Il n’y aura plus jamais de types comme Phil Collins et, franchement, ça craint. Je ne dis pas qu’il n’y aura plus jamais d’artistes capables de s’aventurer du côté sombre de l’über-mainstream et de péter des méchants solos de batterie, mais il n’y a clairement plus de place aujourd’hui, dans le cercle très fermé des pop-stars internationales, pour les types qui ont des dégaines à jouer dans Le Coeur Des Hommes 4. En fait, je suis même à peu près certain qu’il n’y aura plus jamais de pop-stars internationales prénomées Phil. Ce triste constat en dit toutefois moins long sur Phil Collins que sur la pop-music contemporaine.
Mon premier concert était un concert de Phil Collins et j’ai toujours le T-shirt dans mon placard -le détail le plus notable à propos de ce T-shirt étant qu’il ne liste pas les villes au dos, mais les pays : le mec était BIG, BIGGISSIMME, bien trop BIG pour les villes. C’était en 1990, j’avais 11 ans et Phil était en tournée pour promouvoir son dernier album, le méga-blockbuster …But Seriously, un disque dont la pochette consistait en un profil assez peu avantageux de Phil, qui était reproduit dans toute sa magnificence sur le T-shirt sus-mentionné, que j’arborais avec fierté au collège. Pendant longtemps, j’ai menti en disant que mon premier concert, c’était Guns N’Roses sur la tournée Use Your Illusion, mais c’était en vérité mon troisième concert. Avant ça, il y avait eu Phil, bien sûr, mais aussi Genesis sur la tournée We Can’t Dance. Le pote avec qui je suis allé au concert de Genesis est aujourd’hui député et ressemble aux sbires de Kevin Spacey dans House Of Cards. En d’autres termes, c’était il y a longtemps, super longtemps.
Videos by VICE
Le T-shirt Phil Collins de l’auteur.
Toujours est-il que la semaine dernière, je suis retombé sur mon T-shirt de Phil Collins et que ça m’a donné envie de réécouter …But Seriously, et toute nostalgie mise à part, ça sonne toujours méga-bien, même si la plupart des claviers et des arrangements sont vraiment hyper datés, voire franchement craignos. Cela dit, ce qui m’a vraiment frappé en réécoutant ce disque, outre les mélodies et la voix si particulière de Phil, ce sont les paroles. Je veux dire, écoutez le tube de l’album, « Another Day In Paradise ». C’est une chanson qui parle de la culpabilité qu’on ressent lorsqu’on ignore les sans-abris, et Phil chante ça d’une manière qui te fait juste te sentir super honteux et penaud.
Comparons ça avec un équivalent actuel en termes de popularité : « Happy » de Pharrell Williams. Il n’y a évidemment rien de mal à célébrer le bonheur et le fait d’être heureux, et à se servir de la musique comme d’une échappatoire au quotidien. Mais il est toujours plus facile de tourner le dos à ses problèmes plutôt que de s’y confronter. Et c’est ce que fait « Happy ». Bien sûr, tous les grands raouts caritatifs des années 80 à la « We Are The World » sont à gerber, mais est-ce que vous pouvez imaginer un truc pareil aujourd’hui ? Des méga-stars qui laissent tomber la compétition et les beefs une semaine ou deux, le temps de se réunir et d’enregistrer un morceau pour la paix dans le monde qui ne leur rapportera, techniquement, pas un rond ? Non, ça n’arrivera plus jamais—ou alors ce sera dans le cadre d’un show de télé-réalité ou d’une campagne publicitaire.
Neal Pollack a été vivement critiqué pour son excellent article dans le New York Observer, dans lequel il parle de la sur-commercialisation du festival SXSW. Même s’il a totalement raison, je pense que le problème va en réalité bien au-delà de SXSW, il concerne tout le mainstream, toute notre culture « visible », de la pop à la politique (vous pensez que les gens seraient capables d’élire un équivalent de Ronald Reagan à l’ère post-Obama ?) Quand on pense aux années 60, 70, 80 et 90, on visualise un esprit, une esthétique et un son bien particuliers. Mais comment va-t-on définir notre époque ? Se souviendra-t-on d’un esprit, d’une esthétique et d’un son notable ou juste des perruques de Nicki Minaj et du fait que Lady Gaga a porté une robe faite de morceaux de viande ? Phil, lui, vient d’une époque où « devenir viral » n’était pas une préoccupation. Pour tout dire, Phil est le genre de type qui aurait probablement galéré pour pécho, en dépit du fait qu’il était une des plus grandes pop-stars de l’Univers… Et il y a quelque chose d’étrangement rassurant là-dedans.
J’ai discuté avec plusieurs fans notables de Phil Collins, à commencer par Erin Tate, le batteur de Minus The Bear, qui m’a immédiatement rappelé que « les gens qui trouvent Phil Collins ringard ou cheesy ne connaissent clairement pas sa discographie », soulignant au passage que Collins avait formé le très influent groupe prog-rock Brand X. « Il a été le premier batteur à sortir de l’ombre et à prendre les commandes d’un groupe, continue Tate. Quand Peter Gabriel a quitté Genesis, le groupe a perdu un immense frontman, mais Phil Collins a réussi à reprendre les rennes et à emmener Genesis vers d’autres sphères. » Tate m’a également appris que Phil Collins avait récemment annoncé qu’il allait mettre un terme à sa retraite et à son obsession pour Alamo, pour travailler avec Adele, ce qui est assez logique, dans le sens où Adele, comme Phil, est une des rares pop-stars qui ressemble à une vraie personne. Une pop-star dont le talent est si évident qu’elle n’a, de fait, nul besoin de répondre aux critères physiques du moment.
Au moment où je m’apprêtais à taper la conclusion de cet article, « I Wish It Would Rain Down » est arrivé sur mon lecteur et, c’est dingue, mais il s’est mis à pleuvoir des trombes d’eau dehors, pile au même moment. Et en ré-entendant Phil Collins chanter « I wish it would rain, rain down on me », j’ai soudainement réalisé que toutes ses chansons, à l’arrivée, ne parlaient que d’une seule et unique chose : de la perte, de la douleur que peut provoquer une rupture, et de ce que ça fait de voir son coeur arraché, piétiné et anéanti par quelqu’un dont on n’aura plus rien à foutre dans six mois -mais en attendant, mec, ça fait mal, ça te tord les tripes, ça te pourrit la vie et ça veut vraiment dire quelque chose. La pop music d’aujourd’hui ne fait pas mal, elle ne te tord pas les tripes, elle ne vous pourrit pas la vie mais elle ne veut pas dire grand chose non plus. Et elle ne pose plus aucune question non plus.
Peut être que c’est à cause des internets, peut être que les gens en ont marre de se fader des trucs déprimants, ou peut être que c’est juste moi qui devient sénile. Mais j’aime l’idée que la musique que j’écoute veuille vraiment dire quelque chose.
Pas comme ça, vite fait… mais sérieusement.
Jonah Bayer peut se sentir bien à n’importe quel moment. Il a juste un mot à prononcer : Su-ssu-dio. Il est sur Twitter – @mynameisjonah