Culture

Horst 2022 : la puissance des belles choses

Horst expo

Fin avril/début mai, des milliers de corps en sueur ont fait vibrer le site d’ASIAT dans des effluves de brouillard artificiel et de lumières colorées. En parallèle, certain·es auront peut-être aussi découvert la dizaine d’œuvres in-situ qui constituent l’exposition The Act of Breathing. Horst, qui continue de pousser plus loin les liens entre musique et art, propose cette année un parcours sur le thème du souffle. On respire pour vivre, mais aussi pour lutter, quand des pouvoirs oppresseurs nous menacent d’asphyxie. L’exposition qui interroge également les liens entre le Congo et la Belgique, et la nécessité de questionner les traces laissées par le colonialisme.

On a discuté avec quelques artistes pour savoir ce que ça leur faisait d’être là, de créer pour un festival et de découvrir Horst, Vilvorde et Bruxelles. 

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Anthony Ngoya (1995)

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VICE : Comment ça se passe pour toi ici ?
Anthony : Ça me fait plaisir d’être là. C’est seulement la deuxième fois de ma vie que je me rends à un festival et je suis assez excité. C’est aussi particulier d’exposer dans un lieu comme celui-ci, un lieu chargé d’histoire et avec lequel on peut jouer.

Est-ce qu’il y a un événement particulier qui a marqué ta création ? 
En 2003, je suis parti au Congo. J’avais six ans. Je suis Franco-congolais et c’était la première fois que j’y allais. C’était un contexte particulier : pas très longtemps après la guerre, les non-dits étaient très présents et il y avait une grande tension. Mais j’avais beaucoup oublié, j’étais très jeune et tout était flou dans ma mémoire. Récemment, après un voyage au Bénin, les sensations et les souvenirs ont commencé à refaire surface. Je me suis replongé dans les images, les photos de famille issues de ce voyage et tout est revenu. Je me suis concentré sur mes émotions, sur ce que j’avais ressenti avec ma vision d’enfant quand j’étais là-bas. En reparlant avec mes parents, j’ai compris que la manière dont ils avaient vécu ce voyage était très différente de moi. Pour moi, c’était la découverte de mon pays, de ma famille. Pour eux, c’était un retour sur ces terres qu’ils avaient fui, des années après être partis. 

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Quelles émotions et images ont refait surface ?
J’ai retrouvé de la joie, de la nostalgie, des moments tristes aussi dû au contexte familial. Il y a une complexité d’émotions. J’ai en tête beaucoup d’images, comme des maisons de tôle, la mer. Personne ne se baigne dans la mer là-bas, c’est une sorte de mythe, elle est violente, dangereuse. C’est plein de petits éléments comme ça qui me sont revenus.

C’est ça que t’as exploré dans les peintures que t’exposes ici ?
Oui, j’ai voulu reconstruire mes souvenirs à partir de ces photos de famille, mais aussi d’images d’archive. Il me fallait reconstruire ma mémoire qui était fragmentée. J’ai essayé ensuite de sublimer ces souvenirs en les réinterprétant au travers de mes peintures, comme une sorte de fantasme. C’est une façon pour moi de me trouver en tant qu’adulte et de poser un nouveau regard sur ma propre identité. C’est vraiment un travail d’acceptation de soi, par rapport à mes origines. C’est pas forcément évident quand on est enfant d’immigré·es. Je suis la première génération à être née en France et je suis le premier à avoir construit mon histoire ici. Il m’est arrivé de me sentir déraciné. Ce travail, c’est une manière de me trouver, de créer mon identité. C’est une réappropriation de mon histoire.

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mountaincutters, duo d’artistes (1990)

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VICE : Comment se passe l’expo pour vous ?
mountaincutters : Vraiment très bien. Cette ancienne base militaire nous a tout de suite parlé et on s’est attaché·es à ce lieu. On travaille toujours avec des lieux qui sont chargés avec une histoire, on aime que le contexte nous raconte quelque chose. Créer dans un festival, c’était aussi un défi parce qu’on fabrique des pièces fragiles. Mais on trouvait intéressant de créer dans ce contexte, d’assumer cette tension entre le silence qui entoure habituellement l’exposition et la musique et le souffle des gens qui dansent.

