En 1966, Martin Stone est un publicitaire dans la vingtaine. Un jour, il quitte son agence new-yorkaise sur un coup de tête et plonge dans l’effervescence de la contre-culture. Il part à la découverte de l’Amérique, à bord d’un autobus, dans la plus pure tradition des Merry Pranksters, avant d’élire domicile à la Hog Farm, une commune fondée par l’activiste et clown Hugh Nanton Romney, mieux connu sous le nom de Wavy Gravy.
Aujourd’hui âgé d’un peu plus de 70 ans, Martin Stone habite le Mile End, à Montréal, dans un appartement qu’il a partagé avec plus d’une centaine de colocataires au cours des quarante dernières années. Des gens de passage, des nouveaux arrivants, des individus qui ont besoin de se recentrer, l’espace d’un moment. C’est là que le réalisateur franco-montréalais Jean-André Fourestié (Gospel According to Vivienne) a fait sa connaissance, en débarquant au Québec, en 2004.
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Dans son premier long métrage documentaire, Histoire hippie, Fourestié retrace le parcours de Martin Stone, tout en explorant ses choix de vie, sa relation à distance avec ses filles, ainsi que la fragilité d’un univers utopique et parfois naïf qu’il entretient depuis les années 70. Il expose le fruit de trois ans passés à documenter la vie de son ancien colocataire. « Ce qui m’intéresse dans [d]es personnages [comme Martin], c’est que ce sont des outsiders, des gens qui ont une opportunité de faire des choses, parfois en grand, mais qui décident de rester fidèles à leurs croyances », explique-t-il, en soulignant que ce n’est pas la nostalgie hippie qui l’intéressait chez Martin Stone.
Un Gatorade et une cigarette au « 5486 »
L’appartement de Martin Stone ressemble à ces lieux où les soirées arrosées mènent généralement. Le repère que l’on convoite le nez enneigé; l’endroit où quelqu’un casse tout le temps un disque; le salon où l’écoute active en prend pour son rhume. Une statue du Christ à laquelle on a apposé un nouveau visage trône au milieu de la pièce principale. Martin et Jean-André sont sur le balcon. « Prendriez-vous quelque chose ? » me demande Martin dans un français cassé. « Non, non, laissez faire l’eau, prenez un Gatorade », ajoute-t-il. Provenant d’un homme qui a connu de près les kool-aid acid tests, on ne peut refuser.
Après six ans sur le circuit des concerts rock, Martin s’est accroché les pieds dans le Mile End, où il demeure toujours. « Je suis arrivé ici autour de 1972 ou 1973 et j’ai trouvé un emploi de chauffeur de taxi. » Également graphiste, il a par la suite œuvré au Suburban. Après dix ans passés à ce journal fondé par Sophie Wollock – l’une des critiques les plus paranoïaques de la montée en popularité du Parti québécois durant les années 70 – l’ancien pubard est devenu journaliste indépendant et a collaboré avec de grands organes de presse américains.
La famille nucléaire
De ses années de commune, Martin Stone a conservé ses réserves face à la famille nucléaire. « J’ai toujours trouvé le monde trop grand pour être capable de focaliser uniquement sur le concept de famille nucléaire. » Dans ce fragile écosystème qui est dorénavant le sien, le septuagénaire semble s’être entouré d’individus – jeunes femmes avec lesquelles il s’adonne au body painting, bohémiens quarantenaires, étudiants, etc. – qui correspondent à son créneau peace, love and good vibes. « Mes filles sont restées aux États-Unis. Nous avons toujours eu une relation chaleureuse et cordiale, malgré la distance », affirme-t-il. Lorsque je lui rappelle que sa fille Deborah mentionne dans le film avoir eu à mendier auprès du gérant d’un fast-food en compagnie de sa sœur, alors que la troupe de hippies attendait de voir si le restaurateur aurait assez pitié des enfants pour fournir de la nourriture à tout le groupe, Martin assure que c’est un incident isolé.
Dans La jument des Mongols, l’un des grands romans du Montréal bohème des années 60, l’écrivain et fondateur de la revue Mainmise, Jean Basile, écrit : « Il n’y a rien de pire que de galvauder ses idées de jeunesse, c’est comme une sorte de sacrilège dont on est toujours puni; tricher avec ses vingt ans […] il n’y a rien de plus odieux. » Ironiquement, il est de nos jours difficile de trouver assertion plus consensuelle que « la génération hippie a trahi ses idéaux ». Le punk rock a d’ailleurs fait son nom sur le dos de cette constatation. Ce que le documentaire de Jean-André Fourestier nous place sous le nez est peut-être cette fatalité soulignée par les conséquences d’une vie en accord avec ces mots de Sartre qui ouvrent le film : « La liberté est choix ».
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