Société

« Ils nous battaient à mort » : une réfugiée rohingya raconte sa fuite vers le Bangladesh

COX’S BAZAR, Bangladesh — « Ils m’ont frappé et tranché la gorge », dit Rashida, 25 ans. La jeune femme, frêle, est assise sur une chaise en plastique et attend une ambulance. Nous sommes à quelques mètres de la frontière qu’elle vient de traverser pour entrer au Bangladesh après avoir, huit jours plus tôt, fui son village situé dans l’État d’Arakan, dans le nord-est de la Birmanie.

« Mon bébé est mort, mon mari est mort », dit-elle. Elle parle d’une voix éraillée et ses mots résonnent dans sa gorge. Les deux lacérations profondes qui traversent son cou ont l’air infectées. Elle n’a toujours pas reçu d’assistance médicale après avoir été brutalement agressée par un groupe d’hommes armés.

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Alors qu’ils fuient en masse vers le Bangladesh, les réfugiés rohingya comme Rashida ramènent avec eux des histoires de viols et de torture aux mains des forces de sécurité birmanes et des bouddhistes ultranationalistes. L’armée birmane a dit procéder à une « opération de nettoyage » visant les insurgés rohingya responsables d’une série d’attaques meurtrières en août. Mais la version des faits racontée par Rashida et les autres survivants est bien différente.

Tula Toli, le village de Rashida, a été victime de l’une des plus horribles attaques militaires enregistrées depuis que des dizaines de milliers de Rohingya musulmans ont commencé à fuir vers le Bangladesh il y a deux semaines.

Rashida, 25 ans, a survécu au massacre qui aurait pris place à Tula Toli, Myanmar. (Photo de Kathleen Prior/VICE News)

« Ils nous battaient à mort »

Le 30 août, Rashida berçait son enfant âgé de tout juste un mois lorsque l’attaque a débuté, raconte-t-elle. Armées de machettes et d’armes à feu, les forces de sécurité auraient lancé un assaut délibéré qui a duré pendant des heures et a entièrement détruit le village.

Les femmes et enfants ont d’abord été séparés des hommes, dit Rashida, puis poussés vers la rive de la rivière. Après avoir piégé leurs victimes, le groupe d’hommes armés s’est mis à leur tirer dessus, sans pitié. Certains des Rohingya se sont précipités vers la rivière et ont tenté d’affronter les courants, en espérant pouvoir nager et éviter les balles qui fusaient au-dessus de leurs têtes. Alors que femmes et enfants s’écroulaient et mouraient autour d’elle, Rashida s’est effondrée au sol, évitant les balles et cachant son bébé dans les replis de son foulard. À la suite d’une brève pause, les soldats ont ordonné à tous les survivants de se lever, et la fusillade a repris.

Après avoir terminé, les attaquants ont creusé un trou qu’ils ont rempli avec les corps des victimes. Rashida a été attrapée par un soldat et emmenée. Quand il a réalisé qu’elle était toujours en vie, le soldat l’a frappée violemment sur la tête avec une machette et elle s’est évanouie.

Cox’s Bazar, Bangladesh, des dizaines de milliers de réfugiés fuyant la Birmanie ont traversé la frontière. (Photo de Kathleen Prior/VICE News)

Quand Rashida a repris connaissance, il faisait noir et son bébé avait disparu. Elle avait accouché un mois plus tôt et ne lui avait même pas encore choisi un nom.

Les soldats ont emmené Rashida dans une maison, où, avec sept autres femmes, elle a été battue et violée. Rashida ne sait pas combien d’heures se sont écoulées avant que les hommes s’arrêtent. Après avoir laissé les femmes pour mortes, les soldats ont mis le feu à la maison et sont partis.

« Ils nous battaient à mort, » dit Rashida. « Mais je suis restée immobile et j’ai fait la morte pour qu’ils s’arrêtent. Quand la maison a commencé à brûler, j’ai trouvé le peu d’énergie qu’il me restait et j’ai réussi à ramper pour sortir. »

Rashida est restée cachée dans la forêt jusqu’à ce que le calme revienne. Puis, elle est revenue sur ses pas pour chercher son bébé. Elle a alors découvert son village désert et en cendres. Son enfant introuvable, elle a commencé son long voyage à pied pour atteindre la frontière du Bangladesh.

On estime que 370 000 réfugiés sont arrivés au Bangladesh en 18 jours. La plupart n’ont que les vêtements qu’ils portaient et les biens qu’ils ont pu attraper rapidement et transporter sur leurs dos. Aujourd’hui, ils font face à la saison des moussons au Bangladesh et, les pieds dans la boue et le corps trempé, patientent sous des bâches sans nulle part où aller.

L’ONU a lancé un appel à l’aide, demandant d’urgence 77 millions de dollars (64 millions d’euros) pour faire face à la crise humanitaire en cours et notamment à un besoin immédiat d’abris d’urgences, de nourriture, d’eau potable et des services médicaux.

« Je pensais qu’elle était morte, et elle pensait que j’étais mort »

Peu après notre discussion, Rashida a été emmenée à un hôpital des environs pour recevoir des soins fournis par un personnel médical submergé par le nombre de personnes ayant besoin d’être soignées d’urgence.

Un peu plus loin, dans un nouveau camp de réfugiés à Balukhali, la nouvelle de son arrivée s’est rapidement répandue pour finalement arriver jusqu’à Mohamed Hussein, 27 ans, le mari que Rashida croyait mort après l’attaque de son village. Il faisait partie d’un groupe de nouveaux arrivants en train de construire un abri avec des bâches en plastiques et des bambous. Quand il a appris la nouvelle, il s’est rué jusqu’à la clinique.

Mohamed a fui Tula Toli après l’attaque qui aurait apparemment frappé le village. Il croyait sa femme et son nouveau-né morts aux côtés de nombreux autres villageois. (Photo de Kathleen Prior/VICE News)

« Je l’ai cherchée, allant de siège en siège et de lit en lit, » dit Mohamed. « Quand je l’ai vue, et appris ce qu’ils lui avaient fait, je n’ai pas pu retenir mes larmes. Je pensais qu’elle était morte, et elle pensait que j’étais mort. »

Mohamed a passé la nuit à l’hôpital avec Rashida, mais est retourné au camp le lendemain matin pour construire un abri pour sa femme quand elle sortira de la clinique.