Music

Le guide Noisey de la musique au bureau

Vous êtes confortablement assis sur votre fauteuil, en train de dodeliner de la tête, cliquant désespérément au milieu du champ de bataille qu’est devenue votre boîte mail, tentant d’ordonner 400 messages non-lus à l’aide de codes couleur, en sachant pertinemment que vous n’y répondrez jamais. La scène se passe au coeur d’un décor gris et maussade et, tout autour de vous, s’agitent les personnes qui forment l’énigme la plus impénétrable de votre existence : vos collègues de travail. Oui, vous êtes au bureau.

Tout à coup, « Barbra Streisand » de Duck Sauce retentit à un volume indécent à quelques mètres de votre poste. Certains laissent échapper un vague ricanement, d’autres sont gagnés par un gigantesque frisson d’embarras, et quelques-uns, totalement désespérés, se voient pris d’une soudaine frénésie. Puis arrive l’email tant redouté : 150 destinataires (soit la totalité de votre boîte) et un message aussi expéditif que laconique, sans la moindre majuscule ni signe de ponctuation : « qu est ce que c est que cette putain de musique VIREZ CA TOUT DE SUITE ». Très vite, chacun y va de sa réponse, qui d’un lol ironique, qui d’un gif, avant que les traditionnels « Merci de me sortir de cette boucle » et « Vous pouvez arrêter de répondre ??? » ne viennent mettre un terme à l’affaire. 

Jean-Tarik, penché sur son clavier, lâche un « faites tous chier » dans sa barbe et vous pensez alors : « Pauvre Jean-Tarik. » Il a voulu offrir un peu de musique à son entourage en allumant ses enceintes, mais il a oublié dé vérifier TOUS les titres qui composaient sa playlist Spotify intitulée « Chillax », et il l’a mise en mode shuffle, vous pensez bien. 

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N’importe qui bossant dans un bureau – en particulier un bureau sans cloisons, au sens premier comme au sens figuré – sait que l’outil musique, qu’il soit chaîne hi-fi, stéréo, ghettoblaster, portable, enceinte naine ou autre, est à manipuler avec une extrême précaution. Si vous réussissez à le maîtriser, vous serez considéré comme un Dieu. Mais si vous échouez, vous serez traité comme si vous veniez de chier dans la fontaine à eau. Mesdames et messieurs, voici le guide Noisey de la musique au bureau. 


COMPRENDRE SON LIEU DE TRAVAIL

C’est probablement le conseil le plus important, bien qu’il semble atrocement évident. Regardez autour de vous : vous voyez des salles de réunion équipées de casques de réalité virtuelle, des distributeurs de M&M’s et des têtes de cerf empaillées ? Excellent, votre boss vous appelle sûrement « poto » et vous êtes libre de passer toute la musique que vous voulez en chantant à tue-tête par dessus, les pieds posés sur le bureau. En revanche, si c’est votre deuxième semaine au siège d’une grande banque, il serait peut-être plus prudent de mettre Lil Yachty de côté, le temps de connaître un peu mieux les goûts, les attentes et le seuil de tolérance en matière de rap de votre collègue de droite, celle qui ne prend jamais de vacances et qui n’a pour tout élément de décor sur son bureau qu’une photo encadrée de sa tortue, Béatrice. Une fois que vous aurez capté la vibe générale et les spécificités de chacun, vous pourrez au minimum 9 fois sur 10 tomber juste niveau musique. Ou bien continuer à bosser sans musique ou avec un casque, comme un adulte.

PRENDRE EN COMPTE LE FACTEUR HORAIRE


Outre son environnement de travail, il est également important de prendre en compte le moment de la journée, ou de la semaine. 16h, un vendredi ? Le mec du marketing arborant un bouc taillé au millimètre est en train de siroter un whisky-coca, pépère devant son poste de travail ? Vous avez le feu vert pour passer tout ce que vous voulez : Burzum, Drake, Madness, faites-vous plaisir, plus personne n’en a rien à foutre. 8h30, un lundi matin ? Laissez peut-être le nouveau Justice là où il est et choisissez un truc qui a bien vieilli, universel, un disque capable de dompter le feu cruel du temps et de vous faire oublier votre solitude et vos maux d’estomac. New Order ? Oui, par exemple.

