On a demandé à un expert militaire si la France pouvait être conquise


illustration : Zelda Mauger

J’ai longtemps pensé que l’armée française avait perdu sa crédibilité après le 22 juin 1940 et que depuis, le blason de la puissance de l’hexagone était décoloré et à moitié décousu. Mais, quand j’ai vu les succès des troupes françaises en Centrafrique et au Mali, je me suis dit que tout espoir n’était pas perdu.

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Barack Obama a d’ailleurs salué la détermination de la politique étrangère française dans ses anciennes colonies d’Afrique noire et a promis de venir aux célébrations du 70e anniversaire du Débarquement. Mais, malgré les attitudes belliqueuses du chef des armées françaises et les beaux mots d’encouragement du résident de la Maison Blanche, nous pouvons continuer à imaginer que sous cette coquille héroïque se cache un mollusque bleu-blanc-rouge assujetti aux humeurs des « protecteurs » étatsuniens.

J’ai contacté l’amiral Alain Coldefy, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste en stratégie de défense, afin de savoir si la France était vraiment une nation forte et inattaquable ou si elle pesait le poids d’une plume de coq dans l’échiquier géopolitique mondial.


photo via

VICE : Bonjour Amiral, quelle est la capacité nucléaire de la France ?
Alain Coldefy
 : La France est une puissance nucléaire, c’est à dire qu’elle a les outils nécessaires pour infliger des dommages irréparables à toute nation qui l’agresserait. Depuis 1972, nous avons en permanence un sous-marin nucléaire opérationnel qui contient 16 têtes nucléaires. Nous sommes en mesure de rendre opérationnel un deuxième sous-marin en quelques jours – donc 32 têtes multipliées par 6, ça fait 192 missiles de 125 kilotonnes.

125 kilotonnes, ça représente quoi ?
Comme point de référence, Little Boy – la bombe lâchée sur Hiroshima en 1945 – était de 15 kilotonnes.

OK, on est à l’aise. Ça s’annonce compliqué en cas d’invasion d’une puissance étrangère.
Oui, ça vous donne la dimension de la puissance nucléaire française. Un sous-marin nucléaire, c’est en gros 1 000 fois Hiroshima, et on en a 4 – comme les Anglais. Les Américains en ont 14, les Russes une douzaine et les Chinois 2 ou 3.

On est tranquille dans le milieu de tableau, et pour une fois les Chinois sont à la traîne…
On est dans le deuxième paquet avec l’Angleterre, derrière les États-Unis et la Russie. On fait partie des cinq puissances nucléaires dans le monde – membres permanents du Conseil de sécurité – à avoir cette capacité de frappe en second – parce que ce n’est pas une arme d’utilisation, mais une arme de menace d’emploi. Donc si on nous attaque de façon forte, nous pourrions détruire l’équivalent de la France – pas plus, pas moins. Le nucléaire a contribué à  ce qu’on a appelé « l’équilibre de la terreur ». C’est pour ça que vous n’allez pas connaître de guerre en France, jamais.

Cool. Comment les autres pays pourraient désarmer ou neutraliser notre équipement nucléaire ?
Vous ne pouvez pas neutraliser un sous-marin à propulsion nucléaire, c’est pour ça que les grandes nations les ont choisis. Les sous-marins se cachent dans ce qui compose 75 % du globe – les océans –, et sont indétectables.

Dans ce cas, comment mettre à mal notre armée classique ?
On a une composante aéroportée en alerte permanente depuis cinquante ans, équipée de Dassault Rafales qu’on retrouve dans l’armée de l’air et dans la marine. Ils sont tous munis de missiles ASMP – des missiles supersoniques d’une puissance proche de celle d’Hiroshima.

Techniquement, quand on avait des silos sur le territoire français, si l’ennemi les attaquait, il signait son acte puisqu’il était obligé d’aller au plateau d’Albion et de zigouiller tout le monde lors d’une attaque majeure. Aujourd’hui, si d’autres pays veulent empêcher notre armée de l’air d’être efficace, ils peuvent coincer les Rafales en les mettant en panne, je ne vois pas d’autre solution.

