Hyacinthe veut devenir le Jul hollandais (ou quelque chose comme ça)

Hyacinthe, interview, rap français

Officiant depuis 2013 à peu près, Hyacinthe se traîne depuis longtemps l’étiquette sévère mais juste de « rappeur blanc bizarre », mais semble avoir à présent trouvé une formule qui lui correspond à 100 %. Rave est son second album solo, et c’est auréolé du petit succès d’estime de son précédent, Sarah, que le bonhomme s’est lancé dans la conception de son nouveau bébé. Cette fois, exit les incursions dans tout ce qui pourrait ressembler à une sorte d’hybride infâme rap-chanson française.

Place aux gros beats avant tout électros même si les textes restent tristounets, façon B.O d’une soirée explosive observée du point de vue d’un type qui se pose des questions existentielles aux chiottes. Avec ces changements, la bonne nouvelle c’est que tout est plus maîtrisé qu’avant, la mauvaise c’est qu’on n’aura plus du tout de phrase gratuite type « futur symbole de la nation comme la chatte de Julie Gayet ». On a rencontré « Hyahya » pour essayer de démêler tout ça, mais aussi pour évoquer ses classiques du rap français, l’entrisme chez Lacoste, les perches tendues par certains médias déficients, et bien sûr, Alpha 5.20.

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© PIerre Aé

VICE : « J’ai fait un album pour une fille je l’ai quittée 3 mois plus tard, je croise des fans je sens qu’ils me jugent », ça t’arrive vraiment ?
Hyacinthe : C’est déjà arrivé. Genre je suis en soirée avec une fille, qui n’est pas mon ex, et quelqu’un vient me voir et la salue « hey Sarah » alors que c’est pas du tout ça. Y’a déjà eu des instants un peu malaise mais en même temps je suis l’unique responsable de cette merde.

À l’avenir tu penses moins « détailler » du coup ?
C’est le jeu en un sens. Et j’ai l’impression que c’est là où je suis bon. Raconter ma vie me permet un peu de me différencier. Pas de regret, ni au titre de l’amour précédent qui symbolisait toute une période dans ma vie. Au contraire je suis heureux qu’il en reste une belle trace plutôt qu’une forme moche.

Tu fais pas mal de références à la religion : « J’aime bien jésus j’aime bien ton cul est-ce que jésus l’aime bien aussi ? », « danse comme Jésus de Nazareth », « j’ondule comme le christ sous la lumière du flash », le titre « Saint Hyacinthe »…
J’aime bien Jésus en tant que figure. Y’a un peu plus d’un an, j’ai tapé une demi-crise mystique. Je venais de finir l’album Sarah, je faisais 1000 rendez-vous avec 1000 maisons de disque différentes, on parlait de contrats, c’était une période avec beaucoup de pression, je savais que c’était des choix importants dans ma vie qui m’engageraient pour des années. J’ai un peu pété un plomb et j’ai dit à la maison de disque que j’avais choisi : si vous voulez me signer c’est vendredi parce que samedi matin je pars faire une retraite spirituelle. Ils ont accepté, on signe le vendredi à 20h. Samedi matin je pars pour une semaine dans une abbaye cistercienne. Les Cisterciens ne parlent pas, sauf pour leurs prières. C’était l’Abbaye de Sénanque, zone grise, aucun réseau pour quoi que ce soit, portable, internet.

Putain toi tu fais pas semblant d’être blanc.
[Rires] On était 2, moi et une Allemande. Ça fait une semaine de grosse prise de recul sur une partie du côté absurde de la vie de rappeur. Paradoxalement j’en suis revenu « moins chrétien ». Y’a des trucs mortels dans la religion mais j’ai compris que y’avait d’autres trucs qui sont pas pour moi. J’ai quand même gardé un genre de rapport à Jésus mais c’est un Jésus hyper personnel… je suis pas sûr que l’Église kiffe et que le pape soit chaud pour faire onduler le Christ dans des soirées LGBT.

