Quand Harley Flanagan était gosse, il a vu Johnny Thunders des New York Dolls se ruer en coulisses du fameux Max Kansa’s City une seringue plantée dans le bras avant de demander aux videurs, « c’est à nous là ? » Harley, qui avait 12 ans à l’époque, écrira plus tard, « en tant que gosse, tu ne réalisais pas à quel point tout ce que tu voyais était mauvais. »
C’est peu dire que de décrire la vie de la future légende du hardcore comme surréaliste à l’époque. Natif du Lower East Side et après avoir arrêté l’école en 5ème, Flanagan a passé l’essentiel de sa jeunesse à jouer de la batterie dans des clubs fréquentés par des Hell’s Angels, des drag queens comme Jane County et des icônes du rock new-yorkais tels que Richard Hell et Debbie Harry. On peut même trouver une photo du jeune teigneux en train de faire le malin aux côtés d’Andy Warhol, un mec dont il « se branlait complètement ». À la fin des années 70, son existence, comme celle d’autres gamins des rues, consistait essentiellement à trouver des supermarchés où il était facile de voler, à se doucher avec des bouches d’incendie, et à jouer dans des groupes de punk rock, d’abord en tant que batteur dans The Stimulators, et un peu plus tard comme bassiste pour les Cro-Mags—le groupe qui a défini le NYHC.
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(Photo – Jeanie Pawlowski, avec l’autorisation de Feral House)
Hard-Core: Life Of My Own, qui sort le 27 septembre chez Feral House, est le témoignage de Flanagan sur cette période (10 ans après celui de son frère ennemi John Joseph), sur son évolution, du statut de plus jeune branleur de la scène punk new-yorkaise à l’anti-héros du hardcore qu’il est devenu. À la fois manifeste punk rock et guide de survie, le livre revient sur ses hauts et ses bas d’Harley, son addiction aux drogues, son amitié avec des figures comme Allen Ginsberg ou The Clash, et la sortie du mythique premier album de Cro-Mags en 1986, The Age of Quarrel. Le livre détaille aussi la médiatisation de sa descente aux enfers, qui a ressurgi en 2012 lorsque Flanagan s’est retrouvé dans une bagarre générale impliquant d’autres membres de la scène hardcore et un plantage en règle, altercation qui l’a conduit à la prison de Rikers Island.
Aujourd’hui, Harley Flanagan a 49 ans, rigole de tout ça et enseigne le jujitsu aux jeunes de la ville. Il ne suit plus trop ce qu’il se passe dans les cercles punk et hardcore, même s’il continue à sortir des disques (le dernier en date s’appelle… Cro-Mags) et admet que cette musique fera toujours partie de lui. On lui a posé quelques questions sur une improbable reformation du vrai Cro-Mags (avec John Joseph et Parris Mayhew) et sur le caractère unique de la scène punk de l’époque.
Noisey : Je suis un fan de hardcore et de punk rock depuis des années, et j’ai remarqué que les choses étaient bien plus calmes aujourd’hui aux concerts. Il n’y a plus ce sentiment où tu te dis qu’il peut se passer tout et n’importe quoi dans la salle. Qu’est ce qu’il s’est passé selon toi ?
Harley Flanagan : Je crois que New York City dans son ensemble est devenue plus soft. Honnêtement, je ne sais plus trop ce qu’il se passe aux concerts hardcore actuels, mais au fil du temps, tout perd son éclat, peu importe de quel genre de musique ou de génération on parle. Au début du punk, les videurs ne savaient pas ce qu’était le slam dancing, le stage diving et le mosh. Ca a causé beaucoup de problèmes aux concerts ; les gens se faisaient tabasser par la sécurité et des mini-émeutes éclataient tout le temps. Ce n’était pas aussi « travaillé » à l’époque. C’était spontané et ce n’était pas uniquement le concert qui était intense. Se rendre à un show et rentrer chez toi après était encore plus chaud. Le simple fait d’être un punk rocker ou un hardcore kid signifiait que tu t’en prenais plein la gueule dans la rue. Et le plus souvent, les concerts hardcore avaient lieu dans des quartiers malfamés. Tout ça en faisait une expérience intense.
Qu’est ce qui le plus changé ?
Internet a niqué pas mal de trucs. C’est super de pouvoir chercher et trouver facilement des choses, mais on n’a perdu cette continuité et cette progression naturelle. Le début des années 80 est la dernière période où tout était vraiment organique. Aujourd’hui, on dirait un monde copié-collé. À l’époque, tu devais savoir où choper les disques ; c’était plus exclusif, plus tribal. Peu importe le pays où la ville d’où tu venais, il existait toujours une petite sous-culture qui t’indiquait où avaient lieu les concerts. Si tu croisais un mec avec une crête dans la rue, t’allais lui parler pour savoir quels groupes il écoutait. Il y avait un lien instantané. Aujourd’hui, il n’y a plus rien d’organique, tu tapes des noms sur google, tu te fais 2/3 tatouages dans le cou et tu prétends que t’es Monsieur Grosses Couilles. On a perdu l’exclusivité de la scène et ça a faussé toute forme d’art.
(Harley Flanagan et Debbie Harry. Photo – Marcia Resnick, avec l’autorisation de Feral House)
Qu’est ce qui t’a attiré en premier dans la communauté punk ?
Une des choses merveilleuses avec le punk rock, c’est que les gens sur scène et dans le public étaient les mêmes. Le groupe de tête d’affiche était dans la salle pour mater ceux qui ouvraient, et vice-versa. Il n’y avait pas de séparation entre les groupes et les fans comme elle existe maintenant. On n’était pas dans cette mentalité de groupe de stade. La typologie du fan de Kiss et tout ça ne m’a jamais attirée. Le punk rock a toujours été plus real. En tant que gosse, tu ne réalises pas à quel point tout ça est weird parce que tu n’as aucune perspective. Et je n’ai jamais essayé d’imiter qui que ce soit.