NE JAMAIS PASSER LE MÊME MORCEAU


Très très important. Le travail de bureau est déjà suffisamment répétitif en soi : même sonnerie de réveil tous les matins, même wagon de métro, même capsule de café dégueulasse à 14h35 précises, votre journée entière se déroule comme un rêve récurrent, sans histoire, sans évènement particulier, sans soubresaut. La routine devient une habitude, l’habitude devient un réflexe, et votre vie entre 9h et 19h se résumera bientôt à une vaste série d’actions automatiques sur lesquelles vous n’exercerez qu’un contrôle lointain, tout ça dans un environnement tellement neutre que vous passerez chaque heure à vous demander ce que vous y faites vraiment. Un feeling qui sera multiplié par 10 000 quand chaque mardi soir, à 17h30, le même connard mettra « Panda » ou « Black Beatles ».

TOUT LE MONDE AIME DEPECHE MODE

Scientifiquement, Depeche Mode est quasiment le seul groupe que vous pouvez diffuser partout, à toute heure, sans que personne ne s’en plaigne. Depeche Mode sont tellement géniaux qu’ils vous aideront à mieux discerner les gens qui peuplent votre bureau – ceux qui ont leur tasse de thé attitrée par exemple, ceux qui reluquent les stagiaires sans la moindre retenue, ou ceux qui ne disent jamais bonjour. La musique de Depeche Mode est suffisamment upbeat pour la petite bande de la pub qui vit-pour-le-week-end, et suffisamment nostalgique pour ce mec sans âge, sans avis, qui ne perd pas une occasion de vous entretenir longuement de ses projets à venir quand vous le croisez aux pissotières, vous qui détestez pisser à côté de quelqu’un d’autre.

NE JAMAIS FAIRE LE TOUR DU BUREAU POUR AVERTIR SES COLLÈGUES DU MORCEAU QUI TOURNE

Rien de pire qu’un type en T-shirt ironique qui traverse l’open space d’une démarche chaloupée, armé d’un léger rictus parce qu’il vient de découvrir « Péennelle ».

AJUSTER CORRECTEMENT LE VOLUME


Une erreur classique, qui peut se révéler fatidique. Vous décidez de balancer un remix de The xx qui vient de sortir (« posté il y a à peine 2 heures sur Pitchfork ! ») avant de réaliser que le bouton du volume est calé sur « FIN DU MONDE ». Dès la première seconde, tous les gens se baissent sous leur bureau, le temps que vous stoppiez le massacre, et remettiez discrètement votre casque, l’air de rien. Vous mangerez désormais seul, et vous finirez de la même manière, seul, sous votre casque.

NE PAS CHANTER

Nous sommes sur un lieu de travail. Vous n’êtes ni Marseillais, ni à Miami.

DOUCEMENT AVEC L’AMBIENT


Personnellement, la seule musique sur laquelle je peux travailler de manière constructive est l’ambient, mais aussi agréable soit-il, c’est un genre qui n’a pas été conçu pour être diffusé non-stop dans un open space. Si vous saoulez vos voisins avec votre new-age instrumentale, vous risquez d’être très vite catalogué comme le « fonce-dé du bureau », ce qui sera certes totalement vrai, mais qui n’est pas forcément un truc que vous voulez voir inscrit en rouge, dans la marge, sur votre CV.

JAMAIS LES WHITE STRIPES

Jamais. Sinon il faudra plus que les armées de sept nations pour empêcher vos collègues de vous pendre.

NE PAS PERDRE SON SANG FROID


Peu importe ce qu’on vous a dit précédemment : le seul truc qu’il faut retenir c’est qu’il faut avoir une totale confiance en vous. Le vapeur fou du troisième étage vous a balancé sur le chat interne ? Tout le monde vous hurle dessus dès que vous ouvrez votre onglet iTunes ? Votre supérieur vous demande de rassembler calmement vos affaires et de ne pas revenir lundi, vu que de toute façon vous étiez en période d’essai et qu’il n’y avait rien de signé ? Le Monde entier vous tourne le dos ? C’est le moment où jamais de croire en vous, et de croire au pouvoir de la musique.

Angus est sur Twitter.