Quand tu enchaînes « je danse comme Jésus / je danse comme une pute sur le dancefloor », c’est pas un parallèle du coup.
Entre Jésus et une pute ? Non non non, je pense que je blasphème malgré moi mais c’est vraiment pas une volonté, je respecte Jésus au max.

Ta première interview Noisey était dans un cimetière, celle-ci est dans un café, c’est ta façon de dire que c’est l’album de la maturité ?
Sachant qu’on est dans un PMU un peu cheap, je suis pas sûr mec. Ça résume un truc de ma vie : on est dans un PMU mais dans un beau quartier. Quand tu me vois, rappeur blanc cheveux longs, direct : ouah c’est un bourgeois. Alors que tu viens chez moi, c’est un 14m² éclaté, chambre de bonne au 6e. Quand j’ai fait le morceau avec Foda, il est venu chez moi et me fait « ah putain mais tu vis vraiment comme un pauvre, tu mens pas dans tes morceaux » [Rires]. J’ai une seule chaise, pas la place pour plus : Foda était sur un coin du lit en train de faire ses toplines du refrain et a enregistré littéralement sur mon lit avec un micro USB.

Du coup les conditions d’enregistrement c’est toujours home studio ?
J’étais beaucoup avec King Doudou, dans un gros studio, mais en gardant ce truc de DIY. Sauf que Doudou disait « putain mais je vois pas à quoi ça sert tout ça », du coup on avait devant nous 50 000 euros de matos et on a juste utilisé sa carte son à 200 balles. On voulait que ce soit suffisamment bon pour que ça fasse pro mais suffisamment simple pour garder la spontanéité. T’as une idée, tu le fais, même si ça passe pas par le préamp’ à 10 000 euros, tant que la prise est bonne.

Niveau ambiance c’est marrant, t’as le côté dansant mais pas du tout fêtard dans les paroles.
C’est ça. En soirée je suis pas vraiment partie prenante, plus observateur. Je regarde les gens danser, s’arracher la tête, j’analyse et j’y trouve une certaine beauté. L’album est un peu là-dessus. Sur le fait d’accepter de perdre le contrôle et lâcher prise. J’ai fait l’album à un moment où je commençais à vivre de ma musique. Tu te jettes dans le vide parce que le rap tu sais pas combien de temps ça va durer. Cet album parle beaucoup de saut vers l’inconnu. La soirée est une métaphore pour ça : dans un espace-temps bizarre, entre la nuit et le jour, t’es pas censé être debout. Mais c’est pas un album-concept sur les rave party des années 90 hein !

Ah, ça me fait penser à un truc que Jul m’ avait dit ça.
Ah ouais ?!

« Beaucoup de gens tristes aiment bouger, ils ont besoin de ça quand ils sont tristes. Le mélange des deux, du triste sur du dansant, c’est mon truc. »
Bah ouais en fait ! Après Jul a un côté ultra sud, méditerranéen, mais… Est-ce qu’on peut dire que je suis le Jul hollandais ?

Allez.
C’est bon t’as le titre de l’interview [Rires]. Pour être concret, je sortais de Sarah avec des accents chanson, qui avait eu une bonne critique venant de médias inattendus, France Inter, À nous Paris, etc. Les six premiers mois, cet album s’orientait vers de la chanson française, très piano-voix.

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© Pierre Aé

C’est vrai que je croyais que tu allais partir là-dessus, même en t’observant de loin.
Même « commercialement » c’était le choix logique à faire, sauf que je suis un peu con.

Et en plus si t’avais fait ça cette interview n’aurait jamais eu lieu.
[Rires] Je dis « nique sa mère un piano-voix », alors que j’en ai fait. Mais j’en étais pas satisfait. J’ai fait une micro-auto-analyse : qu’est-ce qui me plaît dans Hyacinthe ? « En pensant à nous », « Dans tes bras », « Sur ma vie » sont mes morceaux préférés, avec cette énergie électronique, avec du gabber, du hardstyle. C’est un truc que personne fait en France et qui me fait vibrer. Avec Doudou qui a co-réalisé l’album, on a fait « Rave », le morceau un peu médian : les synthés c’est du piano-house, la rythmique c’est trap. Tout le long de l’album fallait trouver l’équilibre entre rap, pop un peu weirdo (type Charli XCX) et électro. On déplaçait le curseur selon les morceaux : « Ultra Technique » est bien électro, « Musique Ignorante » plutôt rap, d’autres un peu plus pop, en restant électronuls, heu électroniques…

