Hey les #génies, vous renverser un seau d’eau glacée sur la tête ne fera pas de vous des philanthropes

À moins d’avoir passé ces derniers jours enfermé dans votre cagibi, vous n’avez pas pu passer à côté du nouveau truc qui s’est emparé d’internet : les vidéos du Ice Bucket Challenge. Le principe : vider sur votre tête le contenu d’une bassine contenant de l’eau glacée puis nominer d’autres personnes afin de les obliger à en faire de même. Pourquoi faire un truc aussi stupide ? Eh bien, pour collecter des fonds afin de lutter contre la maladie de Charcot. En effet, si jamais une poule refusait ce challenge, elle se verrait obligée de verser 100 dollars à une association de son choix. Évidemment, la plupart des grandes fortunes de ce monde ont accepté de se tremper la gueule et de donner de l’argent, ce qui rend les règles du jeu un peu caduques.

On pourrait dire beaucoup de choses sur cette nouvelle passion virale qui se propage plus vite que le virus Ebola, mais le truc le plus chiant, c’est que sous couvert d’altruisme, les gens dévoilent leur profond narcissisme. Internet aura oublié cette terrible maladie dans deux mois, lorsque l’automne aura repris ses droits et que d’autres stars se mettront à gober le plus de Chamallows possible pour lutter contre la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

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L’activisme viral, ou slacktivisme, permet à n’importe qui de donner l’impression de faire quelque chose de généreux en postant simplement une vidéo sur Facebook. Si l’idée est louable à l’origine, je parie que les malades de Charcot, une fois la mort du hashtag qui leur est dédié, retomberont dans l’anonymat dans lequel ils vivent depuis toujours. Lady Gaga aura trouvé une nouvelle lubie, Bill Gates une énième passion et Twitter fourmillera d’idées révolutionnaires et pourtant archaïques dès leur apparition.

Une bonne idée marketing n’étant jamais synonyme de bonne action, voici de nombreux exemples de ce que l’internet nous a offert de pire au cours de ces dernières années. 

LES BRACELETS LIVESTRONG
Bien avant l’apparition du mot hashtag, il était possible pour tout un chacun de défendre une cause et de l’oublier quelques jours plus tard. Vous vous souvenez de ces petits bracelets jaunes pisses que plein de gens ont mis autour d’une poignée pendant une semaine ? Créés par Lance Armstrong tandis qu’il dominait encore le Tour de France, ils étaient le symbole de la fondation Livestrong, qui lutte activement contre le cancer. Toutes les stars portaient ce truc, de Will Ferrell à Matt Damon, fait qui leur octroyait une aura de bonté et de sensibilité impossible à remettre en question.

OK, l’euro que vous dépensiez pour le bracelet finançait directement la recherche contre le cancer. Du moins, c’est ce que vous pensiez. En réalité, la fondation Livestrong a arrêté ses recherches dès 2005. Plus de 80 millions de bracelets ont été vendus et on se demande où a pu finir tout cet argent. Peut-être dans les poches des anciens sponsors de Lance Armstrong ?

#HAÏTI
Le monde entier était sous le choc à la vue des images d’Haïti au lendemain du tremblement de terre de magnitude 7 qui a secoué le pays en 2010. 200.000 personnes avaient péri et le pays était en ruine. Le hashtag #Haïti s’est propagé comme une trainée de poudre sur Twitter et a permis de récolter plus de 8 millions de dollars très rapidement.

Malgré tout, le monde entier a oublié ces pauvres Haïtiens qui sont pourtant 200 000 à vivre aujourd’hui dans des camps de réfugiés insalubres. Il y a peu de temps, NPR rapportait que la plupart vivaient toujours sans eau, ni électricité. Pourquoi la twittosphère ne s’indigne-t-elle pas ? Peut-être parce qu’elle n’en a jamais eu rien à foutre.

KONY2012
Joseph Kony n’a pas attendu l’année 2012 pour kidnapper des enfants en Ouganda. En réalité, il est considéré comme le leader d’un groupe terroriste depuis 2001 et a été accusé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale Internationale en 2005. Le choix de l’année 2012 semble être totalement aléatoire, l’internet devait sans doute être lassé de s’occuper du sort des Haïtiens et était avide d’une nouvelle bonne parole à répandre.