Et si les Russes voulaient avoir un accès à la mer en s’emparant des côtes françaises, comment s’y prendraient-ils ?
Si on leur dit : « Si vous attaquez, on détruit Moscou, Saint-Pétersbourg, etc. », ils avorteraient l’attaque. Il n’y aura donc jamais d’invasion. Et je vois mal une guerre avec les Russes. La seule guerre qu’on ait menée lors de la guerre Froide – d’ailleurs totalement inconnue du grand public – a été une guerre sous-marine contre les Russes. Avec les Alliés, on a essayé de pister les sous-marins soviétiques et de les torpiller, et ça nous a demandé des moyens considérables.

OK. Les sous-marins, c’est la quasi-totalité de notre puissance de dissuasion, c’est bien ça ?
Oui, c’est notre seul atout, à 99 %. À part ça, on a des avions de l’armée de l’air sur les porte-avions.

Donc hypothétiquement, les pays belligérants nous envahiraient plutôt par la terre et les airs ?
Si un pays voulait conquérir la France, il faudrait privilégier une invasion terre-mer, avec un appui aérien et maritime. Mais, il n’y a pas d’hypothèse, chef, s’ils bougent, on leur détruit 65 millions de personnes.

Il y a quelques années, Jacques Chirac disait que le président de l’Iran savait très bien que s’il s’amusait à jouer les durs avec ses missiles, la France « vitrifierait » Téhéran. La seule déclaration de Hollande sur la défense a été faite en novembre 2013 au Nouvel Observateur, quand il a dit : « On ne touche pas à la dissuasion. » Avec la dissuasion nucléaire – 16 000 fois Hiroshima peut être lancé en 30 secondes si le président le décide, et si la situation internationale se tend, on a 32 000 fois Hiroshima, ça calme, non ? – personne ne peut plus attaquer la France. Il ne peut pas y avoir d’attaque sur le sol français parce que la menace qui flotte est terrible.


photo via (Mychèle Daniau/AFP)

Si nos ennemis héréditaires, les rosbifs – qui ont la même puissance nucléaire que la nôtre –, décidaient d’envoyer leur armée en France, qui gagnerait ?
Ça n’arriverait pas. Mais si, dans l’absolu, on décidait de rejouer la guerre de Cent Ans, il y aurait 65 millions de morts de chaque côté.

Si on reste dans l’absurde et qu’on pense au même scénario avec les États-Unis, qui gagnerait ?
On pourrait tuer 65 millions d’Américains. On pourrait détruire toutes les grosses villes américaines de la côte Est.

Alors quel est l’intérêt pour les Amerloques d’avoir un budget pour l’armée de 600 milliards de dollars et d’avoir une quinzaine de sous-marins s’ils ne peuvent pas éviter tous ces morts ? C’est pour nous conquérir psychologiquement alors ?
Non, la puissance américaine doit représenter une menace proportionnelle à la richesse de son territoire. Ils sont 310 millions d’habitants et ont de gros intérêts dans le monde – et la France ne fait pas partie de leurs intérêts.

Même si la puissance militaire américaine, dans les armements classiques et ses effectifs, sont dans la démesure par rapport aux forces du reste du monde, le nucléaire égalise tout. On vit dans un monde où le nombre de soldats n’est plus un facteur essentiel.

Retenez ce chiffre, il y a 111 personnes – ce n’est pas 110, ni 112 – dans un sous-marin nucléaire. Ce sont ces 111 personnes qui s’occupent d’une puissance aussi élevée qu’une centrale nucléaire, avec une moyenne d’âge de 25 ans. Notre sécurité repose sur ces soldats qui ont un très haut niveau de technicité.

Les conditions de combat ont complètement changé, et même la Cour des comptes ou les médias en ont une vision complètement obsolète. Seule la folie des hommes n’a pas changé, c’est pour ça qu’il faut avoir une défense forte comme celle de la France. Il faut garder le cap et ne pas baisser la garde, sinon on se retrouvera obligé de suivre les directives des « protecteurs ».