Ce lapsus sera retranscrit, faut que tu le saches.
Putain. [Rires]

Tu t’es pas dit qu’un sticker « réalisé par le beatmaker de PNL » ça vendrait plus ?
Pour Doudou ? Non, je pense que les diggers savent. C’est drôle parce que pour mes potes du rap c’est « le mec qui a produit pour PNL » et pour le reste du monde ou les gens de plus de 30 ans c’est Douster des années 2000, avec Diplo. Il a vécu longtemps en Amérique du Sud, il a beaucoup d’inspi de là-bas, je pense que c’est un des 1ers français sur du Baile Funk, il y est depuis 2008.

« Je fais du rap d’ado pour les adultes », c’est la phrase qui te résume le mieux non ?
C’est ma meilleure phrase je pense : on a tous une part d’adolescence qui reste, je parle de ces changements où t’es plus du tout un ado mais t’es pas un adulte non plus. En terme de public je touche beaucoup d’ados mais la majorité du public c’est des 22-25 ans, qui sont encore dans ce genre de problèmes. Tout le monde fait semblant d’être adulte. T’as des potes qui ont des enfants ?

[Rires] Ouais, c’est n’importe quoi.
C’est l’improvisation à chaque instant, on sera jamais vraiment adulte. Alors que quand t’es petit tu regardes tes parents en pensant que tout est prévu.

Un commentaire qu’on avait mis dans un récap du mois comparait ta musique à un « mélange entre Mylène Farmer et du jumpstyle »…
Franchement c’est pas mal je trouve [Rires].

Alors certes ça sonne flatteur, mais ça veut dire quoi ?
Rien, principalement. On va pas se mentir [Rires]. Je pense que ça veut dire qu’il y a un côté emo presque malaisant, genre j’ai envie que tu danses mais aussi que t’aies des frissons, que t’aies un kif et que tu chiales. Je voudrais qu’à mes concerts les gens pleurent en faisant des pogos. C’est un morceau faussement teubé, j’y vois un truc émouvant et c’est ce qui m’intéresse. Et en même temps les trucs persos que je raconte sont affreusement banals. Y’a une phrase de Foda qui m’avait piqué dans « Cache-cache » : « t’es comme tout le monde, y’a ton daron qui est absent ». Je raconte ça et j’essaie de mettre un truc dans le son qui fait que tu peux bouger la tête. Le freestyle « Survivre c’est courir », pour moi c’est ça. Une course vers l’oubli, pas forcément nihiliste. Y’a des moments pour trouver des solutions et quand y’a des trucs qui vont pas, faut aussi s’oublier par moments pour aller mieux après. Avant de repartir en guerre.

Comment s’est fait le choix des feats ?
Pour Foda de Columbine, en 2012, un mec tenait un blog, Chroniques Automatiques, je faisais littéralement 300 vues avec des sons enregistrés dans ma chambre. Il a écrit sur moi et c’est devenu un pote, c’est lui qui a fait la pochette de l’album, bisou à toi Pierre ! Je fais un concert en 2017 avec Columbine et à la fin on boit des bières dans un entrepôt où il me dit qu’il m’a découvert sur ce blog à l’époque. Donc c’était très niche, l’histoire était belle, ça nous a motivés à faire un son ensemble. Il a bien joué le jeu, il est allé ailleurs par rapport à ses habitudes.

