Les films d’horreur diffusés actuellement en salle n’ont à peu près qu’une qualité : nous faire éviter la dernière comédie de Gilles Lellouche ou le volume 7 d’une quelconque franchise Marvel (détendez-vous, les geeks). Mais il arrive, parfois, que certains remplissent vraiment le cahier des charges en réussissant à s’imposer à la fois comme de véritables oeuvres créatives et de purs divertissements. Certains arrivent même -c’est très rare- à réinventer le genre. C’est le cas de It Follows, signé David Robert Mitchell, sorti chez nous en février dernier, qui a pour une fois -et à raison- fait l’unanimité totale (à l’exception de quelques âmes qui y ont vu une représentation dégradante de la femme occidentale). Si le film est à ce point remarquable, c’est aussi grâce à sa B.O. synthétique, dissonante et lancinante, composée par un mec appelé Distasterpeace. Plus qu’un hommage à Carpenter, on a carrément affaire ici à un dépoussiérage en règle.
Où est-ce que David Gordon Mitchell est allé dégoter ce génie ? Tout simplement au dos de la cover du jeu vidéo d’aventures Fez, dont Disasterpeace a composé la musique. Avant de se lancer dans le cinéma, ce producteur, désormais basé en Nouvelle-Zélande, se consacrait exclusivement à l’univers du jeu vidéo, dans lequel il évolue toujours. On a profité de la sortir de la B.O. de It Follows sur le label d’Emmanuel Chamboredon, Milan Records, pour aller discuter avec Disasterpeace de son boulot passé, présent et futur.
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Noisey : Tu as un background intéressant, bien différent des compositeurs de B.O. habituels. Tu t’es d’abord fait un nom dans le jeu vidéo. Comment t’es tombé là-dedans ?
Disasterpeace : Ma mère jouait du piano et mon beau-père s’occupait de la musique à l’église, qui était dotée d’une salle de répète au sous-sol. J’ai donc toujours été entouré par la musique, même si ça ne m’intéressait pas vraiment. Je m’y suis réellement mis à partir du lycée, quand j’ai commencé la guitare. J’étais à fond sur Led Zeppelin, Tool, Rage Against Machine, des groupes comme ça. Ça m’a conduit dans une certaine direction. J’ai commencé à poster ma musique sur le net, et un jour, un type qui concevait des jeux pour téléphones portables m’a contacté pour savoir si je voulais composer de la musique pour lui. À l’époque, c’est une idée qui ne m’aurait jamais traversé l’esprit. Mais ça avait l’air sacrément cool, donc j’ai essayé. Je devais avoir 18 ou 19 ans et je n’ai jamais lâché l’affaire.
Comment prépares-tu l’écriture d’une B.O. pour un jeu vidéo ? En quoi est-ce que ça diffère d’un film ?
Il y a tout un tas d’aspects différents. Déjà, les jeux ne sont pas linéaires, donc il faut penser à beaucoup plus de choses, plus de détails, plus d’éventualités, si on veut que tout colle à la fin. Il y a des tonnes de façons d’aborder la musique d’un jeu vidéo. Je peux l’envisager comme une musique de film, en me concentrant sur des images et des lieux précis, ou des personnages. Mais il y a plein d’autres approches. Par exemple, j’habite à Wellington en ce moment, en Nouvelle-Zélande, et je bosse sur un jeu qui s’appelle Mini Metro. Le décor est donc composé de paysages souterrains et je n’écris strictement rien de traditionnel autour de ça. Je créé juste des sons et des ambiances en rapport avec les systèmes de transport souterrain que l’équipe dessinne pour le jeu. Tout ce qu’il peut se passer – l’apparition d’un passager, un train qui entre sur le quai, qui va d’un point A à un point B, etc – toutes ces petites choses constitueront des routines musicales que je programmerai de A à Z.
Contrairement à d’autres compositeurs ou producteurs, ta technologie est 100 % digitale et c’est une posture que tu revendiques. En quoi consiste ta philosophie ?
Déjà, j’aime le minimalisme, la simplicité. Posséder trop de matériel peut devenir étouffant. Surtout quand ce sont des machines qui t’entourent. Elles finissent par te menacer. Tout avoir sur son laptop, pour moi, c’est un moyen d’aller à l’essentiel et de conserver un espace vital, un bon espace de travail qui me permet de réfléchir sans être distrait. Et je trouve que les systèmes digitaux sont de plus en plus viables pour consommer la musique. Pour moi, posséder un tas de CD et de vinyles est devenu obsolète. L’expérience de poser un vinyle sur une platine et de l’écouter ne me fait pas fantasmer, et le son est plus ou moins le même. Je pense que c’est plutôt une question d’expérience, de culture, de tradition, de tangibilité, mais tout ça relève surtout de la psychologie. Tu peux vivre la même expérience avec la musique digitale, il faut juste la cultiver et c’est un aspect qui n’a pas encore été assez travaillé pour le moment.