Vous venez de Marseille, mais vous vivez à Bruxelles. Pas trop difficile d’être loin du soleil et de la mer ?
On adore l’ambiance à Bruxelles et on a choisi de vivre ici. On avait vraiment envie de partir et d’être à l’étranger, hors de la France, et surtout pas à Paris. On avait des ami·es très cher·es qui habitaient Bruxelles et on s’est dit « On monte et on voit ». Depuis, on est là. C’est clair que la mer, c’est irremplaçable mais il y a un lien pour nous entre Bruxelles et Marseille. C’est ce côté foutraque qui laisse beaucoup de liberté, de respiration dans la ville. Il y a pas mal de personnes qui pourraient se sentir en marge, mais qui ici se sentent bien, parce que tu dois moins répondre à une norme. Il y a aussi une bienveillance, une qualité d’écoute et d’échange entre les artistes.

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Vous travaillez en duo, mais vous vous présentez comme une entité, le visage volontairement caché. Pourquoi ?
On a cette envie de croire qu’il est possible d’exister sans être dans l’égo de l’artiste seul au monde. On a envie d’un truc commun. « mountaincutters », c’est volontairement pluriel et non-genré. Ça nous permet de travailler plein de choses qu’on n’aurait pas pu faire en étant simplement nommé·es avec nos prénoms. 

Vous parlez de la fragilité présente dans de vos œuvres, est-ce que c’est lié à un événement particulier ? 
Au début de notre pratique, l’un·e de nous a eu une maladie auto-immune qui a été fondamentale au niveau de notre processus plastique. Comment faire avec ça ? Comment faire après ça ? Il a fallu trouver des solutions formelles pour avancer. Tout s’est vraiment transformé par rapport à ça et ça a généré plein de possibles. On s’est mis à être à l’écoute d’autres corps : des corps malades, des corps défaillants, des corps en chute. Socialement, on existe beaucoup parce qu’on est jeune et en forme, parce qu’on est en puissance et qu’on est dans une sorte de croissance constante. Quand on est jeune et malade, la perspective change. Ça a influencé notre travail, on cherche la décroissance, le ralentissement. Réfléchir à renverser la direction et changer la manière d’avancer.

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Comment ça s’exprime dans votre travail ?
On utilise très souvent des pièces en verre, beaucoup de structures sont des prothèses.
L’utilisation du verre, cette matière fragile, cristallise le mouvement pour nous. Il y a la question de l’énergie dans notre travail. Le verre stoppe le courant, il isole, le fil en cuivre conduit.

Comment ça se retrouve dans ce que vous avez créé pour Horst ?
Ici, on a travaillé autour du souffle vital. Quand on a visité les lieux, on a tout de suite été percuté·es par cette vanne de gaz sur le mur. On avait envie de créer ce souffle en verre, fragmenté et suspendu par des fils de cuivre. Pour nous, ça exprime l’idée qu’il y a un souffle universel qui nous appartient à tou·tes, un souffle commun. Et puis, on aime l’idée que tout vient du sol. Tout ce qu’on a construit sur cette terre a été extrait de celle-ci. C’est pourquoi on a fait souffler le verrier directement dans de l’argile. Il y a aussi ce chariot avec une petite Vénus, sorte de pièce archéologique qui apparaît. Et puis, plus loin, il y a une vidéo où l’on voit une bataille entre une guêpe et une abeille. C’est une métaphore du corps maltraité, notamment par les hiérarchies de pouvoir.