Pour Les Pirouettes, on avait déjà fait un morceau, « Avec Nous », expérimental, où à la fin je chantais sous autotune, les gens savent peut-être même pas que c’est moi parce que ça ressemble presque à du saxo. Le morceau avait pas du tout une structure pop, du coup on s’est dit « le prochain on fait limite un tube, on stream sale ». Avec Doudou on a fait la prod et les 2 morceaux se complètent : le 1er est trop bizarre, celui-ci est trop un tube. L’entrée des Pirouettes « je m’en fous que tu dises que je fais de la musique commerciale », c’est marrant, c’est des petits chats et ils parlent comme des rappeurs, egotrip. Pr2B, c’est la pote d’une amie, elle avait pas encore sorti trop de sons, je trouvais qu’elle avait quelque chose. En ce moment l’industrie musicale est sur ses côtes, je suis content. Elle fait ses prods elle-même souvent, elle a une interprétation très chanson française mais les instrus sont énervées.

Les gens le savent pas forcément mais t’es un bousillé de rap français et tu sèmes des indices, tu as pas mal de phrases clins d’oeil, à Oxmo, IAM, Dicidens…
Oui, sur « Ventoline 4 » je place « de larmes et de sang », sur « Maintenant », « des quartiers neufs jusqu’aux pieds des grands ensembles » c’est L’Enfant Seul, dans « Rave » je parle des « anges au visages sales » (Luciano), y’a aussi « demain c’est loin mais demain c’est nous » (IAM), et dans « Ultra Technique », « il reste quelques miettes d’espoir », c’est pour le morceau de Despo. Même si je fais une musique différente, je reste un flingué de rap à la base, à 90 % ma culture c’est le rap, et surtout le rap français.

« Enfants de la lune » : c’est une référence à psy4 de la rime ou à Gringe ?
Ni l’un ni l’autre.

Tant mieux.
Je comprends le regard extérieur : « qui est ce iencli qui veut faire du rap alors qu’il vient de la pop ». Je peux te parler des heures de Dicidens ou Alkpote, sa première période, avant que ce soit la star qu’il est aujourd’hui. Unité 2 Feu, etc. J’ai le cul entre 2 chaises : Hyacinthe c’est pas du vrai rap vu du public rap et quand je fais des interviews avec des médias hors-rap, ils me demandent « tu te considères comme un rappeur t’es sûr ? Parce que c’est poétique ce que tu fais ».

Ah ouais ils veulent te faire une Lomepal comme on dit dans les milieux autorisés.
Alors que t’as le droit de m’aimer sans m’enlever l’étiquette rap, pas de honte ! C’est du rap avec de l’électro-pop, mais la base c’est du rap. Quand les rappeurs posaient sur du funk, on se posait pas de question, si tu réécoutes Public Enemy tu pourrais être tenté de les cataloguer rock en abusant. Ca va paraître prétentieux mais…

Je sais pas ce que tu vas dire mais je m’arrangerai pour ça paraisse ultra-prétentieux.
[Rires] À mon échelle, je comprends que des gens détestent ce que je fais, mais quand Migos disent « do it for the culture », ça me parle, je veux apporter ma petite pierre à l’édifice dans mon coin. Tu peux écouter Ninho et écouter Hyacinthe, c’est pas grave hein.

Mais tu dis aussi « rien à foutre de faire des grandes choses ».
Je suis un peu paradoxal parce que ça fait 6 mois que je casse les couilles à mon entourage « faut que je fasse mon classique ». Mais d’un autre côté je me dis jamais qu’il faut que je fasse de la grande musique. Je crois même que certains artistes peuvent finir aigris à cause de ça : quand t’as l’impression d’avoir loupé « LE » moment. Pour moi c’est déjà mortel de vivre de ma musique. Je suis pas riche mais mon métier c’est d’écrire des morceaux. Ça me suffit.

