Ils ont parcouru la planète pendant neuf mois, traversé trois océans et arpenté les plages d’îles paradisiaques comme celles d’Hawaii, des Bermudes ou de l’archipel des Açores, à la recherche des particules de plastique qui polluent nos mers.
De retour sur la terre ferme, les scientifiques et volontaires de la fondation suisse Race for Water ont rendu cette semaine un verdict sans équivoque.
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« On ne peut pas débarrasser les océans du plastique qu’ils contiennent, ce serait scientifiquement et financièrement irréaliste », nous a expliqué ce mercredi Anne-Cécile Turner, directrice de cette fondation. « Il y a trop de sources de pollution, et nous ne disposons d’aucune technologie capable de débarrasser la mer de tout ce plastique. »
Le trimaran de course MOD70 de la fondation Race for Water avait quitté le port de Bordeaux (sud-ouest de la France) en mars 2015. Océan Atlantique, sud et nord du Pacifique, mais aussi océan Indien : l’équipage a navigué au milieu des cinq plus grands « gyres » du monde , ces spirales créées par les courants marins qui entraînent des tonnes de morceaux de plastique avec elles.
« On entend souvent parler d’un soi-disant “continent de plastique”, mais cela n’existe pas », nous a expliqué Kim Van Arkel, une jeune océanographe qui travaille comme conseillère scientifique pour la fondation Race for Water. Elle a participé à l’expédition.
« Il s’agit plutôt d’une soupe de plastique, qui est très difficile à repérer car les particules flottent à une dizaine de centimètres sous la surface de l’eau. »
« Certaines plages m’ont choquée »
Pendant neuf mois, les équipes de Race for Water ont pu faire une quinzaine d’escales à travers le monde pour étudier les côtes. Dans certaines grandes villes, comme Valparaiso au Chili, Shanghaï ou Rio de Janeiro, l’accent a été mis sur la sensibilisation des populations. Sur les petites îles et les archipels, c’est un méticuleux travail de collecte d’échantillons qui a été mené.
Les membres de l’expédition ont notamment utilisé des drones et effectué des prélèvements, qui ont montré que les morceaux de plastique peuvent avoir plusieurs tailles — et qu’ils ont une fâcheuse tendance à s’effriter.
« C’était comme verser du riz dans un bocal, sauf que c’était entièrement fait de plastique »
« Avec l’action du soleil et du sel, le plastique se désagrège et devient très difficile à attraper, même avec une pince à épiler », nous a raconté Kim Van Arkel.
De nombreuses îles situées à proximité des gyres agiraient comme des « filtres » d’après cette scientifique, créant des situations critiques sur leurs côtes.
« Certaines plages m’ont choquée, avec une pollution bien visible comme des fragments de caisses, des bouts d’aspirateur, des bouteilles en plastique qui tombent en morceaux quand on les attrape », se souvient Van Arkel.
Parmi les endroits qui ont le plus marqué la chercheuse, la plage de Kamilo — située à l’extrême sud de la plus grande île d’Hawaii. Elle a laissé un goût amer à la jeune femme.
« On n’en revenait pas, sur l’un de nos prélèvements, la concentration de plastique dans le sable était très élevée », dit-elle.
Ce jour-là, sur un échantillon carré de 50 cm de côté pour 10 cm de profondeur — la taille d’un tiroir standard —, les chercheurs ont récupéré dans le sable de cette île très prisée des vacanciers assez de plastique pour remplir 9 bocaux de 180 ml, soit 9 pots de yaourt classiques.
« C’était comme verser du riz dans un bocal, sauf que c’était entièrement fait de plastique », nous a décrit Kim Van Arkel.
Problème marin, solution terrestre
En 2014, un jeune hollandais de 20 ans, Boyan Slat, avait fait sensation en proposant un système de barrage flottant pour collecter le plastique des océans — une solution qui n’avait cependant pas convaincu la communauté scientifique.
« Dire que l’on peut nettoyer les océans, c’est très bien pour sensibiliser les populations, car des îles qui n’ont presque pas accès à Internet ont quand même entendu parler de ces projets », nous a expliqué Kim Van Arkel.
« Mais d’un point de vue scientifique, c’est juste impossible, parce que même avec un filet ou un aspirateur géant — ce que nous n’avons pas —, je ne vois pas comment on peut collecter le plastique sans tuer certains organismes essentiels comme le plancton. »
Après leur mission d’exploration, les chercheurs de la fondation Race for Water en sont venus à la conclusion suivante : la solution à ce problème ne se trouve pas sous ou sur l’eau, mais elle repose sur une meilleure gestion des déchets sur la terre ferme.
« Le mieux que l’on puisse faire, c’est de limiter la future pollution plastique, autant que possible », nous a expliqué Anne-Cécile Turner. « Il faut donner une plus grande valeur à ces déchets pour qu’ils ne se retrouvent pas dans les rivières, puis dans les océans. »
Dans certaines régions du monde, le ramassage des déchets est un problème quotidien, souvent aggravé par la pauvreté et l’existence de décharges à ciel ouvert.
Face à cela, la solution proposée par Race for Water consiste à créer « une boucle vertueuse » autour du plastique, par exemple grâce à de futurs systèmes de transformation de ces déchets en énergie, sous forme de gaz.
Plus de plastique que de poissons dans les mers d’ici 2050
« Chaque année, 8 millions de tonnes de plastique se répandent dans les océans — ce qui équivaut au déversement du contenu d’un camion poubelle par minute », indiquait un rapport de la fondation Ellen MacArthur, présenté au Forum économique de Davos il y a un peu plus d’un mois.
« Si rien n’est fait […], en 2050, il y aura plus de plastique que de poisson dans l’océan », prévenait alors ce rapport.
Dans le viseur de cette fondation, les emballages plastiques, qui ont souvent un usage unique avant de finir dans la nature. Au niveau mondial, seul 14 pour cent de ces emballage seraient recyclés correctement d’après ce rapport.
Les échantillons collectés à travers le monde par l’équipe de Race for Water sont actuellement analysés par trois universités européennes situés en Suisse et en France.
« Nous allons bientôt en savoir plus quant aux effets de cette pollution sur les larves et les jeunes poissons », a indiqué Kim Van Arkel.
« Les analyses mesurent aussi la toxicité de ces micro-plastiques, car ces particules sont comme des éponges qui absorbent d’autres polluants présents dans les océans. »
De plus en plus présente dans les débats environnementaux, la pollution au micro-plastique fait partie des priorités de nombreux laboratoires à travers le monde, aux États-Unis et en Australie notamment.
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