ils confirment l’influence que Francoeur a eu sur le développement de la scène underground au Québec.

Pour sa part, Alan Lord a ensuite fondé le mythique groupe Vent du Mont Schärr. Charles Foucrault a continué avec son projet new wave Pop Stress. Richard Lacoste, batteur de Narcisse, s’est joint aux Parfaits Salauds. Paul « Polo » Bellemare de Danger a fondé Les Frères à Ch’val.

En 2017, Lucien Francoeur continue de tourner avec Aut’Chose, bien qu’il soit aux prises avec des problèmes de dépendance. « On combat nos addictions toute notre vie. Ça fait partie de notre idiosyncrasie. Je suis quelqu’un qui frôle toujours le danger, un funambule sans filet. Il m’arrive encore des détours dangereux, mais ça ne fait plus partie de mon quotidien. C’est laborieux entretenir une habit », dit-il.

Pour plus d'articles comme celui-ci, inscrivez-vous à notre infolettre.