Sur « Sans moi » : « L’argent pourquoi pas mais moi je cherche le frisson », c’est une phrase de mec blindé ça.
Gros je peux te faire mater mon compte en banque tout de suite [Rires]. Quoique ça va mieux depuis que les packs de luxe sont en vente, mais y’a quelques mois c’était chaud. Je te dirai jamais que l’argent fait pas le bonheur, mais… bah, t’écoutes N.O.S, le mec a l’air tellement triste. Pourtant eux leur niveau de succès est fou, leur zic est meilleure que n’importe qui en France, ils sont beaux gosses, et pourtant, y’a un manque. Et autour de moi certains qui ont percé ont un peu eu des galères. Tu peux toujours être frustré en fait. Une fois que t’as rempli ta Maroquinerie tu veux ta Cigale. Tous mes potes artistes ont ce truc et du coup tout le monde se colle un stress. En plus les gens c’est des connards, ils attendent le dernier moment pour acheter leurs places [Rires]. S’il vous plaît, ayez pitié de nous, on angoisse à mort [Rires]. Et je pense que t’as ça à chaque échelle, pour un Bercy comme pour une mini-salle. Tant que t’arrives à être heureux avec toi-même c’est cool, c’est ça le but. Le frisson c’est le plus important.

Ton album est sorti en même temps que celui de Roméo Elvis : c’est ton moment, descends-le.
La guerre des vins blancs mec. Les squales ! Octogone direct. En vrai, de l’amour pour eux, bisou à Max, je suis un peu copain avec son manager. C’est devenu une méga popstar, on est pas dans la même ligue, mon truc c’est juste de faire mieux que mon album d’avant. Là, c’est jamais arrivé de ma vie qu’autant de gens écoutent et achètent ma musique. Littéralement. Tant que je progresse, ça me va.

Donc même pas de phrase « j’étais sponso Lacoste avant toi », etc.
Techniquement je crois bien que je suis le premier rappeur « officiellement » sponso par Lacoste. J’avais été un peu imposé par M/M, des légendes du graphisme, qui ont fait des pochettes de Björk, Biolay, taffé avec des marques de luxe, etc. Ils ont fait une collab’ avec Lacoste et voulaient que ce soit moi la musique, donc j’ai fait un showcase pour le lancement du truc. Ça a commencé comme ça. C’est marrant, j’y suis allé la semaine dernière, celle qui s’occupe des relations artistes m’a dit carrément « en vrai on a vu que ça s’est bien passé avec toi donc ça a lancé une piste de réflexion plus large, pourquoi pas Moha La Squale, etc ». [Rires] Putain, je savais pas que j’étais un trendsetter ! Roméo pareil c’est normal, il adore la marque, c’est cool qu’ils aient fini par bosser avec.

Donc quelque part c’est Hyacinthe qui a vengé Ärsenik.
Ah bah écoute mec… Tch tch !

Faudra que tu me files des sapes gratuites, histoire de faire tourner le white privilege un peu.
Vas-y ça marche. C’était incroyable quand je suis allé pécho des sapes l’autre jour d’ailleurs, tu vois des mecs dont tu connais la tête mais pas le nom : des présentateurs télé des années 90, des genre de golfeurs, etc. C’est un peu la confirmation que ces gens font vraiment leurs courses à un moment… C’est une décision que j’ai prise vite : ok j’accepte d’être un saltimbanque chelou, d’être « pauvre » à force de vivre de mes chansons sans rien faire à côté, mais par contre j’achète plus de vêtements. Ça donne ces situations absurdes où t’es mieux fringué que tes potes alors que t’es juste un galérien en vrai.

Est-ce que parfois tu te relis et tu enlèves des phrases pour éviter le cliché du wannabe poète ?
Ouais. Tout pour éviter de tomber dans le cliché « ma plume au clair de lune », etc.

Une t’a échappé : « pour ceux qui ont survécu, ceux qui se sont donnés la mort, pour les enfants de la lune surveillés par les miradors » : ça pourrait être dit par un mec en kilt aux Victoires de la musique à tout moment.
Ah merde, j’ai flanché. Ok, je suis prêt à l’accepter, ça va ça en fait une sur tout un album, ça passe.

Tu as fait un son « Retour aux pyramides » qui n’avait rien à voir avec les X et là tu fais « Ultra technique » alors que le texte et le flow sont pas techniques du tout. Faire chier les puristes c’est ton dada ?
[Rires] C’est pas voulu : « Ultra Technique » ça concerne l’instru comme tu le sais, pas du tout moi. Mais bon, j’attends le remix avec Nekfeu. Nekfeu si tu me lis ! Viens kicker ça stp. Y’aurait qui d’autre d’ultra-technique ?

