Comme tout le monde, vous avez déjà prononcé ces mots : « Merde, je n’arrive pas à décrocher de telle ou telle série ». Vous l’aviez commencé un dimanche matin, en pleine gueule de bois et l’aviez terminé tard le soir, sans bouger de votre lit. Le lundi matin, vous ne vous étiez pas réveillé.
Ces habitudes, certes malsaines, n’impliquent pas forcément une forme de toxicomanie à la télévision. Bram, étudiant hollandais de 26 ans, en était atteint. Je l’ai rencontré au collège, puis je l’ai perdu de vue. Il y a deux ans, je passais mes vacances d’été chez mes parents. Tandis que je traînais avec des vieux copains, ils m’ont proposé d’aller rendre visite à Bram, sous prétexte que celui-ci ne sortait plus de chez lui. A posteriori, j’ai compris que notre intervention était pour le moins nécessaire. À cette époque, Bram restait devant la télévision plus de huit heures par jour, regardant simultanément chaque épisode de plus de cinquante programmes différents. Pour lui, sa famille, ses amis, sa santé, ses factures – rien n’avait plus aucune forme d’importance.
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J’ai appelé Bram pour savoir comment il avait vécu sa période de toxicomanie télévisuelle.
VICE : Salut Bram. Mais comment as-tu pu regarder autant la télé ?
Bram : Toute ma vie, je n’avais jamais eu besoin de tirer le meilleur de moi pour m’en sortir. Jusqu’à ce que j’entre à l’université. Pour la première fois, je devais travailler dur et ne plus fuir mes responsabilités.
Alors, au lieu de me soumettre à cela, j’ai passé mon temps à procrastiner devant la télévision. Je repoussais toujours à plus tard ce moment où je devais commencer mes recherches – ou mes devoirs. Et puis, petit à petit, j’ai lâché l’affaire. Alors mes journées ne se sont plus résumées qu’à rester avachi devant la télévision. En un an, j’ai vu beaucoup de séries. J’en regardais tellement qu’un jour mes amis ont dû défoncer ma porte et éteindre la télé de force.
N’as-tu jamais souhaité faire quelque chose d’un peu plus actif – jouer aux jeux vidéo, par exemple ?
Les séries sont en général faciles d’accès, gratuites et il n’existe rien de plus passif que de les mater. Je jouais à FIFA de temps en temps, mais j’ai toujours préféré les séries – tu peux oublier qui tu es, te laisser guider par la narration du truc. Même lorsque l’intrigue est, au final, tout à fait prévisible. J’aimais ne rien faire.
Tu as donc suivi des séries dont tu n’avais rien à foutre.
J’ai d’abord regardé les 20 séries les mieux classées sur lMDb, ce qui ne m’a pas pris beaucoup de temps. J’ai aussi maté des cartoons connus de type South Park ou Les Simpsons. Tu trouves des sites internet qui mettent à jour quotidiennement leur base de données en séries et films. Quand tu crées un profil sur ces sites, on te prévient à chaque nouvelle update. Tu n’as donc même plus besoin de t’emmerder à chercher. Ce système s’est révélé être très pratique quand je suivais cinquante séries en même temps.
Quoi, cinquante ?
Eh oui, je matais même de vieilles séries policières britanniques et des conneries comme Teen Wolf. Une fois une saison achevée, tu peux en trouver dix autres qui viennent juste de commencer. Parfois, je me demandais bien ce que je foutais de ma vie, mais je n’ai jamais poussé la question plus loin que ça. Je regardais toujours plus la télé.
Par exemple, des séries comme Dexter, Workaholics, Dr House ou encore The Mentalist avaient beau être plus mauvaises à chaque nouvelle saison, je les suivais quand même. J’avais déjà investi trop de temps dans mon identification aux personnages – je refusais d’abandonner.
De quelle façon ton quotidien a-t-il été affecté par ton addiction ?
