Des militants anti-circoncision devant une « unité éducative mobile ». Photos de Erica Euse
« N’essaie pas de réparer ce qui n’est pas cassé » pourrait être la philosophie d’Anthony Losquadro, un militant anti-circoncision. Losquadro est le directeur d’Intaction, une organisation qui, depuis 2010, informe le grand public sur les conséquences physiques et psychologiques néfastes de la circoncision. Intaction vient de dévoiler son unité éducative mobile, un grand camion recouvert de photos d’hommes à l’air triste, tenant fermement une photo d’eux-mêmes lorsqu’ils étaient bébés, avec ce texte : « Je n’étais pas d’accord ». Dans le camion se trouvent de nombreux écrans qui passent des vidéos critiques à l’encontre de cette pratique qui consiste à retirer le prépuce des bébés.
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Lorsque j’ai visité ce camion un samedi après-midi, il était garé stratégiquement en face du New York Medical Center – situé sur la Première Avenue à Manhattan – un hôpital qui a vu et verra des milliers de prépuces se faire sectionner. Intaction a prévu de parcourir les routes de New York, du New Jersey et du Connecticut, et de s’arrêter régulièrement dans des lycées et des hôpitaux. Toutes ces actions ne sont pas vaines – selon le centre américain de contrôle des maladies, le taux de circoncision a chuté de 10% en 30 ans, et une part de ce déclin est dûe à des organisations comme Intaction.
Losquadro et son équipe croient fermement aux vertus de l’éducation et de la prise de conscience pour faire diminuer la pratique de la circoncision. Afin de comprendre l’importance du prépuce et de savoir pourquoi ces militants considéraient la circoncision comme une mutilation génitale, je me suis entretenue avec Losquadro devant son camion éducatif.
VICE : Pourquoi avez-vous crée Intaction ?
Anthony Losquadro : La société américaine néglige la fonction anatomique du prépuce. C’est une partie du corps dont tous les mammifères sont dotés. Elle contient 20 000 terminaisons nerveuses, qui remplissent toutes une fonction importante. Retirer le prépuce est extrêmement douloureux. Cela se fait surtout en Afrique et au Moyen-Orient. L’Europe, l’Amérique du Sud et l’Asie ne la pratiquent pas. C’est l’exception plutôt que la règle. En Amérique du Nord, c’est la règle plutôt que l’exception, mais c’est en passe de changer.
La circoncision est-elle fréquente à New York ?
Actuellement, selon les statistiques du centre de santé de New York, 42% des garçons new-yorkais sont circoncis. Les docteurs et les infirmières ont tendance à inciter les parents à circoncire leurs enfants. Tout cela est dû à l’ignorance et aux habitudes.
Quel est le principal but d’Intaction avec cette campagne ?
Notre objectif est d’éduquer. Mon expérience me prouve que lorsque les gens réfléchissent, ils réalisent à quel point la circoncision est une pratique ridicule. Avec Internet, il est devenu très facile de s’informer. Autrefois, les gens devaient faire confiance aux docteurs. Maintenant ils peuvent chercher par eux-mêmes et laisser de côté les clichés. Si le prépuce est une partie du corps humain, pourquoi le retirer ?
Les docteurs évoquent parfois des raisons médicales pour justifier la circoncision. Sont-elles valides, selon vous ?
Il n’y a vraiment aucune raison médicale à retirer une partie du corps humain. Ils ont prétendu que cela diminuerait les risques d’infection au VIH, mais ce n’est absolument pas un moyen efficace de prévention. De nombreuses études qu’utilisent ces docteurs ont été dénoncées par des professionnels en Europe, qui les jugent biaisées car réalisées par des chercheurs qui ont passé leur vie à défendre la circoncision.
Comment la circoncision a-t-elle perduré jusqu’à aujourd’hui ?
Au fil des époques, de nouvelles justifications sont apparues. À l’origine, c’était un moyen pour l’Amérique de l’époque victorienne de lutter contre la masturbation des enfants. Si vous retirez le prépuce, ils auront moins de plaisir au niveau du pénis. Lorsque cette théorie a été abandonnée, on en a créé une nouvelle. On a dit que c’était pour des raisons d’hygiène. Puis on a parlé du VIH. Maintenant, on évoque une prévention du cancer de la prostate. Les États-Unis ont l’un des taux d’infection au VIH les plus élevés des sociétés occidentales, alors que le taux de circoncision est aussi l’un des plus élevés. Où sont les bénéfices ?
Les gens sont très sensibles à la problématique de l’excision des femmes. En quoi est-elle différente de la circoncision ?
J’ai beaucoup voyagé pour des conférences à l’étranger centrées sur les mutilations génitales. D’autres pays nous disent : « Comment pouvez-vous venir ici et nous dire que l’excision est une chose terrible alors que vous pratiquez la mutilation génitale sur les garçons ? Vous êtes des hypocrites ». Nous n’avons aucune crédibilité lorsque nous disons aux nations africaines d’arrêter de circoncire les femmes alors que nous pratiquons cela sur nos fils.
Les mecs de votre association sont-ils circoncis ?
Pas tous. La majorité d’entre eux sont circoncis et le regrettent fortement. C’est quelque chose de très dur à partager. Dans quelle situation pouvez-vous dire que vous avez mal vécu votre circoncision ? C’est pourquoi des organisations comme Intaction existent, pour engager la discussion. Nous n’allons pas nous moquer. C’est un sujet difficile à évoquer, c’est pourquoi les gens adorent faire des blagues dessus, mais le problème est très sérieux. C’est une question de respect des droits de l’homme.
Qu’en est-il de la reconstruction du prépuce ?
C’est une pratique que les chirurgiens utilisent. Ils tirent fortement sur la peau afin de provoquer une tension pendant une période assez longue pour que les cellules épidermiques se reconstituent et soulagent cette tension. C’est un processus long car la peau ne se reconstitue pas rapidement. Cela prend des années. Quelques personnes l’ont fait, et de nombreux hommes essaient de le faire, mais notre objectif à nous est de protéger les bébés de la circoncision. À l’heure actuelle, il y a probablement une demi-douzaine de circoncisions en train d’être pratiquées dans les hôpitaux de ce quartier. Cela arrive tous les jours.
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