Dead Meet est un site de rencontres pour les gens qui travaillent dans « l’industrie funéraire »

Carla Valentine dirige Dead Meet, un site de rencontres pour les personnes qui travaillent dans « l’industrie funéraire »

Si vous demandez à la petite fille de 8 ans qui sommeille en moi de vous décrire le moment le plus romantique de l’histoire du cinéma, vous obtiendrez toujours la même réponse : n’importe quelle scène de La Famille Adams réunissant Gomez et Morticia. Leurs références crypto-sexuelles, leur obsession pour la mort, toutes les scènes de danse au cimetière – ils forment le meilleur couple à avoir jamais vu le jour au cinéma, point barre.

Videos by VICE

Carla Valentine fait de son mieux pour faire de mon couple préféré une réalité. Le jour, elle travaille au Barts Pathology Museum, près du Smithfield Market à Londres. Elle participe activement à sa restauration en plaçant dans de nouveaux pots des spécimens anatomiques vieux de plusieurs siècles, juste pour que des gens comme moi puissent les regarder à travers la vitre. La nuit, elle fait ce que nous faisons tous : elle erre sur internet.

Dead Meet est le site de rencontres qu’a créé Carla et il concerne exclusivement les gens qui travaillent dans « l’industrie funéraire ». Il implique donc des corps de métier tels que les fossoyeurs, les médecins légistes, les officiers judiciaires ou les taxidermistes. Pour l’instant, il regroupe 5 000 membres. J’ai rencontré Carla pour lui demander pourquoi les gens qui bossent dans le business de la mort éprouvaient une telle fascination macabre pour leurs pairs.

VICE : Salut Carla. Quand et pourquoi as-tu fondé Dead Meet ?
Carla Valentine :
J’ai crée le site au printemps 2014, mais j’y pensais déjà depuis Noël. C’est ma propre carrière dans l’industrie funéraire qui m’a poussée à fonder le site. Quand j’étais technicienne en anatomo-pathologie (TAP, ou membre de l’équipe scientifique qui travaille dans les morgues des hôpitaux, assiste aux autopsies, etc.), l’une des premières choses que m’a dit mon boss concernait « l’importance de la discrétion ». Il m’a dit qu’il était mal vu de revenir sur les détails de sa journée de travail, à moins que l’on se confie à une personne de confiance.

Évidemment, ça a du sens. Mais il existe très peu de TAP en Angleterre – et je ne viens pas d’une famille qui travaille dans les pompes funèbres. Je voulais avoir la possibilité de parler à quelqu’un qui pourrait me comprendre. Je cherchais des amis qui occupaient la même profession, pourquoi pas même un copain à qui parler au petit matin… Quand on me demandait « comment s’est passée ta journée ? », j’avais envie de pouvoir expliquer véritablement comment ça s’était passé, prononcer des phrases et aborder des thèmes qui ne le feraient pas fuir.

La page « à propos » du site Dead Meet

Quel genre de trucs peut dire un TAP quand il rentre d’une mauvaise journée de travail ?
​[Rires] Eh bien, je ne peux pas être trop spécifique mais ça peut avoir un rapport avec la décomposition, ou ça peut être un truc difficile d’un point de vue émotionnel – une autopsie ou un enterrement dans une affaire particulièrement triste.

Selon toi, les gens qui travaillent dans l’industrie mortuaire en ont-ils marre d’expliquer la mort aux gens qui ne sont pas du même milieu qu’eux ?
​Je ne peux pas parler pour tout le monde, mais par expérience, je dirais oui. Récemment, j’étais à un événement de la Morbid Anatomy à la Wellcome Collection. Après l’événement, je suis allée boire un verre avec la fondatrice de la Morbid Anatomy, Joanna Ebenstein, John Troyer du Center for Death & Society, ainsi que ma meilleure amie Lara. Il se trouve qu’elle aussi bosse dans la morgue où je travaillais.

Après quelques bières, on s’est mis à discuter avec enthousiasme de la mort et de sujets de la même veine, et à chaque fois qu’on changeait de sujet, on déviait une nouvelle fois dessus, encore et encore. J’ai été étonnée que les gens assis à la table voisine ne s’en aillent pas. La mort est un sujet que j’aborde quotidiennement et je crois qu’il est très important que je sois entourée de gens relativement OK avec ça.

Existe-t-il des groupies au sein de cette grande scène qu’est « la mort » ?
​On peut dire qu’il y a des « groupies de la mort » en effet, comme il y a des groupies pour tout le reste – mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Tout le monde meurt ; il est naturel que beaucoup de gens éprouvent de la curiosité pour un tel sujet.

Ça devient un problème quand les gens qui sont de vraies groupies se font passer pour des experts sur les réseaux sociaux – ou ailleurs. Je twitte à propos des pratiques dans les morgues parce que je donne des cours à des étudiants en médecine et que je suis une TAP diplômée – même si ce n’est pas à temps plein. J’ai à la fois les qualifications d’une TAP, huit années d’expérience dans le domaine et je suis sur la liste des personnes à contacter en cas de désastre sanitaire de masse.

Pour cette raison, je me méfie des dilettantes qui n’ont pas de qualifications académiques ou d’expériences professionnelles et qui se font passer pour des figures d’autorité sur des sujets comme celui-là, juste parce que la mort est un sujet populaire.

Combien de membres sont inscrits, pour l’instant ?
5 000 comptes ont été créés sur le site.

Oh, cool. Tu as rencontré des problèmes pour le lancement ?
​Oui, j’ai eu quelques problèmes – beaucoup de gens ont pensé qu’il s’agissait d’une blague et n’ont pas pris le site au sérieux. D’un autre côté, j’ai eu un article qui a par la suite été supprimé parce que les membres de l’administration du site avaient trouvé l’idée derrière Dead Meet trop « macabre ». On ne peut pas plaire à tout le monde, je crois.

Quels autres jobs rentrent dans la catégorie métiers de ce que tu appelles « l’industrie funéraire » ?
​Je dirais, hmm, les infirmières ? Les gens oublient que c’est le boulot des infirmières de nettoyer les défunts dans les hôpitaux. Moi-même, en tant que TAP, je travaillais sur l’inspection sanitaire durant la semaine d’intégration des nouvelles infirmières. Elles passent plus de temps avec les morts qu’avec, disons, un docteur.

Quelles sont les raisons pour lesquelles un gérant de pompes funèbres ferait un(e) meilleur(e) petit(e)-ami(e) que quelqu’un qui bosse dans l’administration ou qui écrit des conneries sur Internet pour vivre ?
Eh bien, il est probable qu’ils soient plutôt forts mentalement, en bonne santé et que leur job ait pu leur conférer un certain sens de la patience. Les embaumeurs peuvent faire de meilleurs petits-amis parce qu’ils utilisent du maquillage sur les morts et comprennent donc pourquoi les femmes mettent autant de temps à se préparer. Mais en même temps, les gens sont tous différents ; ceux qui travaillent dans l’industrie mortuaire n’ont pas tous la même personnalité – même si une bonne part d’entre eux ont en effet le sens de l’humour.

OK – à quoi ressemble un rendez-vous avec un croque-mort ?
Encore une fois, ça dépend de quel croque-mort on parle ; pour ma part, un rendez-vous peut aller d’un truc très simple – un petit dîner avec une bouteille de vin – à une nuit d’ expérience en immersion avec un film d’horreur puis une longue visite au musée de la science. La meilleure manière de savoir à quoi ressemble un rendez-vous avec un croque-mort, c’est d’aller sur Dead Meet et de s’en trouver un.

Merci Carla.

@hayleycampbelly