On va dire Alpha Wann.
Voilà, Nekfeu, Alpha Wann et Damso, avec des accélérations de flow, sur le remix, ultra technique au sens rap ET au sens instru. Après la technique c’est aussi l’intelligence des placements pour moi. Pour moi le couplet de N.O.S sur « Au DD », le fait de s’arrêter un peu avant la mesure, de pas faire des mesures symétriques, etc, c’est technique. Perso, c’est plus niveau voix que je fais gaffe : j’ai viré les automatismes, ma voix est plus « claire » qu’avant, grâce aux concerts. À force tu poses ta voix de mieux en mieux. Ça a changé ma façon d’être en studio. Avant je faisais 8 mesures par 8 mesures, là c’est d’un seul coup, je gère mieux ma respiration. J’assume plus ma voix ; j’avais ce réflexe de rappeur, parce que j’avais écouté Booba, je forçais, je m’interdisais les aigus, etc. Je pense qu’Orelsan a décomplexé beaucoup de gens mine de rien.

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© Pierre Aé

« Fumée épaisse comme Smogogo », cette référence me rend perplexe.
T’as pas joué à Pokemon ?

J’étais un an trop vieux et déjà haineux envers ce jeu et son univers.
Putain déjà à l’époque ? T’es tombé super tôt dans la marmite de la haine quand même.

Ouais je faisais chier mes potes « arrêtez avec ça, venez on joue à GTA », le mec lourd quoi.
[Rires] Après c’est pas le plus connu des pokemons, mais j’allais pas faire un morceau Pikachu non plus, pas d’intérêt, et en plus je l’aime pas. Smogogo je l’aimais bien. Je voulais inviter Nessbeal dessus, le 2e couplet à la base, je l’aurais voulu dessus, on a presque réussi, j’avais un contact, et il a disparu dans la nature. J’espère qu’un jour je l’attraperai, à force de persévérance.

Tu as lâché le côté androgyne, à part une référence ou deux, il n’y a plus rien.
T’as un peu « Les garçons et les filles » pour ça, mais c’est vrai que c’est pas trop là.

Entre temps t’as trouvé une nouvelle meuf quoi.
Ouais voilà, go l’hétérosexualité [Rires]. Après je force pas trop le trait non plus, j’ai fait un morceau dans ce délire mais je vais pas pousser plus que ce que je suis : je suis à la fois un genre d’hétéro beauf mais j’aime bien avoir du vernis sur les ongles, j’aime bien écouter Kaaris avec une petite boucle d’oreille, voilà.

Très Young Thug finalement.
Voilà. Sois qui tu veux, si tu fous des robes ça va strictement rien changer à ta sexualité, on s’en fout. En ce moment les questions d’identités bloquent beaucoup de gens dans les deux sens alors que ça devrait être aussi futile que des questions de goûts genre « moi j’aime la menthe à l’eau, moi c’est la grenadine », rien à foutre, vraiment.

Tu te fais doubler sur ce terrain par Eddy De Pretto de toute façon. Ceci dit t’avais critiqué le refrain d’Alpha 5.20 sur « Crépuscule des empires ».
D’un côté je serais complètement fou d’attendre qu’Alpha 5.20 soit le plus queer des rappeurs [Rires]. Ce qui m’avait un peu blasé c’est le côté « LOL MDR » que plein de gens ont mis alors qu’Alpha est super sérieux. Non ?

Ce qui a l’air de le gêner c’est que des rappeurs s’appellent Thug et Uzi tout en ayant une esthétique efféminée, en gros le mec va jamais rapper « Elton John pédé, Freddie Mercury pédé » parce que d’une part il s’en fout mais surtout il n’aurait pas vu de tromperie sur la marchandise. De ce que j’ai compris.
Hmm, parce qu’il aime pas l’idée que ça lance une sorte de mode dans le rap… je vois le truc. Je trouve que le rap historiquement, depuis toujours, se fait accuser de tous les maux par les médias grand public. Homophobe, misogyne, raciste, tout et n’importe quoi. Du coup ça a développé chez nous ce truc de tout minimiser, on a le défaut inverse, incapables de dire « c’est chaud ce que tu viens de rapper en vrai ». Par contre j’irai jamais essayer de dénoncer ça sur un plateau télé ou quoi que ce soit parce que t’es chez l’ennemi. J’en ai rien à foutre de ce que Ruquier pense du rap, je suis un auditeur de rap, lui non.

