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La bataille de Verdun de Black M

Ça commence comme une blague ratée et ça finit par un grand n’importe quoi : c’est la polémique rap français de la semaine. Ce mardi 17 mai, le maire de Verdun a confirmé une ultime fois que le concert du rappeur Black M prévu dans sa ville le 29 mai était annulé. Retour sur un fiasco hors-normes.

À l’origine de tout ce ramdam : un concert de Black M programmé le 29 mai, en marge des commémorations du centenaire de la Bataille de Verdun. Bref, un show tout ce qu’il y a de plus classique – il n’était pas question ici de lui faire chanter « Sur ma route » aux côtés de François Hollande et Angela Merkel – et c’est d’ailleurs un peu dommage, surtout pour la chancelière. Sauf que l’info n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd, mais dans celles d’une tripotée d’abrutis, qui se sont immédiatement mis en branle pour dénoncer la présence du rappeur à tel événement. Le feu a ensuite pris rapidement : tags Facebook, pétitions, élus de droite et d’extrême droite alertés par des web-patriotes qui relaient la polémique avec un enthousiasme non dissimulé, mairie croulant sous les insultes et le menaces et, fatalement, annulation du concert.

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Côté fans, le hashtag #JeSuisBlackM fait une brève apparition en TT sur Twitter pendant que, dans le camp adverse, des militants se félicitent de l’annulation, allant jusqu’à fêter la victoire en vidéo avec du vin et du saucisson (bon marché qui plus est, c’est triste). Les soldats morts durant la Grande Guerre sont loin, on rigole, on est bien.

On notera bien sûr des dommages collatéraux toujours divertissants dans la classe politique, avec des interventions allant de Manuel Valls à Hervé Mariton en passant par la Ministre de la Culture et les têtes de liste du FN. Comme toujours, ce sont les rappeurs en manque de buzz qui font le plus de boucan, mais comme d’habitude, ça manque tristement de flow et d’instrus, même s’il y a de l’envie. On notera également une intervention du Président de la République, qui tient surtout à préciser que l’Etat français n’est pas une pince et qu’il n’a jamais été question de sucrer des fonds pour l’événement.

L’objet du scandale

#1 : Son racisme anti-français : « Je me sens coupable quand je vois ce que vous a fait ce pays de kuffar ». Le mot kuffar pose problème puisqu’il signifie mécréant. Les plus téméraires des détracteurs du rappeur ont noté que le terme appartenait au « lexique de propagande de Daesh », ce qui voudrait dire que Black M est un agent dormant depuis 2010 et qu’il a jugé bon de le clamer haut et fort sur un morceau clippé et vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Et ça c’est un scénario de légende.

On pourrait aussi noter que si Black M se « sent coupable » c’est qu’il estime avoir une part de responsabilité là-dedans sachant qu’il précise qu’il « n’a pas la foi » 2 mesures plus haut mais bon, ce serait dommage de jouer les perfectionnistes à ce niveau.

#2 : Son homophobie : La polémique provoquée par le groupe Sexion d’Assaut il y a quelques années était tout à fait justifiée, mais ne concernait pas Black M. En effet, les rimes homophobes incriminées étaient le fait de Maître Gims et les déclarations en interview étaient signées Lefa. En même temps, peut-on en vouloir aux politiques et aux journalistes ? Gims, Lefa et Black M sont tous les trois noirs en plus de faire partie du même groupe : c’est facile de se tromper. Et puis, entre nous, un groupe réellement homophobe aurait-il fait des clips comme « Wati-House » ? Le débat reste ouvert.

#3 : Son antisémitisme : là on touche au sublime puisque cette accusation se réfère à l’usage du mot « youpin » par Black M dans un couplet du morceau « Dans ma rue ». Qui est une reprise de Doc Gynéco sans aucune modification apportée au texte. Qui date de 1996. Et qui comporte plus loin le passage « ma rue, c’est une pub pour Benetton et tout le monde écoute les mêmes sons à fond, mangeurs de cacher ou de saucisson ».

Match (très) nul

Sauf que voilà, si les revendications des fafs de tous bords ont trouvé un écho plus fort ici qu’ailleurs c’est que pour une personne normale, l’affiche « Black M à Verdun » est, au mieux amusante, au pire incongrue, mais reste globalement plutôt absurde.

Pour rappel, le rappeur était censé chanter devant 4000 jeunes. Et c’est peut-être ça le plus flippant dans cette histoire, mais nous ne sommes pas là pour juger, d’autant que Verdun n’étant pas la ville la plus funky du monde – les mecs font avec ce qu’ils ont, après tout. La mairie a longuement expliqué qu’il s’agissait de transformer la journée en un truc transgénérationnel, qu’il fallait que tout le monde soit content, etc. Sans doute que la première réponse officielle de l’artiste (« peu importe qu’on aime ou pas ma musique, on va s’amuser », en gros) n’a pas non plus aidé à comprendre la pertinence du concert précisément à cette date.

Pour le coup, c’est vrai que le rapport entre les deux événements est assez obscur, même quand on sait que le second se produit en marge du premier. Sauf si on met la démarche en perspective avec l’intégralité des journées commémoratives officielles organisées en France ces 10 dernières d’années. Évidemment que faire venir des superstars de la variété est probablement un truc complètement con dans un contexte pareil, mais on est en France, et en France, on fait ça tout le temps, en se disant : « OK, c’est peut-être nul et illogique mais c’est le seul moyen d’intéresser des gens à l’Histoire. » Parce qu’une commémoration, à la base, c’est très, très chiant, ça l’a toujours été et ça le sera toujours. La venue d’un chanteur populaire, c’est la garantie de faire bouger un minimum de foule entre l’instant larmichette de Germaine et le discours du petit-fils de René. Si l’on prend au hasard les festivités du 14 juillet 2011 vers Valenciennes (juré, rien de méchant contre la ville) on a pêle-mêle : Axelle Red, Annie Cordy, Lââm, Gérard Lenorman et un sosie de Mike Brandt (ou à peu près). Et on a entendu quelqu’un crier ? Je ne crois pas.