J’ai arrêté de payer mes factures, je n’ouvrais plus ma boîte aux lettres et ne répondais plus au téléphone. Je me disais toujours que j’allais me mettre à bosser : « OK, d’ici une heure. Allez, une demi-heure, le temps de finir cet épisode et de fumer un joint. » Je procrastinais ainsi jusqu’à 18 heures, quand il est trop tard pour espérer se mettre sérieusement sur quelque chose – et un job, en particulier. Arrivé à six heures de l’aprem, je me sentais soulagé d’un énorme poids. Et puis, je fumais beaucoup trop d’herbe à cette époque. Tous ceux qui ont fumé savent que la weed agit comme de la kryptonite sur la procrastination.
Tu réalisais que tu détruisais ta vie sociale ?
Je pensais que les séries étaient le meilleur moyen d’échapper à la réalité – et de toutes les merdes dont je devais m’occuper. Je me cachais littéralement des percepteurs. Je n’allumais jamais la lumière de ma chambre et je me blottissais dans un coin de ma chambre dès qu’ils arrivaient. Je me suis parfois comporté de la même façon avec des proches.
Puis tes amis ont décidé d’intervenir.
Ils savaient pertinemment que j’étais chez moi. Ils sonnaient à la porte pendant dix minutes, voire plus, mais je restais terré dans mon coin. Un jour, ils sont allés chez mes parents récupérer un double des clés. Ils sont entrés et ça a donné lieu à une scène très émouvante. Je leur ai promis de me reprendre en main. Mais je n’arrivais pas à sortir de mes habitudes ; j’ai vite replongé.
C’est à ce moment que tu as touché le fond ?
Oui. J’en étais réduit à mater des saloperies comme The Nine Lives of Chloe King. Tout le monde est en mesure de trouver une excuse à la fac si vous n’avez pas fini tel ou tel devoir. Mais se trouver des excuses pour soi-même est une tâche plus ardue.
Quand j’allais aux toilettes, je devais quitter mon écran pendant un court instant. J’étais alors accablé de remords. Mais dès que je rasseyais devant la télé et que j’appuyais sur play, j’oubliais tout. Parfois, je passais des nuits entières à regarder des séries. Le seul côté un peu sain de ce mode de vie était de pouvoir beaucoup dormir. Mais lorsque j’ai perdu le sommeil, ce n’était plus un cercle vicieux, mais une descente aux enfers.
Comment t’en es-tu sorti ?
Mes amis sont intervenus une seconde fois – j’ai réussi à me reconnecter à la réalité. J’ai rompu mon bail et mes parents m’ont autorisé à revenir vivre sous leur toit, à condition que je respecte des règles très strictes. Je devais me coucher à une certaine heure. J’allais courir deux fois par jour et j’ai arrêté la weed.
Grâce à mes parents, j’ai pu payer mes factures en retard, mes amendes et mes frais de scolarité. La fac m’a donné une seconde chance pour que je puisse passer mon diplôme, que j’ai obtenu haut la main. Et je bosse aujourd’hui pour les services de santé publique.
Tu ne regardes plus de séries ?
Ça m’arrive, mais avec modération. Un peu comme si tu buvais une bière par jour sans jamais aller plus loin. J’ai revu certaines séries que j’avais aimées à l’époque où je fumais, mais elles ne m’intéressaient plus. Et j’ai compris que fumer de la weed sans regarder une série m’emmerdait sérieusement.
Quelles séries aimes-tu et regardes-tu toujours ?
Game of Thrones, The Walking Dead, Homeland et South Park. Et puis certaines séries qui ne sont plus diffusées, mais que j’adore : The Wire, Breaking Bad, OZ et Cosmos.
Quelqu’un m’a récemment dit à juste titre que je n’avais jamais regardé Lost. Mais comme je vais mieux, je n’ose pas la télécharger.
J’ai demandé à Bram de calculer le nombre de jours qu’il avait passé devant des séries, en se servant du site tiii.me. Arrivé à quelque chose comme 24 jours, le site a planté.