Ces protecteurs, c’est ces « damn » Yankees ?
Oui, ce sont les chefs d’orchestre de l’Europe, mais pas de la France. Ils imposent leur politique étrangère à toute l’Europe – sauf à nous parce que nous sommes autonomes au niveau du nucléaire.

Mais est-ce que les États-Unis pourraient au moins amenuiser notre force de dissuasion ?
Pas militairement, parce qu’on fait tous confiance aux mêmes moyens. Les États-Unis sont mécontents de notre force de frappe militaire – ce sont nos alliés, pas nos amis, et nous ne sommes pas à leurs basques comme le Royaume-Uni. Ils soudoient un certain nombre de mouvement, dont Greenpeace, pour discréditer notre dissuasion nucléaire. Vous comprenez bien que les Américains aimeraient bien être les seuls occidentaux à disposer de la puissance nucléaire.

Si je comprends bien, on n’est plus dans la configuration de 1940, et il ne peut plus y avoir d’invasion du territoire français par un État avec des forces constituées. Mais y a-t-il une menace venant de forces non-constituées ?
D’abord, pour ne pas être attaqué par des tyrans ou des armées non-constituées, il nous faut commencer par contrôler la prolifération du nucléaire dans les pays comme l’Iran, l’Irak ou la Corée du Nord. Ensuite, il nous faut rester renseignés sur les organisations terroristes. Mais, dans le monde, une attaque terroriste n’a jamais fait bouger un régime ou les institutions d’un pays, même après les attaques du 11-Septembre.


photo via (c) Reuters

Quels sont nos points faibles, alors – l’économie, la cybernétique ?
Sachant que le trafic, dans l’Union européenne, se fait à 50 % par bateau, la destruction des bateaux ou les embargos maritimes sont une menace. La France importe aussi 100 % de son pétrole par bateau. Il suffirait de couler un pétrolier (une journée de consommation de la France) pour perturber nos affaires – mais on a une réserve de 90 jours sur le sol français.

La menace purement militaire, c’est fini. Mais les menaces peuvent venir des pirates qui pillent les plates-formes de gaz et de pétrole, des drogues des cartels colombiens – cette menace terroriste représente des milliards.

Il y a aussi les armes contre lesquelles on ne sait pas se battre, comme les armes biologiques. Avec l’équivalent d’un flacon de quelques millilitres, on peut tuer de nombreuses personnes dans le métro par exemple, comme certains l’ont fait à Tokyo. Objectivement, l’échelle des dégâts est réduite, même si chaque vie civile est une priorité.

Il y a également des menaces qui s’affranchissent des frontières avec la cyberguerre. Ces attaques deviennent de plus en plus importantes. L’adversaire est anonyme. Hypothétiquement, une grosse armée de hackers pourrait immobiliser complètement la France.

L’espace abrite aussi une nouvelle forme de guerre. Les autres pays peuvent attaquer nos satellites dans l’espace s’ils en ont la capacité technologique. Nos satellites de communication et d’observation ont déjà été perturbés voire détruits. Les pays peuvent s’en prendre à nos satellites pour nous faire chanter. C’est l’un des enjeux actuels importants. Les Américains ont perturbé nos satellites après notre refus d’aller en Irak parce que notre prise de position les emmerdait. On ne les a pas suivis au combat parce qu’on savait que c’était un coup foireux et que l’Irak n’avait plus d’armes de destruction massive. Les Américains le savaient aussi mais ils voulaient y aller pour satisfaire leurs priorités géopolitiques.

On s’est battus dans l’espace contre l’Oncle Sam ?
Pour avoir la paix, il fallait leur faire comprendre qu’on pouvait perturber leurs satellites aussi. Et comme vous pouvez l’imaginer, ça s’est fait plusieurs fois.

Tout ça me redonne confiance. Merci mon Amiral.