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Qui osera se plaindre du retour des Blood Brothers ?

Ayant découvert les Blood Brothers sur le tard, en 2003, à l’âge de 28 ans plutôt qu’à quinze, j’ai le sentiment que je peux en parler sans trop de nostalgie. Je n’aime pas les Blood Brothers parce qu’ils ont été la B.O. de mon premier piercing ou que je les écoutais à l’époque où je me suis pris ce râteau monumental au bal de promo. Étant plus âgé qu’eux, je devrais même plutôt les détester pour avoir connu le succès avant moi, ce qui est le cas d’à peu près tous les groupes dont la moyenne d’âge ne dépasse pas les 40 ans.

Mais non. J’aime les Blood Brothers comme les vaches aiment le sel et la presse musicale les articles sur la presse musicale. Ces types ont enregistré quelques-uns des meilleurs morceaux de la décennie et je tuerai de mes mains quiconque osera prétendre le contraire. Leurs derniers albums combinaient l’énergie du hardcore et le panache du glam-rock. Il étaient unilatéralement détestés par les coreux bas du front (qui les considéraient, au choix, comme des « tarlouzes hipster », des « tarlouzes à slims » ou des « tarlouzes de gauche ») et les gros lourds indie (qui les rangeaient dans la catégorie « Hot Topic »), principalement à cause de leur propension à passer d’un ryhme disco à un blast beat en une fraction de seconde, du chant hystérique de Jordan Billie et Johnny Whitney, et de leurs paroles, à mi-chemin entre les lyrics cryptiques d’Antioch Arrow et les dialogues des premiers Argento.

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À une époque où le paysage alternatif était dominé par le psychédélisme mou, la folk à papa et l’emocore, les Blood Brothers faisaient office d’anomalie avec leur musique à la fois sexuée et débridée. Pour ne rien gâcher, leur dernier album, Young Machetes, a été co-produit par Guy Piciotto de Fugazi, qui est non seulement un Dieu vivant, mais aussi l’homme qui a mis un terme à toute cette mascarade de revival emo. Vraiment, je crois pouvoir saouler à peu près n’importe qui juste en lui expliquant à quel point j’aime les Blood Brothers. Et comme je suis un adulte et que j’ai entendu parler de trucs comme la guerre, la famine et la pauvreté au Sud Soudan, le fait de groupes se reforment ne me dérange pas plus que ça.

Alors forcément, quand j’ai appris que les Blood Brothers se reformaient, j’ai rampé comme une larve aux pieds du Seigneur. Parce que mon groupe préféré est de retour. Pour un concert au moins. Ils joueront au FYF Fest à L.A. le 24 août.


Jordan Billie

Après leur séparation en 2007, tous les membres des Blood Brothers se sont consacrés à leur boulot, à leur famille et à plus de groupes qu’il m’est possible d’écouter en six mois de temps. Jordan Billie a, entre autres, formé Past Lives, travaillé avec le label de Dave Sitek, Federal Prism, repris des études d’anglais (quand je lui ai demandé si ses camarades de classe avaient la moindre idée de qui il était, il m’a répondu, « Quand tu dis à quelqu’un de 19 ans que tu en as 32, c’est comme si tu venais d’une autre planète. Comme si c’était impossible pour eux de connaître quelqu’un de si vieux. Je pense qu’ils étaient moins impressionnés par la musique que par le fait que j’étais sur YouTube ») et formé le tribute band des Rolling Stones le plus parfait qui soit. J’imagine que c’en était assez pour qu’on lui demande de nous accorder une interview sur le retour des Blood Brothers et leurs projets pour l’avenir.


