Le bombardement atomique d’Hiroshima et Nagasaki par l’Amérique a précipité le monde dans l’âge atomique. L’humanité n’a pu qu’assister au désastre. Little Boy et Fat Man ont fait au moins 150 000 morts, peut-être 250 000. Le traumatisme ne passe pas : depuis, aucun gouvernement ou armée n’a osé lancer une bombe atomique en temps de guerre. Cependant, beaucoup ont fait exploser des centaines d’entre elles à des fins expérimentales. L’un des nombreux programmes de test américain avait même pour but de donner un avant-goût de la guerre nucléaire aux fantassins.
Après la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni, l’Union soviétique et les États-Unis ont détoné plus de 2 000 armes atomiques. Outre-Manche, 20 000 soldats ont assisté à des explosions nucléaires planifiées par leur propre gouvernement. Ceux qui ont la chance d’être encore vivants aujourd’hui sont incapables d’oublier le scintillement étrange des champignons. Interrogé par Motherboard, l’ancien soldat britannique Douglas Hern a déclaré : « Les explosions nucléaires sont le moment central de mon existence. » Il a assisté à cinq d’entre elles.
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« Quand le flash vous frappe, vous pouvez voir la radiographie de votre main tout en ayant les yeux fermés » a-t-il raconté. « Ensuite, on ressent l’onde de chaleur. Et pour moi, c’était comme si un homme de ma corpulence avait pris feu et m’avait traversé de part en part. C’était une sensation qui ressemblait à rien d’autre. C’était extrêmement bizarre. Certains [soldats] avaient des bleus, des membres cassés… On n’en revenait pas. On était tous sous le choc, bouche bée. Ce serait une litote de dire que c’était effrayant. »
Les histoires que ces vétérans de l’atome ont confiées à Motherboard font froid dans le dos.
David Hemsey a assisté aux explosions à 18 ans. Il raconte : « Tout ce que j’ai vu, c’est cette boule de feu qui s’élevait dans les airs, qui était colossale. La foudre, les éclairs… Ce que vous voulez. Ce qui m’a surtout frappé, c’est le nuage (…). Certains d’entre nous ne l’ont pas supporté. Il y en avait qui pleuraient, qui gémissaient… C’était horrible. »
« On était complètement ignorants. On ne savait pas du tout ce qu’on allait faire. On nous disait simplement qu’on allait faire des essais », a raconté Robert Fleming. Il semble que les organisateurs eux-mêmes ne savaient pas grand-chose.
Le 1er mars 1954, l’armée américaine a fait exploser un engin expérimental au-dessus de l’atoll de Bikini dans le cadre l’opération Castle. Les 15 mégatonnes de cette bombe appelée Castle Bravo en font l’arme la plus puissante jamais testée par les États-Unis. Malheureusement, avant le test, les chercheurs responsables de sa conception s’accordaient à dire qu’elle ne dégagerait que six mégatonnes d’énergie. Comment auraient-ils pu prévoir que le design inédit de l’arme allait déclencher une réaction de fusion thermonucléaire, encore inconnue à l’époque ?
Des marins de l’US Navy ont assisté à l’explosion depuis le pont de leur bateau. Leurs supérieurs leur avait assuré qu’ils ne risquaient rien. C’était faux : « Nous nous sommes retrouvés sous un gros nuage noir et orange qui semblait cracher des boules de feu rouge vif dans l’océan, tout autour de nous », rapporte un témoin dans 15 Minutes : General Curtis LeMay and the Countdown to Nuclear Annihilation, le livre du journaliste Douglas Kennedy sur le risque d’apocalypse nucléaire pendant la Guerre froide. Je pense que nous sommes nombreux à avoir cru que c’était la fin du monde. »
Castle Bravo a changé l’atoll de Bikini et les îles Marshall pour toujours. Aujourd’hui encore, ses habitants souffrent de malformations et de cancers bien plus fréquemment que la population générale.
« On était des cobayes, ni plus ni moins » affirme Hern. « Y a pas d’autre mot. »
Ces hommes ont survécu à la puissance de l’atome, mais pas sans dommages. Beaucoup souffrent de problème de santé chroniques et de cancers. Les détonations ont stérilisé certains soldats. Beaucoup de ceux qui sont restés fertiles ont engendré des enfants fragiles, frappés de maladie et de mort subite à une fréquence anormale.
« C’est maintenant à la jeune génération, celle qui va un jour prendre la relève, de se débarrasser des armes de ce genre », explique George Booker. « Parce que c’est vous qui allez devoir assumer ça, vous et les générations qui viendront après. Mais si on les éduque correctement, on y arrivera. »