Le zénith de ma vie sexuelle en tant qu’homme a sans doute été atteint entre ma première et ma terminale. J’avais rejoint Londres pour participer à une sorte d’université d’été consacrée à la littérature. En réalité, après avoir passé quelques heures au sein de la British Library, je déboulais dans des bars à la recherche de mecs. Je passais le reste de mon temps dans des clubs ou des saunas gays. Nous étions au milieu des années 1990 et ma musculature d’Américain fan d’abdominaux était remarquée par de nombreux Britanniques, qui ne goûtaient pas encore aux joies de l’effort physique. Les gens me souriaient, comme si traverser l’Atlantique m’avait transformée en un homme nouveau.
Malgré cette assurance, je n’étais pas à l’aise à l’idée de baiser en public – je n’ai jamais oublié mon statut d’expatrié temporaire, et je ne souhaitais pas que l’on me force à rentrer au pays. Dans les bars, je me contentais de quelques galoches, puis je rentrais chez différents types pour ne pas avoir à baiser à côté des gars de mon auberge de jeunesse. Un seul endroit convenait aux copulations publiques : Pleasuredrome, un sauna gay qui encourageait ses membres à se « découvrir » les uns les autres. La vapeur omniprésente permettait à tout un chacun d’avoir quelque chose en bouche ou dans la main sans que personne ne s’en rende compte.
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J’adorais cet endroit. Je ne me contentais pas de me débarrasser de mes vêtements : j’abandonnais mes conventions, ma carapace sociale. Je communiais avec des businessmen, des chauffeurs de bus, des professeurs, dans un même amour du corps. J’adorais la facilité que les gens avaient pour devenir tout à tour chasseur et proie – parfois avec une même personne, ce qui était d’autant plus excitant.
Je me souviens encore d’un type, Danny. En Amérique, il aurait pu coucher avec n’importe qui. Il ressemblait au David de Michel-Ange, et exhalait une énergie masculine incroyable. Il n’hésitait pas à plonger d’un seul coup dans le bassin froid et en ressortait en s’appuyant sur ses bras, mettant en avant son torse. Un jour, il est venu s’installer autour de ce bassin, à mes côtés, et m’a dit qu’il venait de Liverpool. Quelques minutes plus tard, nous étions en train de nous embrasser, avant qu’il ne disparaisse d’un seul coup. Je le cherchais pendant plusieurs minutes dans le sauna et le hammam, avant de l’apercevoir dans les toilettes. Là, il me balançait dans une cabine pour me baiser sauvagement – c’était avant que Pleasuredrome ne propose des chambres à louer.
À l’époque, j’étais convaincue qu’un coït de qualité avait tout à voir avec les « techniques » utilisées par les deux personnes impliquées – une sorte d’addition entre différentes parties du corps. Une baise et une relation amoureuse n’avaient aucun lien. Cette mentalité m’a suivie tout au long de ma transition – qui a débuté quatre ans après cet été londonien. Je mesurais un peu moins d’un mètre 70 et pesais 55 kg. Mes cheveux blonds atteignaient désormais mes épaules.
Mon premier rencard en tant que personne en transition s’est parfaitement déroulé. L’homme en face de moi m’affirmait que j’étais parfaite à ses yeux, et était curieux de faire l’amour avec une femme « telle que moi ». Plus tard, je n’ai pas manqué de baiser avec d’autres types très mignons, goûtant aux joies du sexe avec des hétérosexuels.
De tous les mecs que j’ai rencontrés au cours cette période, le seul dont je me souvienne parfaitement est Rich. Originaire de Boston, aux racines italiennes, il était adorable. Parfait gentleman, il m’ouvrait les portes, me prêtait sa veste quand il faisait froid. Il fantasmait sur le fait de ramener une fille en transition à un dîner en compagnie de ses parents, des catholiques pratiquants. Je satisfaisais ses désirs – notamment en le laissant me baiser alors que j’étais au travail, ou en le déshabillant et en l’installant sur ma chaise avant de le sucer.
