Dix ans après la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents de Clichy sous-Bois, deux policiers sont jugés, à partir de ce lundi 16 mars, à Rennes, pour « non-assistance à personne en danger ». Pendant une semaine, le tribunal correctionnel de Rennes va essayer de démêler une procédure judiciaire qui court depuis 10 ans. La mort des deux adolescents, en octobre 2005, avait déclenché trois semaines d’émeutes dans les banlieues françaises — obligeant le Premier ministre d’alors, Dominique de Villepin, à déclarer l’état d’urgence, une première depuis la guerre d’Algérie.
Quelques jours après la mort des deux adolescents, une plainte est déposée par leurs familles, ce qui conduit à l’ouverture d’une information judiciaire. Les deux jeunes auraient été poursuivis par la police et encerclés — ce qui les aurait obligés à se réfugier dans un transformateur électrique. Une enquête de l’IGS (la police des polices) de 2006 ne trouve rien à redire contre les policiers. Les juges d’instruction de Bobigny envoient deux des agents de police concernés devant le tribunal correctionnel en octobre 2010, mais ils font alors appel de cette décision. En avril 2011, un non-lieu est prononcé en appel pour les policiers. En octobre 2012, la cour de cassation casse cet appel et désigne, en septembre 2013, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Rennes pour réexaminer le dossier.
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Le jeudi 27 octobre 2005, une petite bande d’amis de Clichy Sous-Bois, en banlieue parisienne, profite des vacances scolaires de la Toussaint pour aller faire une partie de football au stade de Livry-Gargan, une ville voisine. Ils sont une petite dizaine à taper dans le ballon. Peu après 17h00, la bande décide de rentrer à la maison — à 18h00 il sera l’heure de rompre le jeûne pour certains, puisqu’on est alors en plein Ramadan. En rentrant du stade, les amis font un crochet par un chantier de construction. Un riverain alerte alors la police, il pense que les jeunes Clichois veulent dérober du matériel dans le cabanon de chantier.
Une voiture de police de la BAC (brigade anticriminalité) débarque sur place — le groupe d’amis déguerpit dans la seconde. Ils n’ont cependant rien à se reprocher, aucune dégradation n’a été observée sur le chantier. Alors que certains se font appréhender par la police, Zyed et Bouna (respectivement 17 et 15 ans) s’échappent avec leur ami, Muhittin Altun, un jeune Kurde de 17 ans, vers une centrale EDF. Une fois rentrés dans l’enceinte de la centrale, les trois jeunes sont cernés par la police, et décident de monter sur un transformateur. 18h12, le quartier du Chêne-Pointu est plongé dans le noir. Zyed et Bouna ont été foudroyés par une décharge de 20 000 volts et Muhittin est grièvement brûlé. Les banlieues françaises rentrent dans trois semaines d’émeutes.
Ce lundi 16 mars 2015, deux agents de police, Sébastien et Stéphanie, sont entendus par le tribunal correctionnel de Rennes (l’affaire, sensible, y a été « dépaysée ») pour non-assistance à personne en danger. Sébastien a vu les jeunes courir vers la centrale et ne les aurait pas alertés du danger à pénétrer dans la centrale. Stéphanie, standardiste, est accusée de ne pas avoir prévenu EDF après avoir entendu le message radio suivant : « S’ils entrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau. »
L’avocat des policiers, Maître Daniel Merchat, assure que ses « clients n’ont jamais eu la certitude qu’il y avait des individus dans le site, » alors que pour Maître Jean-Pierre Mignard qui défend les familles, Zyed et Bouna « sont des victimes. » Au-delà de la responsabilité des agents, la mort des jeunes avait mis en avant une fracture sociale existant dans les zones défavorisées des banlieues, notamment chez les jeunes frappés entre autres par le chômage et la précarité.
Trois semaines d’émeutes
Dans la soirée du 27 octobre 2005, la nouvelle de la mort de Zyed et Bouna, que certains imputent à la poursuite de la police, se répand. Clichy sous-Bois s’embrase. Une centaine de véhicules sont incendiés entre le 27 et le 31 octobre et une quarantaine de personnes sont interpellés. Rapidement le mouvement va se propager à près de 300 communes en France — les forces de l’ordre, les bâtiments de l’Éducation nationale et les véhicules sont les principales cibles des émeutiers.
Du 5 au 8 novembre, ce sont plus de 1 000 véhicules qui sont incendiés chaque nuit et près de 300 personnes interpellées tous les soirs sur tout le territoire français. Le 7 novembre, 35 policiers sont blessés. Le 8 novembre, le Premier ministre, Dominique de Villepin, déclare l’état d’urgence qui confère aux forces de police des pouvoirs exceptionnels et autorise les préfets à imposer des couvre-feux. Un retour au calme général est observé, mais des violences sporadiques vont agiter la France jusqu’au 17 novembre. 9 000 véhicules ont été incendiés et 3 000 personnes interpellées pendant ces 21 nuits de crise.
Ces émeutes restent dix ans après, le symbole d’un malaise profond des « cités », l’expression de fossés économiques et sociaux. Après la crise, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, pense déjà à la présidentielle de 2007. Ces événements dans les banlieues muscleront son programme politique centré sur l’insécurité, notamment dans les banlieues.
Ce lundi midi, les parties civiles ont commencé à livrer leur version des faits. Le procès va durer une semaine. Les deux agents de police — qui n’ont jamais été suspendus — risquent 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende.
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Image via Wikimedia Commons / Marianna