L’internet tel que nous le connaissons est une entité tentaculaire qui repose fondamentalement sur des pépites à la fois géniales et malsaines. Pour notre plus grand plaisir, son contenu attise notre curiosité et nourrit grassement notre intérêt pour des choses résolument pas orthodoxes. La manière dont il nous l’offre, c’est à dire façon all-you-can-eat de l’immoralité, n’est également pas sans effets sur nos comportements discutables, conséquences directes de notre soumission au virtuel et aux nouvelles technologies.
Depuis son avènement, le cybermonde est une véritable vache à lait que l’on trait sans grande retenue pour soutirer inspirations artistiques et champs d’explorations diverses. Une bonne poignée d’artistes, dont le Montréalais Jon Rafman, ont depuis bien longtemps commencé à examiner les ambiguïtés et les soft-pathologies générées par l’intensité des relations interconnectées humain vs internet vs machine.
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Le web, les technologies et autres device qui rendent notre société un peu autiste, perverse et dépendante ont raison de nous, bien au-delà de notre conscient, et si l’on se fie au Dream Journal de Rafman, ils viennent nous pourrir jusque dans nos rêves les plus intimes. C’est d’ailleurs à Frieze New York, il y a une poignée de jours seulement, que Rafman a présenté pour la première fois la totalité de ce projet introspectif avec lequel il nous tease depuis un bail par les réseaux sociaux et avec cet extrait un peu plus conséquent pitché le mois dernier.
Ici, on explore les rêves les plus profonds de l’artiste dans une vidéo complètement perchée d’une heure environ et faite d’animations 3D à l’esthétique un peu délavée des années 2000. Quelle est la signification de deux enfants qui sucent un pis de vache, une fille dont les yeux popent de sa tête, des personnages surréalistes aux comportements vraiment (vraiment) dénués de sens? Difficile de s’avancer sur une quelconque logique dans la trame narrative, mais ce que l’on peut comprendre, c’est le lien que l’artiste fait entre la spontanéité et l’innocence quasi malsaine de cette contemplation qu’il nous inflige, versus la naïveté et la facilité avec laquelle l’internet déteint sur la (pop) culture, la politique, les médias et nous.
D’une manière plus générale, le travail de Rafman est généreusement injecté de culture internet underground et crasseuse, de jeu vidéo et d’art. Ses productions peuvent prendre la forme de vidéos, de sculptures, d’installations ou d’expériences de réalité virtuelle qui créent des raccourcis URL/IRL et questionne l’impact psychologique des technologies et du web sur nous. On fait face à un travail plastique et anthropologique tout en profondeur qui surclasse ce que l’on peut voir à travers ce genre de pratique. Tant sur le plan formel et conceptuel que sur le plan de l’intellect. Néanmoins, pas besoin de passer des nuits entières à se taper des papiers sur Rhizome pour capter les enjeux mis de l’avant par Rafman. Les multiples degrés de lecture posés sur la table permettent à un public quasi intergénérationnel, novice comme averti, d’accéder à un sésame qui se veut malgré tout non élitiste, mais qui critique les médias de manière concise, et ce, même si de nombreuses références iconographiques et intellectuelles parleront plus à la génération AOL qu’à la génération minitel.
Il y a quelques années de cela, son projet phare 9-eyes of Google Street View (que l’amie Julie à la rédac de VICE France avait couvert ici) lui bouffe ses nuits, et probablement une bonne partie de ses jours, pour saisir et rassembler sur un Tumblr les situations les plus fucked up qu’offre à voir la mappemonde interactive fantasmée par Google.
Le processus créatif qui lui permet alors de monter cette collection qui ressemblera plus à la chasse compulsive d’un sociopathe qu’à autre chose : prostitutions, trafic de drogue, règlements de compte et situations cocasses, mais aussi paysages surréels et j’en passe. Au bout de la ligne, ce projet intrusif déplore un décloisonnement de son propre soi et en dit long sur des questions de moralité, mais aussi sur notre aliénation face à l’écran, un des aspects les plus récurrents de son œuvre.
Beaucoup des projets qui suivent témoignent à leurs tours du malaise lié aux allées et venues entre le virtuel et le réel. Sa série de montages photographiques métaphoriques et antinéoclassiques You Are Standing in an Open Field et son triptyque de vidéos, Still Life (Betamale) , Mainsqueeze et Erysichthon , compilations qui rassemblent des séquences aussi absurdes que déconcertantes glanées dans les recoins les plus crades du web (profond), en sont de très bons exemples. Fétichisme et jeux de rôle, fille prenant son pied en écrasant une écrevisse bien juteuse, mec bourré de stéroïdes qui défonce une pastèque avec la pression de son entre-jambe ou même un hentai bien weird ne sont que quelques-unes des déviances complètements barrées que l’artiste nous donne à voir.
Soucieux de mettre l’accent sur cette idée de dégénérescence, Rafman ne lésine pas sur la mise en espace de ses productions. Pour présenter ses vidéos, il propose bien souvent des dispositifs très particuliers comme ce cockpit, ce lit, celui-ci ou encore cette piscine à balles. Ces espaces confinés isolent le public, permettent de décrocher de la réalité et d’entrer dans le vif du sujet plus facilement. À première vue, ça peut faire flipper les claustros, mais l’immersion est telle que l’on se laisse vite surprendre à y végéter et à s’y abrutir pendant quelques minutes.
Enfin, depuis le début de semaine dernière, Hope , une exposition collective ultrasexy, abrite un autre extrait du Dream Journal de Rafman. Avec un statement aussi basique et redondant pour une galerie en ligne, on pourrait s’attendre à une expérience utilisateur un peu fanée et galvaudée, mais, pour le coup, la came offerte casse des culs. Surtout si vous avez l’occasion de tester en WebVR avec une paire d’Oculus ou de HTC Vive.
En plus de mettre vos fonctions sensorielles à l’épreuve, la trame narrative postapocalyptique et Walking Dead-esque qui est déployée ici rejoint parfaitement l’univers perturbant de Rafman, un environnement A/V nébuleux qui donne encore plus de sens à sa démarche en fin de compte. Maintenant, à vous de trouver ce second extrait en retournant ce merdier souillé d’hémoglobine.
Jon Rafman a un beau site sur les internets et aussi un compte Instagram assez cool.