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Benjamin Orlow (1984)

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VICE : C’est la première fois que tu viens ici ?
Benjamin : Oui et j’ai été surpris par Bruxelles. Je pensais que parce que c’est la capitale de l’Union Européenne, ça serait une ville lisse, avec des grandes tours et des diplomates partout. Et c’est pas du tout comme ça. Il y a une variété énorme de bâtiments, c’est chaotique, il se passe beaucoup de choses. Il y a une quantité impressionnante d’art et de culture. C’est une énergie qui semble rendre les gens très créatifs. Mais c’est aussi un espace assez calme étrangement, comparé à Londres du moins, où tout le monde court toujours quelque part. Les gens ici semblent pouvoir se permettre d’être plus contemplatifs et de réfléchir à la manière dont ils veulent passer leur temps.

Qu’est-ce que tu penses du site de Horst ?
Quand je suis venu la première fois, tout le site était vide. On marchait autour et j’avais le sentiment que cet espace était en transition. Tu peux ressentir tout ce qu’il s’est passé ici. Un peu partout, il y avait ces grosses piles de terre qui avaient été déterrées parce qu’ils faisaient des travaux. C’est quelque chose qui m’a frappé et inspiré. On voyait les différentes couches, les strates de terre, c’était comme une manifestation physique du temps.

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C’est pour ça que tu as rempli le bâtiment que tu occupes de terre ?
Oui, l’idée de mettre de la terre à l’intérieur m’est venue suite à ça. Je voulais que les gens soient obligés de monter, de descendre, d’escalader. Je suis dégoûté par ce qui est lisse. Je trouve que les espaces publics ont cette vilaine qualité d’être toujours très propres, très symétriques parce qu’il faut qu’ils procurent un sentiment de sécurité. Mais ce qu’on entend par « sécurité » n’est jamais vraiment défini. Souvent, ça signifie créer un lieu où l’on filtre tout ce qui peut apporter des émotions afin de ne bousculer personne. Le risque, c’est qu’on perde dans le processus ce qui nous rend humains. Je crois qu’un lieu public peut procurer une tension, une excitation. Un peu comme quand on plaçait des gargouilles au Moyen-âge sur les monuments. Je crois que les lieux lisses apportent d’autres peurs, celle de l’imperfection par exemple. On se sent limité sur ce qu’on peut faire dans ces espaces. 

Au milieu de ce bâtiment plein de terre, t’as placé une grande statue, une sorte de visage déformé. Tu peux m’en dire plus ?
Je voulais aller contre l’idée qu’un monument soit généralement entouré d’un grand espace vide et symétrique. C’est pour ça que j’ai choisi la pièce la plus petite possible, pour voir ce que ça créait comme sentiment. Quand je commence à sculpter, je sais pas très bien vers quoi je vais, je fais pas de croquis ou de plan, mais souvent ça finit par devenir une forme à moitié humaine, quelque chose de déformé et d’expressif.

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T’as une idée d’où te vient cette fascination pour les visages abîmés ?
Je crois que j’ai toujours été très intéressé par les choses grotesques. Quand j’étais un enfant, l’une des choses que je préférais faire, c’était me rendre chez mes grands-parents et regarder l’album photo de famille. Il y avait toutes ces petites photos en noir et blanc. Sur l’une des pages, on pouvait voir mon grand-père être diplômé et sur la seconde, il était sur la ligne de front de la deuxième guerre mondiale, posant avec un ami et le sol était couvert de cadavres. C’était à la fois terrifiant et excitant. Ces histoires venaient se mélanger à l’image que j’avais de mon grand-père. C’était impossible de séparer les deux.

Tu parles de monuments et d’espace public, c’est quelque chose qui t’intéresse ?
En ce moment, les monuments ont un rôle très intéressant, notamment lié à la décolonisation de l’espace public. Avec ce débat polarisé entre les gens qui pensent qu’ils font partie de l’histoire et d’autres qui croient qu’ils représentent des politiques qui ne sont plus d’actualité. Pour ma part, je pense que les monuments ne sont ni bons, ni mauvais, mais qu’ils véhiculent un langage qu’il est intéressant d’apprivoiser. Essayer de voir si on peut faire autre chose avec les monuments, si on peut les modifier, jouer avec, faire évoluer leur environnement ou les raisons pour lesquelles ils ont été édifiés.

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