On pourrait objecter qu’il s’agit là de fêter la prise de la Bastille et non d’honorer les morts qui se sont battus pour la liberté. Sauf que, si l’on en croit la mairie de Verdun, les autres prétendants à la tête d’affiche du grand-concert-de-rassemblement-transgénérationnel étaient Cali, Zaz et Bernard Lavilliers. Si vous pouvez m’expliquer en quoi ces trois-là représentent un choix plus pertinent que Black M – en dehors de leur pigmentation – venez réclamer votre cadeau à l’accueil, vous l’avez mérité.

Ces trois artistes ont toutefois un point commun avec Black M : le nombre de ventes. Et c’est sans doute l’envie d’attirer la frange la plus jeune du public qui a fait pencher la balance du côté du rappeur. Parce que pour ce qui est du reste, on a affaire à un artiste de variété tout ce qu’il y a de plus consensuel. Pas besoin de vous ressortir la vidéo où Black M et une partie de la Sexion d’Assaut rappent à une Bar Mitzvah en 2012 pour comprendre qu’on n’est pas exactement chez NWA. La réponse officielle du rappeur va d’ailleurs dans ce sens, entre photos de famille de son grand-père tirailleur (qui ont ému François Hollande) et discours formaté saison finale de Plus belle la vie, là où une simple photocopie de sa fiche d’impôt aurait suffi à prouver qu’il est aussi (si ce n’est plus) français que les 3/4 des crétins qui l’insultent depuis une semaine.

On appréciera donc – une fois de plus- le paradoxe inhérent à ce genre de scandale. Pour que des gens qui n’y connaissent absolument rien soient outrés dans les grandes largeurs, il faut que l’événement soit médiatisé, pour cela il faut que le rappeur soit un minimum connu et pour que le rappeur soit connu, dans 90 % des cas, il faut qu’il soit inoffensif. D’où une bataille rangée entre des doux débiles persuadés d’avoir affaire à un Noir-haineux-islamiste-radical et la musique de Black M qui, entre singles pour enfants de 3 à 16 ans et hits pour club, n’a pas vraiment le profil recherché. Ça a malgré tout au moins le mérite d’engendrer des titres de vidéo très gratinés, comme l’inespéré : Mariton : “Je n’encourage pas la jeunesse à écouter Black M”, qui sous-entend explicitement que cet homme s’imagine que quelque part en France, des jeunes attendent sa validation pour écouter quoi que ce soit.

Rappelons au passage que ce qui vient de se passer à Verdun n’est qu’une copie de ce qui était arrivé au groupe Sniper en 2003, quand les joyeux lurons du Bloc Identitaire avaient mis la pression sur plusieurs mairies et élus pour faire annuler leurs concerts. Pour ceux qui se posaient encore la question : oui, il est facile d’interdire des spectacles en France, il suffit de faire suffisamment de bruit pour que la mairie estime qu’il y a un risque de trouble à l’ordre public (cf. Sexion D’Assaut (again), Death In June, Viol). Ce qui diffère dans le cas de Verdun, c’est qu’il s’agit d’un événement officiel approuvé en haut lieu. Mais ça n’a malheureusement jamais empêché personne de se dégonfler.

Ce qu’on ne vous dit pas

Déjà à l’époque, une élue avait médiatisé la question en tombant droit dans le panneau et c’était notre Nadine nationale. Son intervention concernant Verdun était-elle finalement empreinte de nostalgie ? Que nenni. Il s’agit d’une vengeance en bonne et due forme.

2010 : la Sexion cartonne, parmi ses premiers singles bastonnés en radio on trouve « Casquette à l’envers ».

C’est bien la déclaration de la blonde platine républicaine qui ouvre le morceau, c’est d’elle que se moquent Dawala et son pote, et les membres du groupe plaisantaient souvent à son sujet à l’époque. La vengeance est un plat qui se mange froid, ne l’oubliez jamais.

Mais il y a pire : Marion-Maréchal Lepen figure également en bonne place dans ceux qui ont fait leur possible pour que la polémique enfle. Cette fois, il semble évident que c’est la groupie qui a réagi et non la politique. Souvenez-vous, il y a moins d’un an, Marion expliquait sans complexe : « Je vais peut-être vous surprendre mais j’écoute du rap aussi. […] J’aime beaucoup Sexion d’Assaut et Maître Gims aussi… »

Partant de là, tout devient limpide. La jeune fan de la Sexion a dû, comme tous les supporters du groupe, regarder avec des étoiles dans les yeux la venue de Gims au Stade de France et n’a pu retenir ses larmes en constatant que son idole se faisait copieusement huer pendant plusieurs minutes. La brave wati-blonde n’a donc eu d’autre choix que de faire tout son possible pour éviter à Black M une humiliation pareille, dans le doute. Être fan, c’est aussi devoir faire des sacrifices.

Tout cela nous rappelle que le rappeur interdit de concert est loin d’être un danger public, et c’est peut-être ça le plus triste dans cette polémique. Prendre Black M pour symbole du rap anti-français c’est un peu comme censurer Camping 3 pour pornographie parce qu’à un moment des mecs en slip apparaissent. On en arrive à un point où l’on est presque forcé de défendre des artistes insupportables aux discours incroyablement niais dans des événements sans queue ni tête. Ressaisissez-vous, putain : attaquez-vous au moins à des mecs intéressants.


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