« Suce-moi, salope », me susurrait-il dans l’oreille. Pendant de longues minutes, de longues nuits, des journées entières, j’étais sa petite salope – une pute qui n’était jamais rassasiée de son corps. Je détestais qu’il me traite de pute, tout en adorant ça. Aussi excitante que cette relation ait été, je n’ai jamais pu m’engager pleinement. Il a d’ailleurs arrêté de me voir le jour où je lui ai avoué que je ne me voyais pas être fidèle. Nous nous sommes recroisés quelques mois plus tard dans un bar trans de Boston, et il a semblé déçu quand je lui ai avoué que j’avais pris rendez-vous pour mon opération chirurgicale.
Après cette opération, et alors que je n’avais pas encore 30 ans, j’ai passé mon temps à coucher avec des hétérosexuels élancés, mignons – le genre de types que j’aurais eu du mal à convaincre quand j’étais un homme. Au fil du temps, j’ai perdu la passion pour le coup d’un soir, même lorsque j’étais célibataire.
J’ai du mal à comprendre pourquoi j’ai arrêté de forniquer un peu partout – peut-être était-ce l’influence de femmes rencontrées, les modifications hormonales, les comédies romantiques. Sans doute ai-je pris peur en constatant que de nombreux hommes considéraient ma (nouvelle) chatte comme un trophée, quelque chose d’unique dans leur vie sexuelle.
En tant que femme, j’ai eu chaque jour un peu plus de mal à accepter de coucher « pour le fun ». Je vivais mal le regard des autres, cette pression insidieuse d’un patriarcat toujours prompt à traiter les femmes de putes. Si je n’avais jamais été un homme, je n’aurais sans doute pas vécu les choses de cette manière, car je n’aurais jamais connu la différence « de l’intérieur ». Tout le problème était là : maintenant que je suis une femme, je saisis à quel point celles-ci souffrent du jugement des hommes.
Ne vous trompez pas : je suis plus heureuse que jamais. Seule l’inégalité homme/femme quant à l’accès au sexe me fait regretter mon ancienne vie d’homosexuel. Les dynamiques sexuelles des gays me manquent – qui est au-dessus, en dessous, qui en veut plus, etc. – car elles n’avaient rien à voir avec une quelconque injustice sociale ou culturelle, de celle qui catalogue les femmes comme des nymphomanes dès lors qu’elles baisent.
Ma dernière relation uniquement physique date d’il y a quelques années. J’étais à l’université, et je voyais régulièrement Ben – un ancien gymnaste qui me soulevait avec une facilité déconcertante. Nous n’avions rien en commun hormis une attirance physique évidente – j’étais fan de littérature, lui aimait le management. J’adorais finir la soirée dans son lit car je savais que je n’avais rien à attendre de lui. Un jour, il n’a plus daigné répondre à mes messages, pour finalement me dire qu’il préférait en rester là parce que cela devenait trop dur pour lui de concilier nos rencontres anodines à l’université et nos moments de baise. Ce jour-là, j’ai compris qu’en devenant une femme, j’avais embrassé de nombreuses difficultés en lien avec les relations hommes/femmes, et notamment cette propension des hommes à souvent dissimuler leurs vrais affects derrière des excuses bidon.
Quelques semaines plus tard, je me suis trompée de vestiaire en allant à la piscine du campus. Là, je suis tombée sur un type fin, brin, assis sur un banc, une serviette sur les épaules. Il m’a regardée, m’a souri, et d’un coup je me suis souvenue de ces instants londoniens, de ce plaisir sans lendemain, de l’équilibre de ces relations homosexuelles. Il n’y avait que du plaisir, jamais d’ambivalence.
Le charme n’a duré qu’une seconde. Une voix a surgi de derrière pour m’avertir que je me trouvais dans le vestiaire des hommes. J’ai fait demi-tour, et ai pensé au sourire de ce mec pendant quelques minutes, avant de me rappeler que pour retrouver ces moments de plaisir innocent, il me fallait redevenir un homme. J’ai enfilé mon maillot de bain, j’ai plongé dans la piscine, puis j’ai nagé pendant une heure entière jusqu’à ce que mes épaules me fassent mal. Là, j’ai ressenti une immense joie, celle d’avoir un corps en symbiose avec mon esprit.
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