ATTENTION : Cet article contient des images choquantes
Après trois années de siège, de famine, et de frappes aériennes, les gens de Madaya ne pensaient pas que cela pourrait être pire. Le seul docteur de la ville a alors disparu au milieu de la nuit.
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La ville assiégée de Madaya, en Syrie, a fait la une des journaux en janvier, lorsque des photos des habitants mourant de faim ont été diffusées dans le monde. Le seul endroit qui apporte des soins, difficile de l’appeler hôpital de campagne, est désormais géré par deux dentistes, un ingénieur agronome, et un vétérinaire. Des sources nous ont indiqué qu’un anesthésiste, connu sous le nom de Docteur Khaled, qui s’occupait de la clinique jusqu’à la mi-janvier, a été obligé de payer des passeurs des milliers de dollars pour pouvoir sortir de la ville. Il avait entendu qu’un assassin avait été engagé pour le tuer, parce qu’il parlait aux médias.
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La petite clinique se trouve dans une pièce d’un sous-sol. Elle s’est installée ici après que l’équipe a été délogée de l’hôpital principal par des bombardements. Dans cette seule pièce on trouve donc une table d’opération, un support pour des intraveineuses, des médicaments de base. Surtout des boîtes avec des solutions au glucose. Pour les 90 patients qui viennent ici chaque jour, il y a peu de possibilités de traitement. Ils souffrent surtout de malnutrition et de fièvres.
“On essaie de faire de notre mieux, mais on ne peut pas faire grand-chose”, nous explique Muhammad Al Shami. Il est ingénieur agronome. “On peut faire des injections, et le vétérinaire peut faire des points de suture, mais au-delà de ça, c’est très difficile.”
Pour les patients qui souffrent de malnutrition grave, il n’y a guère mieux à faire que leur donner un peu de nourriture et leur faire des intraveineuses. Il faudrait qu’ils puissent avoir un suivi médical beaucoup plus poussé pout tester leur carences. Parfois, il n’y a rien à leur donner.
“Pour la malnutrition, donner simplement de la nourriture, cela n’est pas suffisant. Il faut leur apporter une aide médicale plus complexe, dans un centre médical approprié, parce que si on les nourrit trop vite, ils peuvent mourir”, nous dit un médecin de la Syrian-American Medical Society (SAMS). Il travaille à distance avec la clinique.
En janvier, suite à la pression de la communauté internationale, un convoi d’aide humanitaire qui a beaucoup fait parler de lui, apporté de la nourriture et des médicaments, surtout sous la forme de solutions au glucose pour traiter la malnutrition. Les réserves s’épuisent très vite. Au moins 11 personnes sont mortes de faim depuis, d’après le SAMS.
Pour les patients qui présentent des cas complexes, il y a vraiment peu d’espoir. Beaucoup meurent si on ne les autorise pas à quitter la ville pour rejoindre l’hôpital le plus proche, qui se trouve à quelques minutes de là. Les soldats du Hezbollah, qui encerclent la ville avec des barbelés (des sources expliquent que 6 000 mines ont également été disposées), n’en feraient qu’à leur tête, laissant passer certains des blessés, en renvoyant d’autres vers une mort certaine.
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Le Hezbollah — un groupe armé libanais chiite — est allié avec le président syrien Bachar al Assad. Les combattants du Hezbollah font partie des forces qui soutiennent le régime. Lors de la révolte de 2011, Madaya était l’un des centres de la résistance rebelle au gouvernement. Lors des années de guerre qui ont suivi, Assad a mis en place une stratégie basée sur les sièges et la famine pour forcer les zones rebelles à capituler. Madaya, qui compte 40 000 habitants, est l’une des 18 villes qui seraient assiégées dans le pays, par les forces d’Assad ou des forces de l’organisation terroriste État islamique.
“C’est au cas par cas. Dans les cas de malnutrition parfois ils disent oui [pour passer], parfois ils disent non”, nous explique un médecin du SAMS qui ne veut pas être identifié parce que des membres de sa famille se trouvent toujours en Syrie. “Il y a 400 cas qui demandent une prise en charge médicale immédiate. Ces patients doivent sortir de Madaya.”
Muhammad Darwish, l’un des dentistes, nous parle de Aula Ahmad Murad, une enfant de 12 ans. Elle pourrait mourir de faim si rien n’est fait pour elle. Dans une vidéo prise à l’intérieur de la clinique en février, on la voit trembler alors qu’elle est maintenue debout. La peau de son visage est tendue, son corps frêle est crispé par les douleurs. Elle peut à peine marcher.