J’ai suivi l’histoire du NYHC et de Cro-Mags depuis les années 80, mais je n’étais pas au courant de tes antécédents, de l’âge auquel tu as débarqué dans le punk. C’était comment d’être un gamin à l’époque et de traîner avec toutes ces icônes de la contre-culture ?
C’est étrange pour moi de me repencher là-dessus en tant qu’adulte parce qu’à cette période, c’était juste mon quotidien et je ne connaissais rien d’autre. Par exemple, il y a une photo de moi avec Andy Warhol et Joe Strummer. Je m’en tapais de savoir qui était Andy Warhol. Je ne me souviens même pas d’avoir eu conscience qu’il était là parce que j’étais aux côtés de Joe Strummer, et c’est tout ce qui comptait. J’étais en admiration devant les Clash. On était tous des punk rockers. Ok, ils faisaient partie de la royauté punk rock, mais je sentais qu’on était tous membres de la même communauté, sur la même longueur d’ondes. Je m’en branlais complètement de toutes ces célébrités qui étaient backstage, tes Warhol et tes De Niro. Sur cette photo avec Debbie Harry, je me souviens juste de la photographe Marcia Resnick nous interpellant, « Hey Harley, Debbie ! », je me suis juste retourné et elle a pris la photo.
Tu sentais que tu traînais au milieu d’un truc grandiose ? T’aurais imaginé que ce mouvement explose comme ça ?
Je n’ai jamais été en pâmoison devant quiconque. Ce n’était pas ça le punk. J’étais juste subjugué par certains concerts que j’avais vus—les Clash au Palladium, les Bad Brains, et des tas d’autres groupes géniaux—mais je restais punk. Le punk était fait par le peuple, destiné au peuple. Les groupes et les fans étaient les mêmes personnes, voilà ce qui rendait le punk unique. Et non, jamais j’aurais pensé que la scène deviendrait « mainstream ». Est-ce que ça me chiffonne aujourd’hui ? Non, parce que c’est fini pour moi. J’écoute toujours les disques, mais les scènes et les genres, c’est un truc de gamin. Je ne suis plus un gosse. Je joue toujours ma musique, et j’écoute toujours ce que j’écoutais, j’ai les mêmes potes, mais je ne fais plus partie d’aucune « scène ». Je n’en ai pas besoin. Mais par rapport à ma contribution, évidemment le hardcore et le punk feront toujours partie de moi.
(Photo – JJ Gonson, avec l’autorisation de Feral House)
Dans ton livre, tu te décris comme un « taré sniffeur-de-colle-fumeur-d-acide-bagarreur-24/24 ». Tu peux nous parler de ton rapport à la drogue et à la violence quand tu étais plus jeune ?
Alors, ce n’était pas une description ; c’était juste un fait. Et pour les frasques liées à la drogue, il y en aurait trop à citer, il faut lire le livre. Pour info, ce n’est pas quelque chose dont je suis fier ; c’est juste arrivé, point. Et je n’avais pas non plus envie de me battre tout le temps, mais je n’avais pas le choix, c’est différent. C’est la vie que je menais. Le quartier était dur—beaucoup de gangs, de crime, et de violence. Qui savait combien de temps tu allais survivre et ce qui allait se passer ? Pas moi en tous cas. Après un certain temps, cet état de fait est devenu amusant.
Les Cro-Mags semblaient promus à une gloire certaine au milieu des années 80, mais au lieu de ça, vous avez opté pour un autre genre de célébrité… Avec le recul, qu’est ce qui a merdé et qu’est ce qui vous a empêché de passer au niveau supérieur ?
Les égos nous ont barré la route, et maintenant, il y a bien trop de ressentiment. J’ai honnêtement tenté tout ce que je pouvais pour reformer le groupe, mais on a tous vu comment ça s’est passé. Je suis en paix avec ça maintenant. Si John veut poursuivre sa mascarade avec son faux Cro-Mags, et Parris continuer à ruminer sur le passé, alors c’est triste mais c’est comme ça. Ca en restera ainsi. Je suis heureux dans ma vie et je ne peux forcer personne à changer sa vision ou sa façon de faire. Ma porte est toujours ouverte. Pas seulement pour eux, mais pour les fans, je serai honoré de leur donner un dernier concert.
Tu n’as pas joué avec les Cro-Mags depuis 15 ans et ta confrontation avec le groupe en 2012 a été très médiatisée (et t’a conduit à passer un séjour à Rikers Island). Tu penses quoi du destin du groupe aujourd’hui, et est-ce que l’animosité, du moins de ton côté, s’est estompée ?
Tout ça me fait marrer. La situation était cocasse avec le recul… Une pièce remplie de gens qui m’ont sauté dessus, j’en ai mis trois à l’hôpital, j’ai été arrêté, j’ai eu ma tête dans les journaux, pendant que John s’est enfui dans l’escalier comme une catin. Tout ça est rigolo au final. Ok, c’est vrai, on m’a poignardé, mais c’était juste une baston, on s’en fout. Je m’en soucis de moins en moins. Je pense juste que c’est triste que John soit si lâche, c’est lui qui a causé tout ça. Et une fois de plus, c’est pour ça qu’il ne pourra jamais y avoir de vraie reformation des Cro-Mags. Ces types ont trop de problèmes, trop de fardeaux, et s’il est assez taré pour imaginer des trucs pareil, comment cela pourrait être possible ? C’est drôle et triste à la fois, mais je suis passé à autre chose.
‘Hard-Core: Life of My Own’ est sorti chez Feral House. Vous pouvez le commander ici.
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