Voici 75 ans, le 21 février 1944, les résistants du groupe FTP-MOI Manouchian, de la tristement célèbre Affiche rouge, étaient fusillés par les Allemands. Un épisode rentré dans le fameux roman national, illustrant à la fois la lutte contre le nazisme et le sacrifice de ces si nombreux immigrés morts pour la France, quand tant de « bons Français » chantaient « Maréchal nous voilà ». Parmi eux, un jeune garçon au visage hollywoodien, devenu depuis une des figures de proue du Red Star, le tout jeune Rino Della Negra. Il tombera sous les balles du peloton d’exécution à 15h56, aux cotés de Georges Ferdinand Cloarec, de Cesare Lucarini et Antonio Salvadori.
Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur lui. Sa légende s’est trouvée une place de choix et méritée dans les tribunes de Bauer. Il n’est toutefois pas le seul cas de footballeur de conviction qui paya de sa vie son engagement politique et patriotique en ces heures sombres. Un rapide parcours dans l’immense base (160 000 notices) du Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, désormais accessible en ligne, permet de s’en rendre compte. On citera les noms de Charles Michels, député communiste, fusillé comme otage le 22 octobre 1941 à Châteaubriant, qui se rendit avec son équipe de la FST (Fédération Sportive du Travail) en URSS en 1929, ou encore Louis Petit, membre de l’Organisation Spéciale, fusillé par les Allemands le 1er juillet 1942 au fort du Vert-Galand à Wambrechies. Mais, de fait, Rino Della Negra occupe désormais un espace symbolique à part dans la mémoire du foot français. Dimitri Manessis, historien, qui sortira à l’automne un livre sur Della Negra avec son confrère Jean Vigreux, nous détaille pourquoi.
Videos by VICE
VICE : Comment deux universitaires très sérieux, spécialistes de l’histoire ouvrière, ont-ils été amenés à suivre les pas et les crampons de Rino Della Negra ?
Dimitri Manessis : Je pense en fait qu’il n’existe véritablement jamais de hasard. Cette personnalité m’était familière car je fréquente les tribunes de Bauer, au sein du Kop, depuis 2016. Au départ je suis Grenoblois et un footballeur du dimanche. J’ai commencé assez tard à me rendre au stade des Alpes, avec les Red Kaos. J’ai été témoin des relations très fortes qui se sont tissées avec les supporters du Red Star (un rassemblement est prévu ce samedi à 15h pour Rino) et j’ai donc été forcément aimanté vers Saint-Ouen dès mon arrivée en région parisienne. Pour sa part, Jean Vigreux est un grand spécialiste du mouvement ouvrier et de la Seconde Guerre mondiale, qui aime le foot. Le sujet est arrivé au cours d’une discussion informelle. Nous nous sommes dit qu’il y avait une belle matière à investiguer.
Du coup, comment combiner son statut de supporter et la distance avec l’objet étudié, ce vieux dilemme de l’historien dans le siècle?
C’est bien sur toujours périlleux d’écrire quand on aime. Il faut se situer, obtenir le juste équilibre entre la distance critique et la nécessaire part d’empathie avec son objet. D’autant plus quand il s’agit de Rino Della Negra, dont le parcours inspire plutôt l’admiration. Je pense malgré tout que nous avons réussi à conserver un recul nécessaire et surtout respecter les codes de notre métier d’historien.
À ce propos, n’est-ce pas un choix éditorial d’actualité que de parler d’un footballeur résistant. Une manière d’essayer d’ouvrir l’histoire ouvrière, qui peut sembler trop « passéiste », à d’autres publics, quand on voit désormais le poids social du ballon rond dans notre société ?
Forcément, mêler la Résistance et le football suscite un intérêt certain. Ces deux domaines interpellent et surtout passionnent encore. Nous nous en sommes rendus compte lors d’une conférence sur le sujet où le public était présent en nombre, bien plus qu’à l’accoutumée. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une chance et d’une bonne chose que d’un opportunisme. Le choix de Rino Della Negra n’a rien d’artificiel en l’occurrence.
Et du coup, qu’avez-vous découvert à propos de l’homme, du joueur, du résistant ?
Je ne veux pas trop en dévoiler avant la sortie de notre livre. Certains aspects avaient déjà été déblayés, mais nous avons trouvé les confirmations de son bref mais réel passage au sein du Red Star. Surtout, je trouve que nous avons beaucoup éclairé sa vie d’avant. Son enfance et son adolescence dans le quartier italien d’Argenteuil, dans un milieu marqué par l’antifascisme. Son parcours de jeune footballeur prolo dans les diverses associations sportives de la ville. Et aussi énormément d’informations concernant son passage et son action dans la résistance armée. Il a été impliqué dans une quinzaine d’actions de guérilla contre l’occupant nazi et ses affidés. C’est le double de ce qui lui était généralement crédité. Son rôle, pour son jeune âge, est donc d’autant plus notable au sein du groupe FP-Moi de Missak Manouchian.
Après votre recherche, comment expliquez-vous aujourd’hui la renommée de Rino Della Negra, et surtout son impact dans la mémoire du Red Star où finalement il n’est resté que fort peu de temps ?
L’apparition de Rino Della Negra comme figure centrale du patrimoine du club s’avère finalement assez récente. Elle répond à la conjonction de plusieurs facteurs. Au début des années 2000, que ce soit du côté des supporters, du club ou de la mairie, alors communiste, dans un contexte de montée du FN, s’est ressenti le besoin de mettre en valeur une personnalité qui soulignait la singularité du Red Star au sein du football français, de son ancrage dans la mémoire de cette cité ouvrière. Il est aussi important de souligner que les ultras ont joué un grand rôle dans la mise en valeur de son parcours et de sa mémoire, afin, notamment, de marquer leur identité, leur conviction et leur antifascisme. Rino Della Negra permet cela, alors qu’auparavant les références à son existence étaient plus anecdotiques.
Au final, à la fin de votre travail, qu’est-ce que vous retenez de plus marquant chez Rino Della Negra ?
Personnellement, je dirais un peu pompeusement, l’ensemble de sa personne. D’observer comment un jeune footballeur prolo ouvrier et immigré se retrouve combattant au sein de la résistance armée au nazisme, à Paris en 1943. Comment un petit gars passionné par le foot finit par écrire une aussi belle lettre d’adieu avant de passer devant les fusils, sans regret et surtout avec la certitude d’avoir fait juste ce qu’il devait faire, les armes à la main. Bref un parcours de joueur de banlieue rouge, combattant de la résistance communiste.
VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.
Cet article est publié dans le cadre du partenariat entre VICE et le Red Star et a été réalisé en toute indépendance. Une indépendance totale.