Noisey : Bon, allons droit au but, histoire que les gens puissent zapper le reste de l’interview… Pourquoi vous être reformés ?
Jordan Billie : Pour moi, c’était juste l’occasion de retrouver mes potes et de jouer à nouveau tous ces morceaux. Ces mecs ont été une part importante de ma vie. On a grandi ensemble. Je connais Johnny depuis que j’ai douze ans et me retrouver dans la même pièce qu’eux était quelque chose que j’attendais depuis longtemps. Et puis, jouer en live a toujours été ce que je préfère. Du coup, quand cette opportunité s’est présentée à nous, la décision a été facile à prendre pour moi. Les deux questions étaient « est-ce que ça va être marrant ? » et « est-ce que les gens veulent voir ça ? ». Pour la première, c’était évident ; je te l’ai dit, le live a toujours été ce que je préfère. La seconde question, c’est un pari. J’espère évidemment que les gens auront envie de nous voir, mais on verra bien.

Je ne voulais pas attendre trop longtemps non plus, je voulais être toujours capable de le faire physiquement. Je ne sais pas si je pourrai encore sauter partout sur scène quand j’aurai 45 ans.

De qui est venue l’initiative ? Du Fuck Yeah Fest ?
De Sean du Fuck Yeah, ouais. Il nous l’avait proposé l’année dernière, mais ce n’était pas le bon moment. On a pu y réfléchir pendant un an. On a eu pas mal de conversations pour savoir si c’était une bonne idée ou pas.

Est-ce que les groupes qui se reforment te posent un problème ? Est-ce que quelqu’un risque de déterrer une vieille interview dans laquelle tu dis de la merde sur les autres ?
Non. C’est marrant… Le fait d’être contre les reformations en général a toujours été un peu stupide à mes yeux. Je crois qu’il y a plus urgent et important que passer son temps à s’en prendre à ce genre de choses.

Après, le truc c’est que tout le monde commence à atteindre le point de saturation par rapport aux reformations de groupes. Mais j’en ai vu quelques-uns qui étaient absolument époustouflantes. Voir The Locust l’année dernière au FYF m’a fait me sentir comme si j’avais à nouveau 17 ans. Ils ont tout défoncé. Et Pulp était exactement comme je l’avais imaginé. S’il fallait choisir un groupe pour prouver que ça vaut le coup, ça serait Pulp. Ils ont atteint l’équilibre parfait entre respecter les attentes de leur public et ne pas se prendre trop au sérieux.

Je pense que c’est une expérience qui vaut le coup si ça rend les gens heureux, pas vrai ?

Est-ce que vous prévoyez de faire d’autres concerts ?
On ne voulait pas être trop présomptueux et organiser une énorme tournée US ou mondiale. Trouver une date est un véritable casse-tête pour nous. Et on ne veut pas du tout faire quelque chose de super cher, du coup on va faire celui-ci, voir comment ça se passe et si les gens veulent voir ce truc. On doit être conscient du fait que ça peut fatiguer les gens. Donc un concert à la fois.

Est-ce que vous envisagez d’écrire de nouveaux morceaux ?
Non. Et aucun d’entre nous n’en a envie.

Je veux dire, à la fin, on avait l’impression d’avoir fait le tour. Ça devenait plus difficile de trouver un terrain sur lequel on se sentait tous inspirés et motivés. On a été un groupe pendant dix ans, on avait 16 ans quand on a commencé et c’est ridicule le nombre de choses qui peuvent changer entre 16 et 26 ans. On a juste senti qu’il était temps d’arrêter.

Mais pour te répondre de façon plus directe : il faut qu’on le sente bien pour faire de nouvelles choses et personne ne peut prédire ça. C’est une chose de revisiter quelque chose en live et de s’amuser à jouer de vieux morceaux, mais c’en est une autre d’essayer de se remettre à nouveau dans un état d’esprit créatif.

Est-ce que tu penses que les paroles, et la façon dont elles pointaient du doigt l’époque Bush, sont toujours d’actualité ? C’est vrai qu’elles étaient assez abstraites, mais les Blood Brothers étaient un groupe politique à mes yeux.
Je suis d’accord. Certaines chansons sont moins d’actualité que d’autres, celles qui avaient tendance à être plus directe. Mais on n’avait pas beaucoup de morceaux qui étaient trop directs.