Sa grande soeur l’a emmené à l’hôpital, mais le personnel ne peut pas faire grand-chose pour elle.
« Elle souffre de malnutrition aiguë, » explique Darwish. « Cela se voit qu’elle souffre énormément. Ses os sont friables à cause du manque de vitamines et protéines. Elle se nourrit uniquement de riz et de boulgour, et elle est alitée depuis un mois. »
« Il faut qu’elle quitte la ville dans les plus brefs délais. Nous avons contacté toutes les organisations humanitaires imaginables, mais personne n’a répondu à notre appel. On essaye de l’aider du mieux qu’on peut, qu’Allah la protège. »
Jusqu’à il y a quelques semaines, l’hôpital de campagne était géré par le docteur Khaled Mohammed, qui a appris sur le tas à réaliser des opérations chirurgicales compliquées, notamment plusieurs amputations de membres. Muhammad Yousif, le vétérinaire, jouait généralement le rôle d’assistant.
« Si un enfant marchait sur une mine là, il n’y aurait personne pour l’aider, sauf si le véto accepte de l’opérer, » prévient le docteur du SAMS. « Il n’y a aucune aide médicale ici pour le moment. »
C’est le docteur Khaled qui a pris la plupart des photos et des vidéos des visages et corps émaciés des habitants de Madaya — des clichés qui ont attiré l’attention des médias internationaux sur le sort de cette ville assiégée depuis trois ans par les forces alliées du régime syrien.
Des sources à l’intérieur de la ville racontent que des combattants du Hezbollah, qui encerclent Madaya, ont payé un tueur à gage local pour se débarrasser de Khaled, coupable d’avoir parlé aux médias. Mais après avoir été mis au courant que sa tête avait été mise à prix, le docteur a fui la ville, en pleine nuit, avec une fausse identité — payant 7 500 dollars aux passeurs, afin de déjouer les nombreux contrôles.
Depuis qu’il est parti, impossible de pratiquer des opérations médicales complexes. La clinique continue de fonctionner grâce à une conversation collective sur WhatsApp, où ceux qui sont coincés dans Madaya envoient des photos et questions à des docteurs syriens, qui donnent leurs conseils. La vie ou la mort des patients dépend souvent de leurs réponses.
« Un jour, une femme enceinte de quatre mois est venue à la clinique parce qu’elle s’était fait poignarder dans le ventre, » se remémore Mohammed Shami, l’ingénieur agronome. « Elle devait avoir 18 ou 19 ans, elle était venue avec sa mère. On savait qu’elle avait une hémorragie interne. On pouvait voir ses intestins. »
Shami a envoyé plusieurs clichés de la plaie sur la conversation WhatsApp. « Ils ont dit qu’elle allait vers une mort certaine, si elle ne sortait pas de la ville pour se faire soigner. Mais les soldats l’ont empêché de partir, » explique Shami.
« Sur le groupe WhatsApp, ils nous ont alors conseillé de trouver une sage-femme pour déclencher une fausse couche. Si on ne trouvait pas de sage-femme, ce serait alors au véto de le faire. »
Après des heures de discussions, et l’intervention d’officiels onusiens, les soldats l’ont finalement laissé sortir de la ville. Ceux qui sont encore coincés à la clinique ne savent toujours pas ce qui lui est arrivé.
« Ils font de leur mieux, mais n’ont pas l’expérience nécessaire pour s’occuper correctement des patients, » glisse le médecin du SAMS. « Ils ont une table d’opération, mais ils n’ont pas d’anesthésistes, ni de médicaments pour endormir les patients, et encore moins l’expertise pour les ouvrir. »
« La plupart des patients de Madaya ont besoin de soins médicaux complexes. Sans ça, ils mourront là-bas. »
La ville, qui était une station estivale prisée par les riches habitants de Damas et les touristes du Golfe avant la guerre, est donc aujourd’hui l’une des 18 zones assiégées par les forces alliées au gouvernement syrien. 500 000 personnes sont menacées par la famine. Un rapport d’Amnesty publié en janvier notait que les images dévoilées dans les médias étaient simplement « la partie émergée de l’iceberg ».
Il est peu probable que de l’aide arrive de sitôt à Madaya. Les gens vont alors continuer à mourir de faim et du manque de soins.
« Nous craignons qu’ils laissent passer le convoi humanitaire une fois — puis c’est tout, » s’inquiète Shami. « On a peur qu’on oublie à nouveau Madaya et que les gens continuent à mourir dans la misère et la famine. »
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Toutes les images viennent du personnel de la clinique de Madaya.
Cet article est paru d’abord sur la version anglophone de VICE News.
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