Le mini-documentaire Kony 2012, créé par un certain Jason Russell, a été partagé 11 millions de fois et vu par plus de 100 millions de personnes – dont Rihanna et Kim Kardashian. Bon, Joseph Kony a fui l’Ouganda bien avant 2012, et il ne s’agit que de l’une des nombreuses inexactitudes de cette ode au sentimentalisme forcé.

Le but du film était « d’arrêter Kony ». Personne ne savait vraiment comment faire, mais les gens se sont empressés de débourser 30 dollars pour quelques goodies estampillés Kony2012. L’ONG de Russel a accumulé des millions, sans que personne ne connaisse la façon dont l’argent allait être dépensé. En 2014, le mouvement de Joseph Kony est encore actif et son leader court toujours. Si le film n’a pas permis l’arrestation de Kony, il l’aura au moins rendu célèbre.


Photo via le compte Twitter de Frédéric Michalak

MOVEMBER
Mouvement ayant contribué au retour de la moustache dans l’espace public, Movember a pour but de sensibiliser la population aux cancers de la prostate et des testicules, maladies qui continuent de décimer la population masculine. Si la récolte de fonds est une réalité et un succès, Movember est devenu l’étendard de toute une génération de rugbymen qui, à force de mêlées constrictrices, en vient à avoir plus de pilosité au dessus de la lèvre que de neurones dans la boite crânienne. Sincèrement, depuis quand les moustachus participent-ils à des œuvres de charité ?

#BRINGBACKOURGIRLS
En avril dernier, les médias s’émouvaient du kidnapping de 276 jeunes Nigérianes par la secte islamiste Boko Haram. Connu pour sa violence, le mouvement a assassiné plus de 900 Nigérians entre 2009 et 2012, et terrorise le pays depuis 2011 via ses kidnappings répétés et ses attentats à la bombe. Goodluck Jonathan, le Président du Nigeria, a déclaré l’état d’urgence dans de nombreuses régions du pays en mai 2013 face aux actions de ces fondamentalistes.

Mais ce n’est qu’après l’enlèvement massif d’avril dernier que Twitter et Facebook ont réagi en Occident, en diffusant massivement le hashtag #BringBackOurGirls. Bon, je ne vois pas vraiment le lien de filiation entre ces filles et Valérie Trierweiler mais OK, tout le monde semblait s’être réveillé à ce sujet. Sauf qu’aujourd’hui, ces filles n’ont toujours pas été retrouvées, et que tout le monde s’en fout, trop occupé à suivre la fin de la saison 4 de Game of Thrones, la Coupe du monde de foot et aujourd’hui les tribulations amoureuses de Jay Z et Queen B. Le Nigéria a déclaré que l’enquête prenait fin et que les écolières demeuraient introuvables. Pendant ce temps-là, Boko Haram continue à kidnapper des gens.

#ICEBUCKETCHALLENGE

Nous y voilà. Ce phénomène a réutilisé le principe des Neknominations afin de se développer de manière exponentielle. Cependant, les têtes pensantes du mouvement ont cru bon de préciser que, « contrairement aux bourrins qui se mettaient au défi de boire un demi-litre de pastis », le IceBucketChallenge adoptait pour sa part « une dimension philanthropique ». Sauf que la plupart des participants ne font même pas la moindre référence à la maladie de Charcot.

En effet, toutes ces vidéos nous permettent surtout d’admirer le caleçon de Cristiano Ronaldo ou le sens de la communication de Lady Gaga, et j’ai comme l’intuition que peu de gens pourraient expliquer ce qu’est cette maladie neurodégénérative. Pour votre information, 80% des personnes atteintes meurent dans les 5 ans. Il n’y a aucun remède à la sclérose latérale amyotrophique et si vous voulez vraiment aider votre prochain, donnez directement à une association ou alors devenez volontaire. Je n’empêcherai jamais quiconque de se verser une bassine de glaçons sur la gueule, mais bon, la prochaine fois évitez au moins de prétendre que vous le faites par générosité.

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