Pour prendre un exemple con, si j’ai un pote à moi dans la pièce qui fait une sortie raciste, homophobe ou sexiste et que je lui dis rien, je suis un peu un bouffon. Y’a 10 ans je pouvais comprendre ce réflexe de protection. Mais là on a gagné la guerre économique : si Hyacinthe vit de sa musique, ça veut dire que 3000 rappeurs ou gens du rap minimum doivent vivre de leur musique. On peut prendre le risque parfois de dire « gros ton truc peut être très mal pris ». Après c’est pas du tout mon cheval de bataille en vrai, on m’avait posé cette question dans l’interview et le morceau venait de sortir. Mais le rap est pas plus sexiste que la chanson française ou la pop, faut le rappeler aussi.

Tu m’avais parlé d’un rendez-vous folklo en maison de disque.
J’ai fait un ou deux rendez-vous cauchemardesques où t’es face à un gars qui te dit qu’il adore ce que tu fais et t’as toujours une phrase qui nique tout, « tu pourrais être le nouveau X ou Y », et c’est des gens qui font une musique qui n’a rien à voir, de Fuzati à Orelsan. En gros.

C’est des gens qui ont pris le questionnaire rappeur blanc au premier degré en fait.
[Rires] Voilà. Là l’album est sorti chez Wagram, techniquement je suis signé en artiste mais je fais mon truc dans mon coin, pas de D.A en studio et je fonctionne comme quand j’étais en autoprod : j’annonce le truc, on va faire ça, soit on le fait ensemble, soit on le fait de notre côté. Pour le freestyle « Ventoline », c’est ça, j’étais chez Krampf, je sais que je veux le sortir. Pour la promo, pareil, c’est mon attachée de presse charo qui a été te débaucher [Rires], etc. De notre côté on a copié le principe des Rave Party : t’appelles un numéro où tu reçois un SMS, d’où le numéro de téléphone dans le clip de « Rave », t’envoyais un SMS, tu recevais un freestyle qui n’était pas sur Youtube et dans lequel je disais la date de sortie de l’album.

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© Pierre Aé

Tu es plutôt quelqu’un de sympa & souriant. Combien de temps ça a pris de bosser ton regard « sombre et tourmenté » ?
En vrai je masque la timidité par ce truc « ouais je suis ténébreux et froid ». C’était un pote à moi qui m’a dit « tire un peu la tête en arrière et plisse les yeux », et révélation ! C’était en 2012 et je lui ai dit t’inquiète ça je garde. C’est même pas une question d’image, j’aime bien faire des clips mais c’est une source de stress. J’aime le fait qu’avec le streaming on retourne un peu à la musique. « Les Garçons et les filles » on l’a pas clippé et c’est celui qui marche le mieux. Je trouve ça cool.

Pour les 30 nostalgiques de l’époque DFHDGB, tu vas rebosser avec Krampf et L.O.A.S ?

Tout est possible. Krampf en a plus rien à foutre de se concentrer sur les prods de rap, je crois qu’il préfère vraiment faire de la musique de drogué. Même quand il en faisait pour la MZ c’était Jok’Air qui allait chez lui et lui demandait directement « hé fais une prod ». LOAS est dans sa vie de famille. Je continue de voir Krampf régulièrement, je trouve ça bien qu’il ait quand même une prod dans l’album, il a participé à l’intro.

