Il y a 2700 ans, dans l’actuelle république de Touva au sud de la Sibérie, près de 200 chevaux domestiques ont été sacrifiés de manière rituelle afin d’honorer la mort d’un Scythe de rang élevé. Ce peuple indo-européen nomade a été l’un des premiers à utiliser des chevaux dans un cadre guerrier, inventant les premières stratégies de cavalerie au monde. 400 ans plus tard, au tournant du 3e siècle avant JC, le même peuple tuait une dizaine d’étalons lors d’une cérémonie de première importance, avant de les enterrer dans une chambre funéraire à Berel, au Kazakhstan.
Ces chevaux n’étaient sans doute pas ravis de leur destin. Pourtant, des milliers d’années plus tard, leur mort a permis d’éclairer le grand mystère de la domestication équine, et son impact considérable sur la civilisation humaine. Grâce à une nouvelle étude publiée jeudi dans la revue Science, cette histoire incroyable nous est racontée.
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Une équipe internationale menée par Ludovic Orlando, un professeur d’archéologie moléculaire de l’Université de Copenhague et directeur du laboratoire AMIS de l’Université de Toulouse, a effectué le séquençage génomique de 14 échantillons d’ADN prélevés sur des corps de chevaux exceptionnellement bien conservés, retrouvés sur trois sites archéologiques distincts : les restes de trois étalons ont été trouvés sur mont Sibérien royal (site d’Arzhan I), 11 autres dans des nécropoles casaques, et une jument ayant vécu auprès du peuple Sintashta, la première civilisation ayant utilisé des chars attelés, dans la région de Tcheliabinsk en Russie, il y a 4100 ans environ.
En cartographiant et analysant le génome de ces animaux, Orlando et ses collègues ont pu déduire les principales caractéristiques physiques des chevaux, leurs relations génétiques ainsi que des indices sur les pratiques d’élevage des peuples qui les ont exploités sur afin de développer leur empire. (On considère généralement que la domestication du cheval remonte à 5500 ans et qu’elle a eu lieu au coeur des steppes eurasiennes.)
“Nous avons ciblé une période de l’histoire où les humains interagissaient beaucoup avec ces chevaux”, m’explique Orlando par Skype, “et qui était susceptible de nous aider à mieux comprendre les premiers et les derniers stades de la domestication du cheval. En raison de ces deux contraintes, nous avons jeté notre dévolu Scythes, qui vivaient à une époque intermédiaire dans l’histoire de la domestication.”
Comme les chevaux modernes, les étalons scythes arboraient une grande variété de robes (noir, crème, bai, alezan, etc.) ainsi que les listes, étoiles et balzanes. Le gène DMRT3, associé à des allures modernes telles que l’amble ou le tölt, n’était pas présent dans leur génome. On peut en déduire que ces animaux se déplaçaient en utilisant exclusivement des allures naturelles – le pas, le trot et le galop.
Cependant, l’équipe a pu isolé des gènes associés aux performances de vitesse des chevaux modernes, ce qui suggère que les scythes valorisaient probablement la rapidité.
L’une des découvertes majeures de cette étude est que les Scythes semblaient autoriser leurs chevaux à garder des relations sociales typiques des hardes sauvages. Cela s’oppose aux méthodes modernes (notamment dans le milieu de l’élevage de chevaux de course et de chevaux de race), qui consiste à utiliser un étalon aux caractéristiques exceptionnelles afin de féconder un grand nombre de juments.
La conséquence génétique directe de ce parti-pris est que les lignées de chevaux Scythes sont beaucoup variées, génétiquement parlant, que nos actuels chevaux de race qui descendent d’un nombre limité de grands reproducteurs. Cela corrobore les affirmations de l’historien grec Hérodote, selon lesquelles les chevaux scythes sacrifiés étaient offerts comme cadeau entre les différentes tribus.
“La diversité génétique des populations de chevaux a considérablement décliné”, m’explique Orlando. “Nous élevons aujourd’hui des chevaux aux caractéristiques standard, qui sont celles que nous valorisons le plus.”
L’élevage sélectif opéré au cours des 2000 dernières années a entrainé “une homogénéité quasi-parfaite” au niveau du chromosome Y des chevaux modernes, qui a à son tour causé des mutations génétiques délétères ayant un impact négatif sur la santé des animaux, expliquent les chercheurs.
En l’occurrence, la libre reproduction des chevaux du peuple scythe a probablement sauvé l’espèce. Des preuves fossiles suggèrent que les populations de chevaux sauvages eurasiens étaient en train de s’effondrer quand la domestication a commencé, tandis que leurs congénères du continent américain s’étaient éteints depuis très longtemps déjà.
“Certains paléontologues pensent même que si les humains n’avaient jamais domestiqués les chevaux, nous n’aurions jamais connu cette espèce, car elle se serait éteinte il y a 5500 ans”, explique Orlando.
La complexité des relations entre les hommes et les chevaux, et la façon dont nous avons influé sur l’évolution des équidés pour leur donner leur aspect actuel, est au coeur du projet de recherche PEGASUS financé par le Conseil de recherche européen et dirigé par Orlando.
“Nous tentons de répliquer cette étude, non pas chez les Scythes exclusivement mais chez toutes les anciens peuples humains”, ajoute-t-il. “Notre but principal est de comprendre comme la relation entre l’homme et le cheval a évolué à travers le temps et l’espace.”
“Les chevaux ont constitué des éléments essentiels de l’histoire humaine”, ajoute Orlando. “Qui sait, peut-être que le succès de certaines civilisations dépend uniquement d’une race de cheval supérieure ! C’est le type d’hypothèse que nous voulons tester. En examinant de près le génome de ces chevaux, nous pouvons étudier des aspects sociaux et culturels négligés chez ces anciens peuples.”