Cela dit, la bande-son de It Follows a fini par sortir sur support physique. Tu étais pourtant contre.
J’ai vraiment des inquiétudes d’ordre environnemental au sujet de la conservation du vinyle et du CD, mais dans ce cas là, la décision de le faire ou pas ne m’appartenait pas. Je suis impliqué dans It Follows, mais ce n’est pas mon film. C’est celui du réalisateur David Robert Mitchell, et je respecte donc ses choix. J’ai des opinions tranchées sur le sujet, mais je n’ai pas à les imposer dans un cas de figure comme celui-là. Cela dit, je suis content que la B.O. sorte en vinyle, comme ça, les collectionneurs pourront se procurer l’objet et l’écouter.
Il y a des similitudes entre ton travail sur Fez et ce que tu as fait sur It Follows mais ta bande-son reste très différente de tes compositions pour jeux vidéos. La transition a été difficile ?
Ça s’est fait assez simplement, parce qu’on a décidé dès le départ de faire une B.O très synthétique et je suis très à l’aise avec la synth-music. J’ai très vite su quoi faire pour obtenir ces sons dissonants et sauvages, qui m’ont finalement permis de me laisser aller à des expérimentations complètement dingues. Ça a été un véritable exutoire.
Mais d’autres aspects ont été plus durs à gérer. Les délais, par exemple. A la base, on devait avoir plus de temps, deux mois et quelques, pour composer la B.O. Mais on a finalement eu que 3 semaines. J’ai dû tout écrire en 20 jours et c’était plutot balaise [Rires]. C’était stressant mais ce qui m’a pas mal aidé c’est que le réalisateur et un des monteurs avaient assemblé une sorte de B.O. provisoire avec des morceaux de John Carpenter, de John Cage, de Krzysztof Penderecki, et même quelques musiques de Fez. Ça m’a énormément aidé. Après, ça a aussi créé quelques problèmes. Quand j’ai voulu par exemple essayer de reprendre la musiqe de Fez pour en faire quelque chose de nouveau, parce que David en était complètement tombé amoureux. Faire du neuf sans avoir l’impression de se copier soi-même. C’était un défi assez dur à relever.
J’imagine que c’est la même chose pour pas mal de compositeurs. Les films sont souvent montés avec une B.O.-témoin qui les oblige à composer avec un tempo et une ambiance déjà établis.
Vu que je suis freelance, j’ai toujours quelque chose sur le feu donc ça peut être problématique d’être impliqué dans le processus d’un film dès le début et de fournir des bases ou des concepts que le réalisateur et les éditeurs peuvent ensuite utiliser pour leur boulot d’editing. J’ai toujours pour habitude de débarquer dans un projet sur le tard – j’aurais pu être mis à contribution plus tôt, mais c’est toujours une question de temps – et c’est une situation assez difficile. David et moi avons parlé de retravailler ensemble plus tard, sans utiliser de soundtrack de référence, afin de ne pas se retrouver dans les mêmes conditions.
Quelque soit leur avis sur le film, les gens sont plutôt unanimes sur ta B.O. Ça t’a fait quoi de lire toutes ces réactions positives ?
C’est toujours intéressant, parce que c’est une expérience inédite pour moi. Vu le succès de Fez et de sa bande-son, j’avais une idée assez précise de ce que je voulais faire sur It Follows pour que la B.O. puisse tenir sans les images. Mais ça reste quand même un film d’horreur et la B.O. est sombre, intense et flippante. Je n’étais pas vraiment sûr que le résultat plaise aux gens. Certains m’ont dit qu’ils avait acheté le disque, qu’ils l’écoutaient partout et qu’ils l’adoraient, mais bon, il n’est pas vraiment approprié à toutes les situations non plus.
Tu as eu des propositions pour d’autres films ou tu te vois continuer encore dans le jeu vidéo ?
Eh bien j’ai dû renoncer à quelques opportunités en raison de ma façon de travailler. J’ai toujours des trucs en cours. Je bosse en ce moment sur un épisode de Adventure Time et sur quatre ou cinq projets de jeu, et on se parle régulièrement avec David, donc mes deux prochaines années sont déjà bookées. Perso, je ne me vois ni comme un compositeur de musique de films ni comme un compositeur pour jeux vidéos. Tout dépend du contexte. Je choisis scrupuleusement chaque projet sur lequel je m’engage et je ne peux pas te dire, à l’heure qu’il est, où j’en serais quand tout ça sera terminé.
Plus d’infos sur Milan Records ou sur le site de Disasterpeace.