C’est difficile d’appréhender ce genre de chose aujourd’hui, parce que je ne me suis pas retrouvé dans ce contexte depuis longtemps.

Quelle place tient le groupe aujourd’hui dans le hardcore ou la musique de manière plus générale ?
Hum… c’est impossible à dire, sans être un observateur extérieur. Mais la chose dont j’étais le plus fier à l’époque, c’est le fait que tous les cinq, on n’avait pas peur d’essayer de nouvelles idées, d’aller hors des sentiers battus. Tu sais, j’espérais vraiment que ça puisse pousser les gamins qui nous aimaient à essayer des choses et à ne pas avoir peur de se planter. Tout ce qu’on a essayé n’a pas fonctionné évidemment, mais je suis content qu’on ait tenté le coup. Je veux dire, si tu écoutes ces albums, que tu aimes notre groupe ou pas, il fallait admettre qu’on était un groupe qui ne faisait pas de compromis. C’est une chose qui m’a toujours plu.

On plaisantait tout à l’heure sur les commentaires internet.
Ouais.

Je me rappelle que l’une des choses qui me rendait dingue à propos des critiques sur votre groupe, c’était cette fixation sur le fait que vous portiez des slims. Vous et The Locust…
Ouais, c’était plutôt lourd.

Mais moi, j’aimais cette part de féminité dans les deux groupes, les vêtements cintrés, l’aspect glam, les voix aigües. Je n’ai pas vraiment de question à ce propos et je ne sais pas trop ce que je voulais dire, mais…
Je crois que je vois où tu veux en venir. Je pense que notre groupe a débarqué à une époque assez restreignante et dogmatique pour le punk et le hardcore. Certaines choses étaient inacceptables, et verser dans le mainstream était la pire de toutes. Il y avait des frontières à ne pas franchir par rapport à ce qui était considéré comme underground ou mainstream. Je crois qu’une partie de ce qu’on a fait, c’était en réaction à ces restrictions. C’est l’une des choses que j’aimais dans la voix de Johnny ; il avait des qualités assez féminines et les mettait dans un contexte très violent. C’était rebutant pour pas mal de gens et ça les mettait mal à l’aise, mais moi j’aimais ça.

Même si votre esthétique était différente, j’ai toujours fait un parallèle entre les Blood Brothers de 2004 et Against Me ! à la même période. Vous aviez la même relation amour-haine avec votre public.
Je suis d’accord. La tournée qu’on a faite ensemble a été très spéciale pour moi. J’y ai vu un groupe tellement sincère, faire face chaque jour à toutes ces conneries, ces trucs dont en fin de compte, tout le monde se fout. Against Me ! sortait un disque sur Fat Wreck ou sur Sony. Ils prenaient des décisions qui ne concernaient vraiment personne d’autre que le groupe. Et puis, tu sais, Laura Jane Grace avait ses propres problèmes et si tu compares la bataille personnelle qu’elle menait à l’époque par rapport aux quelques critiques de personnes qui n’acceptaient pas qu’ils aient signés avec une major, c’est vraiment risible. C’est absurde.

En fait, j’avais complètement oublié que vous aviez tourné ensemble.
Ouais, j’ai adoré cette tournée ! C’était à l’époque de la sortie de Crimes, en 2004 ou 2005. C’était un groupe phénoménal en live. C’était une tournée qu’on faisait ensemble, et de temps en temps, on devait jouer après eux… et ça craignait ! Je pourrais dire un tas de trucs cools sur eux pendant des heures.

Je pourrais aussi en parler pendant des heures, mais revenons à la reformation… Vous vous êtes préparés pour les blagues sur les ceintures blanches ?
J’en ai déjà entendues quelques-unes. Je les aime bien.

Vous allez en porter ?
Je vais chercher tout le costume au pressing demain, mec !