« Peur de devenir une caricature de moi-même, que Marin disparaisse dans Hyacinthe », tu fais quelle différence entre les deux ?
Hyacinthe c’est des « bouts » de Marin tu vois. Je suis pour l’instant plus doué pour faire du mélancolique, fêtard triste, que pour faire des trucs légers comme là, balancer des blagues dans ce bar. Ça surprend parfois les gens qui me rencontrent. Cette phrase c’est aussi pour pas tomber dans l’egocentrisme total « oui moi et mon art ». On est déjà très égocentriques dans le son : je te parle de mes problèmes de reup et je considère que ça doit être entendu par toute l’humanité, c’est déjà chelou. Faut faire gaffe. Quand je suis avec mes proches, ça peut vite devenir relou pour eux, genre tu deviens le sujet d’attraction principal alors que t’es franchement pas plus intéressant que les autres. Surtout que c’est le genre de taf où quand t’as le nez dedans pendant des jours entiers, après t’as envie de parler d’autre chose pour déconnecter. Venez on parle de meufs et on se bourre la gueule.

Tu as résolu ton problème d’éternuements intempestifs ?
Je me soigne mieux qu’avant. Mais c’est vrai que j’éternue toujours beaucoup, sauf que je contrôle mieux. Des gens doivent régulièrement me prendre pour un cocaïnomane fini, surtout dans des backstages de rappeurs où j’arrive et direct je me mouche comme je me mouche depuis mes 5 ans, et [il chuchote] « ah t’as vu lui il est sûrement camé » [Rires]. Non, je suis juste niqué au pollen et j’ai un nez de merde.

Donc tu vas plus involontairement envoyer de la morve à des inconnus dans le métro comme y’a quelques années ? T’avais raconté ça sur Twitter.
Je me rappelle pas vraiment avoir déclaré ça mais je suis prêt à l’assumer.

On arrive à la fin. D’un côté t’es un bon gars donc je te souhaite de percer, d’un autre côté si tu perces tu auras…
Des clones !

Je pensais plutôt à des déficients qui diront « renouveau à mille lieues des clichés du rap, mélancolie de la génération Tinder ». Tu sais que ça arrivera.
Ouais, flemme. Y’en a déjà quelques uns qui le font, c’est insupportable. Non, la ligne bougera pas, et je pense que c’est même pas si payant : les gens qui n’aiment pas le rap ne changeront pas. Pourquoi aller les draguer. Déjà en ce moment t’as ce phénomène horrible de 1000 projets qui sont techniquement de la chanson ou de la variété mais qui sont vendus comme affiliés au rap alors que non. Flemme un peu.

[II prend exprès des intonations ultra-pédantes] « Je suis plus un artiiiiste qu’un rappeeuur, bien sûûûr, à la rigueur un poète du rap ». Non, ça en vrai nique sa mère. Après c’est con parce que c’est pas un bon choix commercialement. Cet album c’est la 1ère fois que je bosse avec des producteurs hors-rap. Tous mes réflexes en studio, je constate que c’est des réflexes de rap : les mecs de la pop qui ont l’habitude des chanteurs, ont l’habitude de vraiment maquetter, puis de tout enregistrer en une semaine. Tout est écrit, texte et mélodie, etc. Moi c’est direct, ça n’a rien à voir. J’ai des potes autant dans le rap qu’ailleurs, je vais passer de Jok’Air aux Pirouettes et c’est vrai que le rap est une musique qui se fait vite, à l’instinct. Quand je bossais avec Alexis (le producteur de « Nuit Noire » et « Maintenant »), il était très surpris, ça allait trop vite et il me racontait qu’avec son groupe c’était pas ça du tout, tant que la chanteuse ne sait pas si la dernière note du couplet c’est un do ou un ré, pas d’enregistrement. Alors que nous on est là, pffff, allez on mettra de l’autotune d’façon [Rires].

Hyacinthe est en concert le 6 juin à La Maroquinerie.

Son album RAVE est sorti en avril dernier et est toujours disponible chez Chapter Two Records / Wagram.

Il n’a, jusqu’à ce jour, donné aucun vêtement Lacoste à Yérim, ce qui est un grand pas pour la déontologie mais une triste nouvelle quand on connaît l’état de sa garde-robe.

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